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verité sont confondus par une main adroite, l'esprit a peine à les demesler, et ne se porte pas aisément à destruire ce qui luy plaist... Plus les avantures sont naturelles, plus elles donnent de satisfaction...

Entre tant de rares choses, celle que j'estime le plus, est qu'il 'scait toucher si délicatement les passions, qu'on peut l'apeller le Peintre de l'ame. Il va chercher dans le fond des cœurs les plus secrets sentimens; et dans la diversité des naturels qu'il représente, chacun trouve son portrait...

Il n'est rien de plus important, dans cette espèce de composition, que d'imprimer fortement l'idée, ou pour mieux dire l'image des heros, en l'esprit du lecteur : mais en façon qu'ils soyent comme de sa connaissance : car c'est ce qui l'intéresse en leurs avantures... Or pour les faire connoistre parfaictement, il ne suffit pas de dire, combien de fois ils ont fait naufrage, et combien de fois ils ont rencontré des volleurs mais il faut faire juger par leurs discours, quelles sont leurs inclinations.

SCUDERY, Ibrahim, préface.

1. Il s'agit d'Honoré d'Urfé, dont le roman l'Astrée est, selon Scudéry, le modèle du genre.

CHAPITRE IV

LE BURLESQUE

I. Les principaux éléments du burlesque. (p. 56.) Recherche des termes surannés. (p. 57.)

II.

III. Emploi de locutions populacières, du jargon des Halles. (p. 59.)

IV. Parodie qui consiste à prêter le « langage des harengères et des crocheteurs >> aux héros de l'antiquité. (p. 61.)

V. Défense et définition du « fin burlesque.» (p. 61.)

TEXTES CITÉS

PELLISSON: Argument de la Défense des bouts-rimez. (Les OEuvres de M. Sarrasin), 1656.

BALZAC : Entretiens. (OEuvres, 1657.)

LE P. FR. VAVASSEUR: De ludicra dictione, 1658.

SCARRON Epitre à M. d'Aumale d'Haucourt. (Les OEuvres burlesques, IIIo partie, 1651.)

SCARRON Ode à M. Maynard. (La suite des OEuvres burlesques, IIe partie, 1648.)

BOILEAU Art poétique, 1674.

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Première préface du « Lutrin, » 1673.

D'ASSOUCY, Aventures d'Italie, 1677.

I.

Les principaux éléments du burlesque.

Ac nostri quidem isti, qui se lepidos et facetos esse volunt, scriptores ita demum de hoc assequi posse existimant, si priscis et obsoletis, et a patrum vel majorum ultima repetitis memoria, tum verbis, tum locutionibus utantur, quibus orationem non aspergant tantum, aut distinguant, aut interpolent, verum etiam continenti et perpetuo quodam filo contexant totam. Faciunt deinde, idque sæpius, ut ex ore infimæ multitudinis arripiant vilissimum quemque et abjectissimum, et maxime ridiculum sermonem, eoque libros sermone componant, et emittant in publicum, quos quandiu legas, tandiu vendentes olus in foro, aut scruta, aut salsamenta mulierculas putes loqui... Nec vero satis habent inepte cogitata sua ineptis efferre verbis, inepta dictione nisi scripta etiam summorum poëtarum, plena prudentiæ, plena gravitatis, mimice et scurriliter tractent, detorquendis aliorsum carminis sententiis; neque tam latina bona pessime in Gallicum, quam seria in jocum illiberalem, atque in vanos futilesque risus convertant1.

LE P. FR. VAVASSEUR, De ludicra Dictione,

œconomia operis et partitio.

1. Quelques-uns de nos écrivains qui veulent se rendre comiques et plaisants, pensent atteind e ce but en se servant de locutions et de mots anciens et surannés qu'ils empruntent au passé mème le plus lointain : ils ne se contentent pas d'en émailler leur style et de les y mêler, pour lui donner du piquant, mais ils en composent tout leur discours, comme d'une trame continue et sans fin. Ils font plus, et plus souvent encore, de la bouche de la plus infime populace, ils arrachent le langage le plus vil, le plus bas et le plus ridicule, et de ce langage ils font et donnent au public des livres tels qu'en les lisant, il semble qu'on entende parler les femmes qui vendent dans les carrefours de l'huile, des vieilles nippes et des salaisons... Et ce n'est pas assez pour eux d'exprimer en mots absurdes, en un langage absurde leurs absurdes inventions il faut qu'ils travestissent en parodies et en bouffonneries les écrits pleins de sagesse et de gravité des plus grands poètes de ce qui est bon en latin, ils font du pire en français, ou plutôt ils tournent les pensées sérieuses en plaisanteries grossières, en vaines et futiles drôleries.

II. - Recherche des termes surannés.

Dans ce chapitre, je ne suis que le greffier de mon amy, et... je vous rapporte fidelement son avis sur la question du stile Burlesque...

<< Ne sçauroit-on rire en bon François et en stile raisonnable ? Pour se rejouir, faut-il aller chercher un mauvais jargon dans la mémoire des choses passées et tascher de remettre en usage des termes que l'usage a condamnez? Est-il impossible de donner un spectacle aux subjets de Louis quatorziesme, à moins que de remüer un phantosme qui représente le regne de Francois premier, a moins que d'evoquer l'ame de Clement Marot et de desenterrer une langue morte? ou, ce que je trouve plus mauvais, à moins que de confondre les deux langues...

<< Pour ne rien dire de pis de cette sorte de raillerie, elle sent plus la Comedie que la Conversation, et plus la Farce que la Comedie. Ce n'est pas railler en honneste homme. Madame Des-Loges disoit qu'elle aimeroit autant voir faire l'Yvroigne ou le Gascon', et le gros Guillaume 2, comme vous sçavez, reussissoit admirablement en l'un et en l'autre. Mais elle disoit bien davantage, elle n'estimoit pas plus un pareil jargon qu'une espée de bois au costé et de la farine sur le visage... »

Ce sont les sentimens de mon Amy, que j'appelle mon Amy severe. Une autre fois vous sçaurez les miens, dans lesquels je garde quelque temperament entre la trop grande indulgence et la trop grande severité. Comme je n'approuve pas le mauvais goust du Vulgaire, je ne suis pas ennemy de tous ses plaisirs. Il y a des badineries qui sont tout-à-fait insupportables et qui offensent l'esprit; il y en a qui l'amusent agreablement et qui ne sont

1. Types populaires du théâtre de la foire.

2. Farceur fameux, associé de Gaultier-Garguille.

pas à rejetter... Dans les plus viles matieres, il se trouve quelque prix et quelque valeur. Et s'il faloit irremissiblement que le stile de Marot et que le genre Burlesque perissent, je serois de l'advis de Monsieur le Marquis de Montauzier: En cette generale prescription, je demanderois grace pour les Avantures de la Souris1, pour la Requeste de Scarron au Cardinal et pour celle des Dictionnaires de l'Académie 2.

Peut-estre qu'il y auroit d'autres pieces de cette nature qu'il faudroit sauver : mais je n'en ay voulu proposer que trois, de peur de la conséquence: ce sont des actions dont il n'est pas permis de faire des habitudes. L'exemple en seroit dangereux, il nous rejetteroit dans la Barbarie, d'où nous avons tant de peine à nous tirer. Qu'elles soient donc rares et singulieres ces actions dangereuses Que l'espece s'en conserve dans deux ou trois individus sans multiplier jusqu'à l'infini.

On peut se travestir et se barbouiller en Carnaval, mais le Carnaval ne doit pas durer toute l'année. On peut dire une fois en sa vie Monsieur le Destin et Dame Junon; trousser en male et faire flores; mais de ne dire jamais autre chose, mais d'amasser toute la bouë et toutes les ordures du mauvais langage pour salir du papier blanc, c'est ce que je ne sçaurois trouver bon en la personne du meilleur de mes amis. Si cette licence n'estoit arrestée, elle iroit bien plus avant. A la fin, il se trouveroit des esprits si amateurs des vilaines nouveautez, qu'ils voudroient introduire à la Cour la langue des Gueux et celle des Bohemes 3.

BALZAC, Entretien XXXVIII: Du stile burlesque.

1. Il s'agit sans doute de l'aimable Galanterie adressée par Sarrasin à une dame à qui on avail donné en raillant le nom de souris. (Œuvres, 1656.) 2. De Ménage, 1638.

3. A la suite de cette lettre, Balzac ayant demandé : Quid de ludicro hoc ludo sentiat Vavassor... donna à cet érudit l'occasion de composer le traité De ludicra Dictione, dont nous avons cité tout à l'heure un passage.

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