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œuvres, toutes louables qu'elles sont, n'ont point pour principe la vraie charité; aussi toute leur récompense se borne-t-elle à l'estime des hommes et à une félicité temporelle. Néanmoins il est étonnant que l'olivier sauvage et inculte produise tant de sortes de fruits, et que l'olivier franc, planté au milieu du christianisme, et arrosé du sang précieux de Jésus-Christ, en produise si peu ; qu'une charité toute païenne soit si ingénieuse à secourir le prochain dans ses besoins temporels, et que la charité chrétienne inspire si peu de zèle pour le bien spirituel des âmes, qu'il seroit si facile de placer dans le ciel. Le vénérable père de Sanvitores, qui fonda de ses sueurs et de son sang la mission des îles Marianes, écrivoit tous les ans en Espagne des lettres remplies d'un zèle apostolique, par lesquelles il sollicitoit la charité des riches du siècle en faveur des enfans infidèles, dont on pouvoit assurer le salut en leur donnant le baptême. « Combien de personnes » puissantes, s'écrioit-il, lesquelles, pour conserver » la vie à un fils unique, offrent à Dieu dans les » chapelles de dévotion des figures d'enfans en or » ou en argent ! J'approuve leur piété, mais qu'ils >> feroient une œuvre bien plus glorieuse à Dieu et » bien plus utile à la santé de leur fils, s'ils met» toient dans le ciel un grand nombre d'enfans d'ido» lâtres, en leur procurant la grâce du baptême ! » C'est la consolation que vous avez, Madame, puisque vous envoyez tous les jours devant vous au ciel, plusieurs enfans chinois, qui sont redevables à vos libéralités, de leur bonheur éternel: et c'est principalement de cette sorte d'aumône qu'on fera l'éloge dans l'assemblée des Saints. Eleemosinas illius enarrabit omnis ecclesia Sanctorum. J'ai l'honneur d'être avec la plus respectueuse reconnoissance, etc.

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LETTRE

Du père Cazier, missionnaire.

A Canton, le 5 novembre 1720.

Je vois par vos lettres l'inquiétude où vous êtes de

savoir quel a été le sort des pères Cuberon et Cortil, qui entrèrent il y a quelques années dans une des îles Palaos, ainsi que vous l'avez vu dans les lettres de nos Missionnaires. Je voudrois pouvoir vous en apprendre des nouvelles certaines et bien circonstanciées. Mais, quelques mouvemens qu'on se soit donnés jusqu'ici, c'est toujours inutilement qu'on a tenté de retourner dans ces îles.

Lorsque je vins à la Chine, je pris ma route par les Philippines, et j'étois à Manille, lorsque le père Serrano fit équiper un vaisseau pour commencer une mission chez les insulaires de Palaos, ou pour la continuer, supposé que les deux pères eussent trouvé grâce auprès de ces barbares. Mais Dieu, dont les desseins sont impénétrables, ne permit pas que cette expédition eût le succès auquel on devoit s'attendre. Le père Serrano mit à la voile, et fut porté par un vent favorable dans l'Embocadero (c'est ainsi que les Espagnols appellent l'entrée des îles Philippines). La quantité d'iles qui se trouvent dans cette passe, la rendent très-dangereuse, et les galions sont quel quefois obligés d'y hiverner sans pouvoir gagner Cabite qui est le port de Manille. Le vaisseau qui portoit le père Serrano et son compagnon n'alla loin: il périt près de l'île de Marinduqué, et rien ne fut plus triste que ce naufrage, dont il n'échappa que peu de personnes. Quelques-uns s'étoient jetés

pas

dans la chaloupe; mais le trouble où ils étoient les empêcha de prendre une précaution nécessaire, qui étoit de couper le cable lequel tenoit la chaloupe amarrée au vaisseau : ils allèrent au fond de la mer entraînés par le poids du bâtiment. Il n'y eut qu'un seul indien, qui s'étant emparé de l'habitacle (c'est un réduit en forme d'armoire où l'on enferme la boussole), s'en servit pour se sauver, et à sa faveur gagna heureusement la terre, après avoir long-temps lutté contre les flots. C'est par cet indien, qui retourna aussitôt à Manille, qu'on fut informé de ce détail. Ainsi échoua le projet qu'on avoit formé d'aller au secours des deux Missionnaires et de planter la foi dans les îles Palaos.

Depuis mon arrivée à la Chine, j'ai vu à Canton un marchand venu des Philippines, qui m'assura qu'on ne doutoit plus à Manille que les deux pères n'eussent été sacrifiés à la fureur des barbares de ces îles nouvellement découvertes. C'est ainsi qu'il m'a raconté la chose. Un vaisseau espagnol étoit allé à la découverte aux environs des îles Palaos, et s'étant approché d'une de ces îles, plusieurs insulaires parurent dans une barque, et rôdèrent autour du vaisseau. On les invita par gestes à venir à bord: ils n'y voulurent point consentir, à moins qu'on ne leur donnât un ôtage. On fit descendre un Espagnol dans la chaloupe, et en même temps quelques-uns des insulaires montèrent au vaisseau. Les Espagnols se saisirent d'eux, et refusèrent de les renvoyer. Ceux qui étoient restés dans la barque se disposoient à se venger de cette insulte sur l'Espagnol qui servoit d'ôtage, et ils ramoient déjà vers sa chaloupe. Mais on fit feu sur eux, et on les écarta. On dit qu'en se retirant ils souffloient vers la fumée de la poudre, ignorant apparemment l'usage du canon et des armes à feu. Ces insulaires furent conduits à Manille; là on leur demanda par signes ce qu'étoient devenus les deux

pères qui étoient restés dans une de leurs îles; ils répondirent de même par signes, et firent entendre que leurs compatriotes les avoient tués, et ensuite les avoient mangés.

LETTRE

D'un Missionnaire de la Compagnie de Jésus.

De Pekin, en l'année 1721.

QUOIQU'ON vous ait mandé assez en détail ce qui s'est passé ici au sujet de la solennelle ambassade que l'Empereur a reçue de la part du Czar, on aura sans doute omis les difficultés que le cérémonial fit naître, et dont il ne fut pas possible de vous instruire, parce que cet incident n'arriva que depuis le départ des vaisseaux qui retournoient en Europe. La délicatesse de l'ambassadeur ne put s'accommoder du cérémonial chinois, qui consiste à se mettre à genoux et à frapper la terre du front devant les personnes qu'on veut honorer; ce qui s'observe, non-seulement à l'égard de l'Empereur, mais encore à l'égard des princes, des mandarins, des pères, des maîtres, etc.

L'ambassadeur crut que c'étoit avilir sa dignité que de s'abaisser à une cérémonie si humiliante et si peu conforme aux idées d'Europe. Le refus qu'il fit de s'y assujettir étant venu aux oreilles de l'Empereur, devoit naturellement produire un mécontentement réciproque. Mais la sagesse de ce prince lui suggéra un expédient auquel l'ambassadeur moscovite ne put s'empêcher de se rendre. « Faites-lui >> savoir, dit l'Empereur, que mon dessein est qu'on » rende à la lettre qu'il m'apporte de la part de son » maître, les mêmes honneurs que nos coutumes

»prescrivent pour ma personne. C'est pourquoi je >> souhaite qu'il pose cette lettre sur une table, et >> alors un grand mandarin ira en mon nom, frapper » la terre du front devant la lettre. » C'est ce qui s'exécuta, et l'ambassadeur n'eut plus de peine à faire cette cérémonie devant l'Empereur, et à rendre civilité pour civilité.

Cette année chinoise étant la soixantième du règne de l'Empereur, dès le premier jour on a commencé des réjouissances extraordinaires. Tous les mandarins, depuis les plus grands jusqu'aux plus petits, sont allés se prosterner devant sa tablette, et lui rendre les mêmes hommages qui lui sont rendus à Pekin devant la porte intérieure de son palais. Comme cette année est une année de grâce et d'une espèce de jubilé, quelques-uns se figurent que l'Empereur pourra rendre la liberté aux deux princes ses enfans; cela est néanmoins fort douteux, le caractère de l'Empereur étant de garder toujours une conduite soutenue, uniforme et invariable, lorsqu'une fois, pour de bonnes raisons, il a pris son parti. Sa politique est de tenir ses enfans dans une parfaite dépendance. D'ailleurs le prince héritier a été privé avec trop d'éclat de son droit à la couronne. On croit qu'il a jeté les yeux sur le fils de ce prince, qui a neuf à dix ans.

Le 14 d'avril, jour de la naissance de l'Empereur, fut encore un jour de fête, qui fut célébré avec beaucoup de magnificence. La dépense monta à quatre-vingt mille taëls. L'Empereur ne daigna pas venir voir cet appareil superbe. Il avoit sur le cœur les instances qui lui furent faites de se nommer an héritier.

Le Colao chinois qui osa lui faire cette remontrance eut grâce de la vie; mais son fils aîné qui étoit déjà second président d'un des tribunaux, a été condamné à aller servir à l'armée. Les douze

yusse

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