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pas davantage pour me déterminer à ce voyage. Je partis dès le lundi matin avec ces bonnes gens. Après vingt lieues de marche, ceux de Juning-fou prirent les devants pour donner avis de mon arrivée. J'allai ce jour-là à un village qui est du ressort de Nanyang-fou. Là je baptisai environ dix-huit familles qui faisoient quatre-vingt-dix-huit personnes. Ce sont les Chrétiens dont j'ai déjà parlé, qui n'ont point été ébranlés dans leur foi, malgré les bruits qu'on faisoit courir de la persécution. De là je passai à Juning-fou. On m'attendoit dans cing villages qui sont peu éloignés les uns des autres: j'y trouvai en effet un grand peuple qui soupiroit après le baptême. Le matin je baptisois les hommes et le soir les femmes. Je comptai dans ces cinq villages, trois cent cinquante personnes qui reçurent la grâce du baptême. Quelques autres qui n'étoient pas encore assez instruits, furent différés à un autre temps. Après avoir établi un ordre pour le gouvernement de cette chrétienté naissante, je réglai le temps des assemblées; je laissai des livres, des images et quelques petits meubles de dévotion pour chaque famille, et je retournai à Nan-yang-fou.

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Cette année, j'ai fait une autre excursion d'environ cent quarante lieues, qui a duré près de trois mois, dans laquelle j'ai visité mes Chrétiens de l'un et l'autre ressort. J'y ai trouvé beaucoup de ferveur parmi les nouveaux fidèles, et le nombre en est augmenté de cinq cent soixante-dix que j'y ai baptisés. Enfin, j'ai terminé la mission de Juning-fou par la conversion de tout un village composé d'environ dix familles. A peine eurent-ils reçu le baptême, qu'ils coururent en foule vers leur miao pour le détruire. Ce temple n'avoit pas beaucoup d'apparence, mais il étoit situé fort avantageusement. Les enfans se signalèrent dans cette démolition: je prenois un plaisir singulier à les voir mettre en pièces chaque

idole, en disant par manière d'insulte: « Tu nous as » trompés jusqu'ici, mais maintenant un rayon de » la lumière céleste nous a éclairés, et tu ne nous >> tromperas plus. » J'ai lieu de croire que Dieu aura dans ce village un bon nombre de fidèles adorateurs.

Ce que je viens de dire de la mission de Juningfou, fait assez connoître que la présence d'un Missionnaire y sera désormais nécessaire. L'éloignement où elle est de Nan-yang-fou, ne permet au Missionnaire d'y aller qu'une fois l'an. Outre les frais

d'un pareil voyage, il n'y peut faire que peu de séjour. Ainsi les nouveaux Chrétiens manquent d'instruction, et les moribonds, des derniers secours de l'Eglise. Ce furent les pères Régis et de Mailla qui achetèrent l'église où je suis, lorsqu'ils furent envoyés par l'Empereur pour faire la carte de cette province: elle leur coûta seize cents francs. De qui Dieu se servira-t-il pour procurer le même avantage aux Chrétiens de Juning-fou? C'est un ouvrage qui produiroit la conversion et le salut de plusieurs milliers d'infidèles. Aidez-moi du secours de vos prières, en l'union desquelles je suis, etc.

LETTRE

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Le zèle que vous avez pour la mission de la Chine, et l'intérêt que vous y prenez, m'engagent à vous faire part d'un événement qui nous a tous consternés, et qui met la religion dans un danger extrême.

Sur la fin de l'année dernière, les mandarins des côtes maritimes représentèrent à l'Empereur que plusieurs vaisseaux chinois transportoient quantité de riz hors de la Chine, et entretenoient d'étroites liaisons avec les Chinois qui demeurent à Batavia. Sur quoi l'Empereur défendit, sous de grièves peines, qu'aucun vaisseau chinois n'allât, sous prétexte de commerce, dans les contrées qui sont au midi de la Chine. Cette défense fut portée à la fin du mois de janvier de cette année 1717, et fut insérée dans la gazette. Un Tsong-ping (mandarin de guerre) de la province de Canton, a pris de là occasion de présenter une requête à l'Empereur, dans laquelle il se déchaîne violemment, et contre les Européensqui trafiquent à la Chine, et contre l'exercice de notre sainte religion. Voici la réquête aussi fidèlement traduite, le permet la différence de la langue chinoise et de la nôtre.

que

T. X.

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Tchin-mao (c'est le nom de notre accusateur) Hieche-tchin (1) Tsong-ping; sur les précautions qu'on doit prendre par rapport aux côtes mari

times.

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Moi, votre sujet, j'ai visité exactement, selon » la coutume et selon le devoir de ma charge, toutes >> les îles de la mer. A la sixième lune, j'ai parcouru >> toutes les côtes maritimes qui sont vers l'occident; >> à la seconde lune, j'ai visité toutes celles qui sont >> vers l'orient du côté de l'île de Nanngao; et dans » le cours d'une année, j'ai parcouru toutes les îles » de la mer qui sont de ma juridiction. Il n'y a point » de golfe ni de détroit que je n'aie examiné par » moi-même. J'ai trouvé que la haute sagesse et » l'autorité absolue de Votre Majesté maintiennent >> dans une tranquillité parfaite les pays les plus re>> culés de l'Empire. Mais quand je suis arrivé à

Macao, qui est de la dépendance de Hiam-xan» hien, j'avoue que j'ai été effrayé de voir dans le >> port plus de dix vaisseaux européens qui faisoient >> voile vers Canton pour leur commerce. Je prévis >> aussitôt ce qu'on en devoit craindre,, et j'eus la pensée de présenter une requête à Votre Majesté, » pour l'informer du génie dur et féroce de ces peuples; mais j'appris que le dix-huitième jour de la douzième lune, Votre Majesté avoit porté l'édit

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>> suivant. »

A l'égard des lieux les plus éloignés du côté de la mer, qu'on ait soin de tout observer, et surtout qu'on soit très-attentif aux royaumes des étrangers. C'est pourquoi, qu'il soit fait très - expresses défenses à tous les vaisseaux de cet Empire de naviguer vers la mer du Midi. Avec cette précaution, on empêchera qu'il ne vienne du secours de la part

(1) Lieu de la juridiction de ce mandarin..

des étrangers; l'on ira au - devant du mal qu'on appréhende.

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« Notre auguste Empereur ne s'est pas contenté » de consulter sur cette affaire les neuf suprêmes >> tribunaux de l'Empire, il a daigné écouter en-core les avis de personnes d'un rang beaucoup >> inférieur. Si sa sagesse n'étoit pas fort supérieure » à celle de Yao et de Xun, jouirions-nous d'une >> paix si profonde? Qui seroit assez hardi pour en>> tretenir l'Empereur de ce qui se passe dans les >> royaumes étrangers, s'il ne s'en est pas instruit >> par lui-même ? Pour moi, dès ma plus tendre » jeunesse, j'ai été engagé dans le commerce, et » j'ai traversé plusieurs mers; j'ai voyagé au Japon, >> au royaume de Siam, à la Cochinchine, au Tunquin, à Batavia, à Manille, etc. Je connois les >> mœurs de ces peuples, leurs coutumes, et la politique de leur gouvernement, et c'est ce qui me >> donne la hardiesse d'en parler à mon grand Em>> pereur.

>>

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» Vers l'orient de la Chine, il n'y il n'y a de royaume >> considérable que le Japon; les autres sont fort » peu de chose, et le seul royaume de Liou-kieou » mérite quelque attention. Tous les fleuves de ces >> royaumes ont leurs cours vers l'orient; et à dire vrai, on ne trouve nul autre royaume jusqu'à la province de Fou-kien, de laquelle dépend l'île de » Formose.

>>

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» A l'occident, sont les royaumes de Siam, de la >> Cochinchine et du Tunquin, qui confinent avec Kium-tcheou-fou, ville située à l'extrémité:de

>> notre Empire.

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» On découvre au midi plusieurs royaumes de bar-
bares, tels
que sont Johor, Malaca, Achem, etc.
Bien que ces royaumes ne soient pas d'une grande
étendue, ils ont cependant leurs lois particulières
auxquelles ils se conforment. Mais ils n'oseroient

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