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maison, ou que l'on rend une visite de conséquence. Dans le domestique, on quitte une partie de cet attirail; mais il faut bien se garder de dire la messe sans avoir la tête couverte d'un bonnet particulier, et sans avoir pris ses bottes.

C'est ici le pays des cérémonies. Quoique les Tartares en aient beaucoup aboli, tout s'y fait par poids et par mesure; c'est partout une affectation de gravité bien opposée à l'air ouvert et dégagé de nos Français. Ce n'est pas là néanmoins ce qui embarrasse le plus une langue très-difficile à parler, et encore plus à lire et à écrire, et cependant qu'il faut apprendre; une langue qui n'a pas le moindre rapport avec aucune autre langue d'Europe, soit morte, soit vivante, et dont la prononciation est la pierre d'achoppement pour les plus anciens Missionnaires; près de quatre-vingt mille caractères presque tous composés d'une multitude de traits sans ordre : comment venir à bout de tout cela? On fait ce qu'on peut, et Dieu n'en demande pas davantage; pour devenir habile, il faut bien des années; encore y en a-t-il peu qui y réussissent.

Les caractères de la Cochinchine, du Tunquin, du Japon, sont les mêmes que ceux de la Chine, et signifient les mêmes choses, sans toutefois que les peuples s'expriment de la même sorte. Ainsi, quoique les langues soient très-différentes, et qu'ils ne puissent point s'entendre les uns les autres en parlant, ils s'entendent fort bien en s'écrivant, et tous leurs livres sont commins. Ces caractères sont en cela semblables à nos chiffres d'arithmétique; beaucoup de nations s'en servent; on leur donne différens noms, mais ils signifient partout la même chose.

J'ai tracé la figure d un animal qui m'a paru singulier, et que je vous envoie : on l'appelle le poisson cornu ou le diable. Il a le corps fait comme une caisse à quatre faces, plus petite par un bout, avec

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une queue plate, fort longue, et presque de la même largeur d'un bout à l'autre. Tout son corps est dur, et marqué partout de figures hexagones bien rangées, et semées de petits grains comme le chagrin. Il y a encore d'autres animaux que j'ai vus avec plaisir, et dont je vous ferois la description, s'ils n'étoient déjà connus par diverses relations qui sont entre les mains du public; tels sont le requin, le marsouin et le poisson volant: ainsi je ne vous en dirai qu'un mot.

Le requin est un des plus dangereux animaux de la mer; il est très-gros et extrêmement vorace : nous en avons pris un qui étoit long de près de douze pieds. Il a une gueule capable d'engloutir un homme tout entier on y voit cinq rangées de dents qui sont comme une forêt de pointes d'acier; il est toujours accompagné de plusieurs petits poissons qui le plus souvent marchent devant lui; c'est pour cela qu'on les appelle pilotes du requin. Il y en a d'autres plus petits, et d'une autre espèce, qui s'attachent à son corps, sans même le quitter lorsqu'il est pris: on les nomme succais. Un requin suit quelquefois un vaisseau deux ou trois jours, dans l'espérance de quelque proie.

Le marsouin est un vrai cochon marin: il a sur tout le corps un lard assez épais et fort blanc; point d'ouïe; sur la tête une ouverture par où l'on prétend qu'il respire l'air. Ce qu'il y a de vrai, c'est qu'on le voit de temps en temps lever la tête hors de l'eau, et replonger aussitôt après. Il a des poumons et toutes les parties internes semblables à un cochon : il a le sang chaud et en grande abondance; il va d'une vitesse surprenante, et saute quelquefois jusqu'à quinze et vingt pieds au-dessus de la surface de la mer. Le marsouin, aussi bien que le requin, porte et met bas ses petits comme les animaux terrestres. Nous avons pris un requin femelle, qui por

toit dans son ventre six petits requins pleins de vie et fort gras.

Il y a deux sortes de poissons volans, l'un plus petit, qui n'a que deux aîles, l'autre plus grand, qui en a-quatre. Le plus grand n'a guère de longueur qu'un pied ou quinze pouces. Ils volent assez loin Lun de l'autre, et lorsque la bonite ou la dorade les poursuit, on les voit sortir de la mer, de même que s'élève dans un champ une compagnie de perdrix, et aller replonger à cent ou cent cinquante pas plus loin. La bonite saute après fort haut, et si elle a manqué son coup, elle suit à fleur d'eau le vol de sa proie pour l'attraper en retombant. J'ai eu le plaisir de voir une fois cette chasse, qui est très-agréable, surtout lorsqu'il y a grand nombre de poissons qui poursuivent et qui sont poursuivis. L'agrément est entier, lorsque les oiseaux de proie, comme cela arrive, se mettent de la partie; alors le poisson volant n'a plus de retraite, ni dans l'eau, ni dans l'air.

On a gravé depuis peu à la Chine une estampe représentant quatre croix qui ont paru en l'air dans différens temps et en différens lieux de cet Empire. Je vous envoie cette estampe avec l'explication des caractères chinois, qui marquent le lieu où ont paru ces phénomènes, leur durée, et le nombre de personnes qui en ont été témoins.

Un triste événement mettra fin à cette lettre; Dieu, qui l'a permis, en tirera sans doute sa gloire. La persécution contre les Chrétiens est générale dans le Tunquin. Les églises abattues, les catéchistes maltraités, les Missionnaires fugitifs et errans dans les forêts, les néophytes forcés d'adorer les idoles : voilà le malheureux état où cette chrétienté est réduite. Nous avons appris que deux de nos pères ont été arrêtés: M. l'Evêque ne s'est sauvé que par une adresse assez singulière : il étoit chez un Chrétien, lorsqu'on l'avertit que des soldats venoient pour le

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