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dernière dans notre église quarante-cinq de ces enfans, qui moururent peu de jours après la grâce qu'ils venoient de recevoir. J'en ai baptisé cette année trente en dix mois. Au commencement nous n'en baptisions guère que cinq ou six par an; mais j'ai lieu de croire que désormais le nombre montera tous les ans à soixante et davantage.

Si j'avois des fonds suffisans, j'entretiendrois des catéchistes, comme on fait à Pekin, et je les enverrois dans tous les quartiers de la ville où l'on a accoutumé d'exposer les enfans. Je pourrois même, avec une somme assez modique, procurer le baptême aux enfans des infidèles qui sont sur le point d'expirer. Ce sont là les seules occasions où ma pauvreté me fait une véritable peine.

Dès qu'on apporte un enfant, nous le baptisons et nous lui cherchons une nourrice. On ne donne que vingt-cinq sous par mois à chaque nourrice; mais il faut fournir le linge et les remèdes quand ils sont malades. Au commencement, c'étoit une affaire que de chercher des nourrices : maintenant j'en trouve plus que je n'en veux. De même, il falloit autrefois envoyer chercher les enfans dans les endroits où on les expose; au lieu qu'à présent les infidèles nous les apportent eux-mêmes, parce qu'ils voient que leur peine est payée. Cela n'empêche pas que plusieurs n'échappent à notre vigilance. Rien de plus ordinaire que de les voir flotter sur la rivière, ou entraînés par le courant. Les uns sont secourus, les autres sont abandonnés. Il y a quelques mois que je fus témoin d'une chose en ce genre assez singulière. On portoit un enfant qui étoit encore en vie pour l'enterrer: un Chrétien, qui s'en aperçut, demanda l'enfant et promit de le nourrir : on n'eut pas de peine à le lui livrer; il l'apporte aussitôt à l'église, on le baptise, et au bout de deux jours il meurt.

Ce n'est pas assez de placer ces enfans et de leur

procurer des nourrices, il faut de temps en temps les visiter, et surtout s'assurer de la probité et de la bonne foi de ceux à qui on en confie le soin. Faute de cette précaution, on s'expose quelquefois à de f⬠cheux inconvéniens.

Quand un enfant se porte bien, et qu'il y a lieu d'espérer qu'il vivra, je m'en délivre le plutôt qu'il m'est possible, soit en le donnant à quelque Chrétien qui veut bien s'en charger, soit en lengageant par quelque gratification à le prendre. Je ne vous marque point ce qu'il en coûte par an pour l'entretien de ces enfans, et il ne seroit pas aisé de le faire: cela dépend de leur nombre, et de certains frais qui surviennent de jour à autre, auxquels on ne s'attend pas. Mais comment fournir à ces frais, me direz-vous? Ah! mon cher père, qu'il est difficile qu'en ces occasions un Missionnaire ne donne pas une parție de son nécessaire! D'ailleurs, quelques personnes pieuses qui cherchent à s'attirer des protecteurs dans le ciel, procurent par leurs libéralités à ces petits innocens l'application du sang de l'adorable Rédempteur et vous m'avouerez que leurs aumônes ne sauroient être plus sûrement employées.

Comme je mets toute ma confiance en la divine Providence, je ne refuse aucun des enfans qu'on m'apporte, et actuellement j'en ai dix-huit que je fais nourrir. Ce qu'il y a de consolant dans une occupation si sainte, c'est que l'on pratique en même temps les œuvres de miséricorde spirituelle et corporelle, et que la charité qui s'exerce à l'égard de ces infortunées victimes de la cruauté de leurs parens, regarde directement la personne du Fils de Dieu, ainsi qu'il nous l'assure lui-même en nous disant: << Toutes les fois que vous avez fait ces choses » à l'un de mes frères que voilà, vous me les avez » faites à moi-même. » Quamdiù fecistis uni ex his, fratribus meis, mihi fecistis. (Matt. 25. 40).

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Ici, Monseigneur, finit la lettre du père du Baudory. Comme je suis nouveau venu à la Chine, je n'ai encore rien fait dont je puisse vous rendre compte. J'y supplée par ce petit détail que j'ai l'honneur de vous envoyer. Je suis avec le plus profond respect, etc.

LETTRE

Du père Parennin, missionnaire de la Compagnie de Jésus, à Messieurs de l'Académie des Sciences, en leur envoyant une traduction qu'il a faite en langue tartare de quelques-uns de leurs ouvrages, par ordre de l'Empereur de la Chine; et adressée à M. de Fontenelle, de l'Académie Française, et Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences.

MESSIEURS,

er

A Pekin, le 1. mai 1723.

Vous serez peut-être surpris que je vous envoie de si loin un traité d'anatomie, un corps de médecine, et des questions de physique écrites en une langue, qui, sans doute, vous est inconnue; mais votre surprise cessera quand vous verrez que ce sont vos propres ouvrages que je vous envoie habillés à la tartare. Oui, Messieurs, ce sont vos pensées et vos ingénieuses découvertes, dignes fruits de cette continuelle application à laquelle les sciences doivent ce haut point de perfection où nous les voyons; ce sont, dis-je, ces découvertes qui ont réveillé chez tant de peuples le goût d'une étude également utile et agréable. Ils ont su profiter de vos premiers soins par les traductions qu'ils ont faites de vos ou

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