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tomber insensiblement la conversation sur la religion chrétienne. Dieu lui donna si bien le don de la toucher, qu'elle demanda instamment le baptême. Elle oblint ce qu'elle demandoit, et même ce qu'elle ne demandoit pas : car le jour qu'elle reçut le baptême, elle fut en même temps parfaitement guérie de son mal.

Sa bru, qui fut témoin de ce prodige, prit aussi la résolution de se faire chrétienne. Elle étoit étique depuis long-temps, et sa phthisie augmentoit tous les jours. Elle se fit instruire, apprit par cœur les prières ordinaires, et fut baptisée. La nuit suivante, sur les onze heures, elle sort du lit, fait lever son mari et les serviteurs, leur ordonne d'exposer sur la table les saintes images dont on lui avoit fait présent quand on la baptisa, d'allumer des cierges, et de rendre de très-humbles actions de grâces à Dieu qui l'appeloit au ciel. A peine achevoit-elle de donner ses ordres, qu'elle expira.

Une mort si prévue et si douce donna de la joie à toute la famille, et excita dans sa belle-mère un ardent désir de faire une fin semblable. Quelques mois après, ses souhaits furent exaucés: car ayant été reprise de son flux de sang et sentant peu à peu diminuer ses forces, elle fit venir son fils, et lui ordonna de courir à l'église, pour avertir un des pères de la venir voir. Aussitôt après, elle fit mettre son lit sur le carreau de sa chambre par esprit d'humilité et de pénitence chrétienne, et là les yeux et les mains levés au ciel, déclarant qu'elle ne vouloit servir que le seul vrai Dien, elle rendit le dernier soupir. La mort de la mère et celle de la bru touchèrent extrêmement toute la famille, qui renonça aussitôt à l'idolâtrie et se disposa à recevoir le baptême.

La même grâce se communiqua bientôt au voisinage. Une fille idolâtre, qui étoit à la veille de se

marier, fut prise tout à coup d'un mal, où les médecins épuisèrent inutilement tout leur art. On prétendoit que c'étoit une obsession du malin esprit. Un de ses voisins qui venoit d'être baptisé, prit un ancien Chrétien avec lui, et ils allèrent ensemble consoler la famille affligée. Comme ils étoient persuadés du pouvoir que le caractère de Chrétien donne sur les démons, ils récitèrent d'abord quelques prières; ensuite entrant dans la chambre de la malade, son accès lui prit devant eux avec d'étranges convulsions. Mais sitôt qu'ils lui eurent parlé de la religion sainte qu'ils professoient, elle revint à elle et parut tranquille. La mère en fut surprise, et eut envie de se faire baptiser; mais son envie passa bientôt, car elle retourna à ses premières superstitions. Le mal reprit aussitôt à sa fille, et elle en fut plus tourmentée que jamais. La mère ne s'en prenant qu'à elle-même, envoie chercher les Missionnaires, brise en leur présence toutes ses idoles, et les jette par la fenêtre. Après s'être fait instruire des vérités de la religion, elle a été baptisée, elle, sa

fille et toute sa maison.

Les remèdes qu'on nous a envoyés d'Europe, et que nous donnons à ces pauvres idolâtres pour le soulagement de leurs corps, servent encore plus à la guérison de leurs âmes. Nous éprouvons tous les jours que Dieu bénit nos soins, surtout à Pekin, où l'on vient en foule nous demander de ces remèdes.

Je ne dois pas oublier ici les services importans que rendent à la religion nos frères Bernard Rhodes et Pierre Frapperie, qui, par le moyen des mêmes remèdes qu'ils distribuent, ont eu óccasion de baptiser deux enfans moribonds de la famille impériale. L'un étoit petit-fils de l'Empereur par son troisième fils, et l'autre sa petite-fille par un petit roi tartare. L'un et l'autre sont maintenant au ciel.

Nous avons perdu vers les frontières de Tartarie

le père Charles Dolzé, homme d'esprit, d'un excellent naturel, et d'une piété rare. Pour se faire à la fatigue des missions auxquelles il se sentoit destiné, il en avoit entrepris plusieurs en différentes villes de France, où il avoit fait beaucoup de fruit. Dès qu'il mit le pied dans la Chine, sa santé s'affoiblit peu à peu, et le travail de Missionnaire joint à l'étude de la langue et des caractères du pays, où il s'étoit rendu très-habile malgré les difficultés qu'y trouvent les étrangers, lui causa une hydropisie, dont il avoit déjà eu quelques attaques dans sa jeunesse. Son mal se déclara à Pekin. On lui donna de nos remèdes d'Europe l'Empereur même qui le considéroit, lui en envoya de son palais, et ordonna à ses médecins de le visiter. Tout cela le soulagea, mais ne le guérit pas. Les médecins jugèrent que l'air de Tartarie lui seroit meilleur que celui de la Chine : dernier remède qu'ils conseillent aux malades de langueur, dont quelques-uns se trouvent bien. Le père Dolzé changea d'air, et ne s'en trouva pas mieux. Il fit paroître une patience héroïque durant le cours de sa maladie, et ne garda jamais le lit, toujours s'occupant de la prière ou s'employant aux exercices de la charité. Et c'est ainsi qu'il a consommé une vie pleine de vertus et de bonnes

œuvres.

LETTRE

Du père Bouvet, Missionnaire.

En l'année 1706.

DIEU continue de répandre ses bénédictions sur la

nouvellé confrérie de la Charité, que nous avons érigée à Pekin, sous le titre du saint Sacrement. Je

ne doute point que vous n'approuviez le plan de cette institution, dont la fin principale est d'étendre de plus en plus le royaume de Jésus-Christ dans ces terres idolâtres.

Le Pape nous ayant accordé tous les pouvoirs nécessaires avec des indulgences considérables pour les vivans et pour les morts, en faveur de tous les confrères, nous ouvrîmes notre première assemblée par une messe solennelle, à la fin de laquelle le père Gerbillon fit un discours fort touchant. Pour faire estimer davantage le bonheur de ceux qui sont agrégés dans cette confrérie, on a jugé qu'il n'étoit pas à propos d'y admettre indifféremment tous ceux qui se présenteroient. Ainsi nous avons fait entendre aux Chinois, que cette grâce ne seroit accordée qu'à ceux qui joindroient à une vie exemplaire, un zèle ardent pour le salut des âmes, et qui auroient assez de loisir pour vaquer aux diverses actions de charité qui y sont recommandées. On s'est donc contenté d'abord d'y recevoir seulement vingt- six des Chrétiens les plus fervens: vingt-six autres leur ont été associés, pour les aider dans leurs fonctions, et pour se disposer à être reçus dans le corps de la confrérie, quand ils auront donné des preuves de leur piété et de leur zèle.

Afin de n'omettre aucune des actions de charité qui sont ici les plus nécessaires, et pour se confor mer en même temps aux pieuses intentions du souverain Pontife, on a cru devoir partager cette confrérie en quatre classes différentes, selon les quatre sortes de personnes qui ont le plus de besoin de secours; et on a choisi un patron pour chaque classe.

La première, est de ceux qui doivent s'employer auprès des fidèles adultes. Leur patron est saint Ignace. Ils sont chargés d'instruire les néophytes, soit par eux-mêmes, soit par le moyen des caté

chistes; de ramener dans la voie du salut ceux qui s'en seroient écartés, ou par lâcheté, ou par quelque déréglement de vie; enfin de veiller sur les Chrétiens à qui Dieu donne des enfans, pour s'assurer qu'ils ne manquent point à leur procurer de bonne heure la grâce du baptême.

Dans la seconde, sont ceux qui doivent veiller à l'instruction des enfans adultes des Chrétiens, et les conduire tous les dimanches à l'église pour y être instruits des devoirs du christianisme. Et comme il s'expose tous les jours un nombre incroyable d'enfans dans cette grande ville, qu'on laisse mourir impitoyablement dans les rues, ceux qui composent cette classe, sont chargés du soin de leur administrer le saint baptême. Ils sont sous la protection des saints Anges gardiens.

Dans la troisième classe, sont compris ceux dont la charge est de procurer aux malades et aux moribonds tous les secours spirituels qui leur sont nécessaires pour les préparer à une sainte mort. Leur fonction est d'avertir les Missionnaires, lorsque quelqu'un des fidèles est dangereusement malade; d'assister les moribonds à l'agonie et lorsqu'on leur administre les derniers sacremens ; de les ensevelir quand ils sont décédés; de présider à leur enterrement et de les secourir de leurs prières; enfin, d'avoir un grand soin qu'on ne fasse aucune cérémonie su perstitieuse à leurs obsèques. Saint Joseph est lé patron de cette classe.

Enfin ceux de la quatrième classe, sont princi palement destinés à procurer la conversion des infidèles. Ils doivent par conséquent être mieux instruits que le commun des Chrétiens, et se faire une étude plus particulière des points de la religion. Et pour cela ils sont obligés de s'appliquer à la lecture des livres qui en traitent, d'être assidus aux instructions qui se font dans nos églises, pour jeter ensuite

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