Images de page
PDF
ePub

prendre. Sur le champ il dit au Chrétien de mettre le feu à sa maison; le prélat fut obéi, et il s'échappa à la faveur du tumulte et du désordre que causa l'incendie.

Notre supérieur-général dans ces contrées vient de faire une tentative pour secourir cette Eglise désolée. Il a pris des lettres de recommandation du premier mandarin de cette province, qui confine avec le royaume de Tunquin. Il a ramassé quelques présens, et il s'est mis en chenin pour la cour de Tunquin. Son dessein n'est d'abord que de demander au Roi la permission de mettre une personne, pour servir de gardien au tombeau d'un de nos pères, enterré autrefois dans ce pays - là avec beaucoup d'honneurs, par ordre du prince qui régnoit alors. Ce seroit toujours là un Missionnaire qui ne seroit point inquiété, et vous pouvez bien juger que dans ce qu'il pourra faire pour la consolation des Chrétiens persécutés, il ne s'épargnera pas.

Voici ce qui a donné lieu à cette persécution. Un Chrétien, fils d'un riche marchand, entretenoit une concubine. Les Missionnaires lui représentèrent sa faute si vivement, qu'il la chassa. Cette malheureuse, pour se venger, alla accuser le père de ce Chrétien d'avoir chez lui des marchandises de contrebande. On fit la visite de sa maison; on trouva les marchandises, et comme on fouilla partout, on y trouva aussi des ornemens d'antel, et beaucoup d'autres choses propres des Chrétiens. La religion n'est n n'est que toléréé au Tunquin, et ce n'est qu'en secret qu'elle s'y prêche; ainsi l'avidité du pillage, d'autres disent encore, la crainte que le Roi a eue quand il a appris le nombre des fidèles qui sont dans ses états, a fait porter des arrêts terribles, et a causé les maux dont cette chrétienté est affligée. Je recommande à vos saintes prières, et à celles de votre pieuse et noble maison, cette mission si fort ensevelie dans les

[ocr errors]

ombres de la mort. Je m'y recommande en particu

lier moi-même, et suis avec beaucoup d'estime et de respect, etc.

LETTRE

Du père Gaubil, missionnaire de la Compagnie de Jésus, à M. de Nemond, archevêque de Toulouse.

De la province de Canton, ce 4 novembre 1722.

MONSEIGNEUR,

Il n'y a que peu de mois que je suis arrivé à la Chine, et en y arrivant j'ai été infiniment touché de voir le triste état où se trouve une mission qui donnoit, il n'y a pas long-temps, de si belles espérances, Des églises ruinées, des chrétientés dissipées, des Missionnaires exilés, et confinés à Canton premier port de la Chine, sans qu'il leur soit permis de pénétrer plus avant dans l'Empire, enfin, la religion sur le point d'être proscrite: voilà les tristes objets qui se sont présentés à mes yeux à mon entrée dans un Empire où l'on trouvoit de si favorables dispositions à se soumettre à l'évangile.

Deux de nos Missionnaires qui sont retenus à Canton ont profité de leur exil pour faire un bien solide, et qui mérite l'attention de ceux qui ont du zèle pour le salut des âmes: il n'y a point d'années qu'ils ne baptisent un grand nombre d'enfans moribonds,

Connoissant comme je fais les sentimens de Votre Grandeur, j'ai cru qu'elle verroit avec plaisir les bénédictions dont le Seigneur a favorisé l'industrie et les soins de ces deux Missionnaires, L'un

d'eux, nommé le père du Baudory, m'en a fait le détail dans une lettre que je prends la liberté de vous envoyer. La voici telle qu'il me l'a écrite depuis peu de jours.

Vous m'avez témoigné que je vous obligerois sensiblement de vous donner un détail exact de la bonne œuvre que Dieu nous a inspiré de faire à Canton, en assistant les enfans exposés, et en leur procurant le baptême. C'est une consolation que je n'ai garde de vous refuser. Il y a ici deux sortes d'enfans abandonnés : les uns se portent à un hôpital que les Chinois appellent Yio-gin-tang, c'est-à-dire, Maison de la miséricorde. Ils y sont entretenus aux frais de l'Empereur. L'édifice est vaste et magnifique l'on y trouve tout ce qui est nécessaire pour l'entretien de ces pauvres enfans; des nourrices pour les allaiter, des médecins pour les traiter dans leurs maladies, et des directeurs pour veiller au bon ordre de la maison. Les autres enfans exposés sont portés dans notre église; on les baptise et on les confie à des personnes sûres pour les nourrir, ainsi vous l'expliquerai dans la suite de cette lettre.

:

que je

Les enfans de l'hôpital ne se baptisent que lorsqu'on les voit près de mourir; on en donne avis à mon catéchiste, qui demeure dans le voisinage de l'hôpital, et qui va aussitôt leur conférer le baptême. C'est, comme vous voyez, un Chinois qui est chargé de cette fonction. Il ne seroit pas de la bienséance qu'un Européen, et surtout un Missionnaire, entrât dans une maison remplie de femmes d'ailleurs les mandarins ne manqueroient pas d'en être informés et l'expérience nous a appris qu'il est important que ces magistrats ignorent l'accès que nous avons dans cette maison. Ce que je ne puis donc faire par moimême, je le fais par le moyen d'un catéchiste zélé, qui est bien instruit de la manière d'administrer le baptême. On a soin d'écrire les noms de ceux qui meurent après l'avoir

reçu.

Vous me demanderez peut-être à quoi montent les frais que je suis obligé de faire pour soutenir cette bonne œuvre. Ils ne sont pas aussi considérables que vous pourriez l'imaginer. Il s'agit d'entretenir un ca→ téchiste, de faire quelques présens aux directeurs et aux médecins, de payer deux personnes qui ont soin d'avertir le catéchiste, dès qu'il se trouve quelque enfant dans un pressant danger de mort; de donner aussi quelque chose aux nourrices qui ont soin d'apporter et de remporter les enfans qu'on baptise. Le tout ne monte à guère plus de vingt taëls, qui font cent francs de notre monnaie ordinaire, et avec une si légère somme distribuée de la sorte, on a la consolation de placer chaque année un grand nombre d'enfans dans le ciel.

Ce fut l'année 1719 qu'on commença à établir cette œuvre de charité, et on conféra le baptême à cent trente-six enfans. Depuis le commencement d'avril jusqu'à la fin de décembre, on en baptisa cent quatorze; on en baptisa pareillement deux cent quarante-un en l'année 1721, et en cette année 1722, je compte déjà deux cent soixante-sept enfans qui sont morts après avoir reçu le baptême : comme il y a encore deux mois pour arriver à la fin de l'année, j'espère que le nombre de ces prédestinés ira au-delà de trois cents. Ce nombre des enfans régénérés, qui augmente chaque année, est une preuve assez sensible du soin que la Providence prend de ces pauvres orphelins.

Un autre trait de cette même Providence ne vous touchera pas moins. Lorsqu'on tourna ses vues du côté de cet hôpital, on crut que le moyen d'y réussir étoit de s'adresser au mandarin qui en avoit l'administration. On le visita; on lui fit des présens; on lui proposa le dessein qu'on avoit. Il parut l'approuver; il promit tout ce qu'on voulut, et ne tint rien de ce qu'il avoit promis. Nous commencions déjà à

perdre toute espérance, lorsqu'une prompte mort enleva tout à coup ce mandarin. Nous jugeâmes à propos de prendre d'autres mesures, et au lieu de nous adresser à son successeur, nous fimes parler aux directeurs de l hôpital. Nous convînmes avec eux d'une somme que nous leur donnerions chaque année, moyennant quoi l'entrée dans l'hôpital nous a été libre.

Une difficulté se présente d'abord à l'esprit, sur laquelle je dois vous donner quelque éclaircissement. Quoiqu'on ne baptise à l'hôpital que les enfans moribonds, il est vraisemblable que tous ces enfans ne meurent pas après le baptême reçu, et qu'il y en a quelques-uns qui échappent à la mort. En ce cas-là que deviennent-ils? S'ils passent entre les mains des infidèles, la grâce du baptême leur est inutile: marqués du sang de l'Agneau, il est difficile qu'ils profitent de ce bienfait, puisqu'apparemment ils n'en connoîtront jamais le prix.

Cet inconvénient est grand, je l'avoue; mais il n'est pas sans remède. Le catéchiste et moi nous avons une liste exacte des enfans baptisés et de ceux qui meurent après le baptême. On examine de temps en temps cette liste, et s'il y a quelques-uns de ces enfans qui reviennent de leur maladie, les économes, qui ont pareillement leurs noms, sont avertis de ne les pas donner aux infidèles qui viendroient les demander. Nous avons soin de les retirer de l'hôpital et de les placer chez des Chrétiens: ce sont de nouveaux frais qu'il faut faire; mais ils sont indispensables. Par-là on met le salut de ces enfans en sûreté, et l'œuvre de Dieu se fait sans inquiétude et sans scrupule.

Les enfans exposés qu'on nous apporte ne sont pas, à beaucoup près, en si grand nombre; cependant la dépense nécessaire pour leur entretien est incomparablement plus grande. Je baptisai l'année

« PrécédentContinuer »