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et me suis convaincu par là que l'ouverture de cette passe et les mouvements de sable dont nous venons de parler, devaient être attribués principalement au rétrécissement de la passe du S., qui provient lui-même du prompt déplacement de la partie méridionale du banc de Matoc, sous l'action prolongée de vents impétueux de l'O. et du N. O.

On m'a assuré que la passe du S. avait commencé à se rétrécir dès l'année 1827, à la suite de très-mauvais temps, que le courant de flot y était devenu de moins en moins sensible, et que vers 1831 elle était fermée en grande partie. Avant 1826, le banc de Matoc s'avançait graduellement vers la côte, qui se reculait elle-même peu à peu vers l'E., pour laisser toujours libre le passage par où s'écoulaient les eaux du bassin; et l'espace ainsi parcouru par ce banc, de 1768 à 1826, peut être évalué à 800 mètres; de sorte que, dans la période des soixante années qui ont suivi la date du plan de M. de Kerney, la passe du S. s'est trouvée transportée à l'E. de toute cette quantité, aux dépens des dunes qui lui servaient primitivement de limites. Mais, dans ces derniers temps, ce transport graduel de la passe du S. paraît avoir été troublé tout à coup par un mouvement très-rapide du banc de Matoc, qui a considérablement rétréci cette passe et diminué, par suite, la vitesse des eaux qui y pénétraient de mer montante. On a dès lors remarqué que la passe de la Canonnière devenait plus profonde et plus large; ce double effet résultait naturellement de ce que la masse des eaux 1, qui entre dans le bassin et qui en sort à chaque marée, avait cette passe pour principale issue. On a en même temps observé que le cap Ferret, se trouvant plus exposé à l'action des courants de flot et de jusant, se détruisait, peu à peu, ayant ainsi un mouvement rétrograde, après avoir marché constamment vers le S., depuis un temps immémorial. La côte opposée a dù

1 Les marées ordinaires introduisent dans le bassin d'Arcachon, à partir du cap Ferret, 170 millions de mètres cubes d'eau.

au contraire se retirer vers l'E., principalement aux environs. du Pilat, où les courants qui entrent dans le bassin sont obligés de se détourner tout à coup, pour suivre une direction perpendiculaire à celle de la passe de la Canonnière. Aussi ai-je reconnu qu'une zone de sable, large de près de 300 mètres, avait été enlevée aux semis du gouvernement, depuis la rade de Moullo jusqu'au delà du Pilat.

Ce que nous venons de dire prouve que tout a concouru, depuis huit ans, pour agrandir l'ouverture du bassin; et comme il y a lieu de penser que cet état de choses, bien qu'il soit accidentel, ne va pas cesser de suite; il faut s'attendre à voir le cap Ferret remonter encore vers le N., pendant que la côte opposée continuera à s'enfoncer un peu vers l'E. En 1835, j'ai trouvé le cap Ferret à 1040 mètres de la position qu'il occupait en 1826, et le corps de garde du Pilat, qui n'existe plus maintenant, se trouvait, en 1826, à 280 mètres dans l'O. de la côte actuelle.

Ainsi l'entrée du bassin, qui avait à peine 1,000 mètres de largeur en 1826, en a maintenant 2,320 ; et ses limites s'éloignent toujours l'une de l'autre d'une manière assez sensible, surtout dans les grandes marées et aux approches du plein de l'eau, lorsque la mer vient battre les escarpements verticaux. du cap Ferret et du rivage situé du côté du Pilat. J'ai vu plusieurs fois, dans ces circonstances, le sable, miné peu à peu par les lames, s'ébouler par petites masses, que la fin du flot emportait dans l'intérieur du bassin, et que le jusant ramenait bientôt en presque totalité vers l'extérieur.

Ceci explique la formation de ces bancs, qu'on aperçoit maintenant au-dessus du niveau de la basse-mer de grande marée, dans le S. O. de la pointe de Bernet, bancs qui n'existaient

Un aussi grand changement dans l'ouverture du bassin n'a pas eu d'influence sensible sur l'heure du plein de la mer et la hauteur de la marée dans la rade intérieure. Car j'ai obtenu, pour l'établissement et l'unité de hauteur, les mêmes résultats que ceux qui ont été déduits des observations de marée faites en 1826.

pas en 1826, et qui ont envahi la partie septentrionale de la rade de Moullo. Les sables enlevés aux rives de l'entrée se sont aussi répandus dans l'ancien chenal situé sous le Pilat, et l'ont comblé au point qu'il ne reste que 45 à 50 pieds d'eau, dans un espace où l'on en trouvait 90 en 1826; ils ont en même temps formé les bancs qui se rattachent au cap Ferret, et parmi lesquels nous signalerons le banc d'Arguin comme étant le plus dangereux. Enfin, c'est à ces sables qu'il faut attribuer l'exhaussement du grand banc de Matoc, dont plusieurs points couvrent à peine dans les marées de quartier.

Les grands mouvements de sable dont il est question n'ont cependant pas fermé la communication entre la rade de Moullo et la grande rade intérieure. On trouve au S. du Banc-Blanc ou Musela-du-Sud une passe qui joint ces deux rades et où il ne reste pas moins de 16 à 17 pieds d'eau, lors des basses> mers équinoxiales. Le seul inconvénient que présente cette passe tient à son peu de largeur et par conséquent à la difficulté d'y louvoyer.

Quant à la rade intérieure, elle est encore à peu près telle que M. Beautemps-Beaupré l'a décrite, moins spacieuse que beaucoup de personnes le supposent, mais profonde, parfaitement sûre et très-précieuse pour le commerce de la Teste, qui devient de jour en jour plus important. Il est à remarquer que, de toutes les parties du bassin, cette rade est peut-être la seule qui ait conservé sensiblement le même état, après un long espace de temps.

Je n'entrerai pas dans de plus longs détails sur les changements extraordinaires produits par le déplacement rapide du banc de Matoc. Ce que j'ai dit me paraît suffire pour montrer l'extrême mobilité des sables du bassin d'Arcachon et le peu de probabilité que la France y possède jamais une position maritime invariable qui puisse convenir à des bâtiments de guerre de toute grandeur. Ce bassin serait toujours d'un accès difficile et parfois impossible, lors même qu'on y pénétrerait par une passe large et profonde; car il existera, dans tous les cas,

à son entrée une barre que l'état de la mer ne permettrait certainement pas de franchir, quand les vents du large viennent à souffler avec violence; il arriverait, dans cette circonstance, ce que j'ai vu du haut des dunes, en observant la passe de la Canonnière un jour où les vents de N. O. agitaient fortement la mer: de grands brisants faisaient alors disparaître toute apparence de passage depuis le mail du N. jusqu'au mail du S., et couvraient ainsi toute l'étendue de la barre.

Le fait que je cite est loin de justifier l'opinion de MM. Fonfrède et Mareschal, qui regardent la passe de la Canonnière comme praticable et facile même dans les plus mauvais temps, parce qu'ils ont vu un chasse-marée courir aisément des bordées dans cette passe un jour où le vent soufflait avec force, d'une direction qu'ils n'indiquent pas. Mais ils n'ont pas remarqué que, par cela seul que le bâtiment était obligé de louvoyer pour entrer, les vents devaient venir de terre. II n'est donc pas surprenant que la mer ne leur ait pas paru grosse, bien qu'elle brisât sur les bancs qui la limitent,

L'entrée du bassin présente des dangers justement redoutés des hardis pêcheurs de la Teste, et dont il n'est malheureusement plus possible de contester la réalité après les événements désastreux qui s'y sont passés à différentes époques. Ces dangers, dépendant principalement de l'état de la mer sur la barre, deviennent tellement graves, dans quelques circonstances, que je crois devoir insister fortement près des navigateurs pour les engager à éviter soigneusement de se laisser surprendre à proximité du bassin par de grands vents du large; car il arriverait souvent, en pareil cas, que d'un côté la prudence les empêcherait de donner dans la passe, de la violence des brisants sur la barre, et que de l'autre ils courraient le risque de ne pouvoir s'élever assez au vent pour s'éloigner du rivage.

à cause

Malgré les graves inconvénients dont je viens de parler, je reconnais cependant que le bassin d'Arcachon offre une po

la

sition extrêmement utile au commerce et qui serait d'un bien grand secours en temps de guerre, parce qu'on ne peut pas bloquer.

Aussi, dans la supposition où votre excellence approuverait les observations que j'ai encore à lui présenter sur l'indication de la passe au moyen de balises placées sur les dunes, je crois devoir l'engager à faire sentir à la direction des ponts et chaussées la nécessité d'organiser dès à présent un service régulier et bien entendu pour l'entretien de ces balises, et le déplacement qu'il faut leur faire subir quand un mouvement dans les bancs apporte quelques modifications dans le régime de la passe.

Je pense qu'il serait bon d'adopter un projet de M. Billaudel dont j'ai reçu communication vers la fin de ma mission1; il consiste à confier le soin des balises à un entrepreneur particulier, qui serait tenu non-seulement de les réparer, mais encore de les changer de position aussitôt que les pilotes auraient reconnu et démontré l'utilité de leur déplacement dans un rapport adressé au commissaire de la Teste. On arriverait ainsi à faire exécuter l'opération du balisage avec toute la célérité que réclame impérieusement la sûreté des navigateurs. Mais il ne faudrait pas se borner à la simple adoption de cette mesure; il importerait beaucoup de recommander aux pilotes la plus grande attention dans la recherche des positions où les balises devraient être placées. Je ferai sentir combien cette recommandation est urgente en citant ce que j'ai eu l'occasion de remarquer dans le cours des travaux hydrographiques que je viens d'exécuter.

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Ayant à vérifier la passe d'après l'indication des balises placées par les pilotes, je m'attachai à suivre avec la plus grande exactitude la direction qu'elles donnent; mais je fus bien étonné lorsque, au lieu de me tenir dans la profondeur du chenal, je me trouvai tout à coup sur la partie septentrio

1 Le projet de M. Billaudel, pour l'établissement et l'entretien des balises, a été approuvé et mis à exécution.

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