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nostre climat, que, hors de deux personnes, dont la France veut que je sois l'une, chacun sçait que tout ce qui s'est meslé de ce Burlesque, n'a fait que barbouiller du papier, et c'est sous la foy de cette multitude de meschans vers qui pourtant, tous meschans qu'ils soient, n'ont point infecté ny donné la peste à personne, mais qui ont ennuyé et importuné bien des gens, que ce terrible ennemy du Burlesque a dit que nostre Parnasse parloit le langage des halles... Mais ny Scarron ny moy n'avons jamais parlé ce langage, et, si par hasard nous l'avons quelquefois employé, ce n'a pas esté par ignorance, mais par jugement, par choix et de propos délibéré, comme on peut voir par cet exemple où je décris la metamorphose de Sirinx en rozeaux poursuivy par le Dieu Pan :

Ce dit, il l'alloit deflorer,

Mais, quand ce vint au perforer,
Embrassant la Nymphe trotiere,
Il ne trouva plus que flutiere.

Cecy est sans doute bien pire que le langage des halles; mais je défie le François le plus pur d'exprimer si bien cette action que ce langage de Larty', qui n'est commun qu'à ceux qui entriment sur le ligourt et le passe ligourt2; tout est bon dans le Burlesque, pourveu qu'il soit bien mis en œuvre, et qu'il soit bien appliqué; mais cette sorte de composition est sujette à des loix bien plus severes qu'on ne pense. On dit que voyageant en Espagne il faut faire dix lieues avant que de trouver un clocher; mais, dans le païs Burlesque, au lieu que la satyre n'a pour tout sel que sa malignité et son coup de dent, il faut que ce sel se trouve par tout, et que le bon mot se rencontre à chaque pas outre cela, ce n'est pas encore assez qu'il soit fin dans ses pensées et plaisant dans ses rencontres, il faut que, sur peine de servir de bouffon aux laquais et de diver

1. L'argot.

2. Ceux qui vagabondent sur les routes et les grands chemins?

tissement aux servantes, il suive de bien près l'héroïque, non-seulement dans la pureté de la diction, mais dans la force de l'expression, qu'il soit concis, figuré et encore mistique, s'il est possible, comme on peut voir dans tous mes ouvrages burlesques, où le sens qui est caché vaut souvent mieux que le sens littéral... Aussi ce n'est pas pour tout le monde que j'escris ainsi, mais seulement pour ceux qui ont assez de finesse pour me déchiffrer. Ce n'est pas encore tout, car comme il n'est rien de plus ennuyeux que d'ouïr toûjours une mesme chanson, il faut que le niaïs, le naïf, le fin et le plaisant, comme le Trivelin, le Docteur, le Harlequin et le Briguelle, y montrent leur caractère different, et fassent leur personnage tour à tour; et si l'on me demande pourquoy ce Burlesque qui a tant de parties excellentes et de détours agréables, après avoir si longtemps diverty la France, a cessé de divertir nostre Cour, c'est que Scarron a cessé de vivre et que j'ai cessé d'escrire.

D'ASSOUCY, Aventures d'Italie, chap. xI.

LIVRE II

Les Précurseurs de l'idéal classique.

CHAPITRE I

MALHERBE

I. La poésie n'est qu'un divertissement et ne requiert que de l'habileté. (p. 68.)

II.

La poésie doit être raisonnable et ne diffère de la prose que par le « nombre ». (p. 69.)

III.

La poésie doit parler, non une langue spéciale, mais la langue dont se servent à la fois le peuple et la Cour; proscription des « adjectifs substantivés », des participes pris adverbialement, etc. (p. 70.)

IV.

V.

Les qualités du style poétique sont la clarté, ✓ la sobriété, la propriété des mots. (p. 72.)

Epuration de la langue. Malherbe proscrit les mots archaïques, dialectaux, techniques, nouveaux, composés; il condamne l'omission des articles et pronoms. (p. 73.)

VI.

Sévérité de Malherbe au sujet de la rime (il faut rimer pour les yeux en même temps que pour l'oreille), de la césure, de l'enjambement. cription des « licences poétiques ». (p. 78.)

Pros

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TEXTES CITÉS

MALHERBE Commentaire sur Desportes, publié partiellement en 1825, intégralement de 1862 à 1869.

RACAN

Vie de Malherbe, vers 1651 1.

Lettre XI, à Chapelain, vers 1656 2. DEIMIER Académie de l'art poétique, 16103.

I.

:

La Poésie n'est qu'un divertissement, et ne requiert que de l'habileté.

Voyez-vous, Monsieur, si nos vers vivent après nous, toute la gloire que nous en pouvons espérer est qu'on dira que nous avons été deux excellents arrangeurs de syllabes, et que nous avons eu une grande puissance sur les paroles, pour les placer si à propos chacune en leur rang, et que nous avons été tous deux bien fous de passer la meilleure partie de notre âge en un exercice si peu utile au public et à nous, au lieu de l'employer à nous donner du bon temps, ou à penser à l'établissement de notre fortune. RACAN, Vie de Malherbe.

Il disoit que « c'étoit sottise de faire des vers pour en espérer autre récompense que son divertissement, et

1. Les Mémoires sur la vie de Malherbe, tronqués et épurés, ont été publiés pour la première fois en 1672, dans les Divers traités d'histoire, de morale et d'éloquence de l'abbé d'Ussans. Mais ils sont cités dès 1653 par Pellisson (Relation de l'histoire de l'Académie), par Tallemant (Historiettes), en 1657, et par Ménage (Ed. de Malherbe) en 1665. L'abbé d'Olivet, dans sa Continuation de l'histoire de l'Acad., en signale par erreur une édition de 1651, in-12. M. Tenant de Latour en a publié le texte intégral dans son édition des OEuvres de Racan, en 1857.

2. M. Tenant de Latour a publié dans son édition des OEuvres de Racan quelques lettres intéressantes de ce poète retrouvées par lui dans les manuscrits de Conrart. La lettre dont il s'agit ici n'est pas datée.

3. M. Brunot, dans sa savante thèse, La Doctrine de Malherbe, a eu raison d'écrire que Deimier peut « être soupçonné d'avoir écrit sous l'influence de Malherbe ». Ce poète, en effet (1570-1618), quoique n'ayant jamais compté parmi les disciples du réformateur, n'en a pas moins exprimé avec bonheur, dans son Académie de l'art poétique, la plupart des théories chères à Malherbe, et que celui-ci ne nous a pas livrées sous une forme didactique.

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