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et à Siam.

CHAPITRE III.

1. Le patronage du Portugal en Asie. Le P. de Rhodes. - II. Le séminaire des missions étrangères. — Premiers vicaires apostoliques de la Chine. Monseigneur Pallu. III. Projet du grand Colbert pour une mission française en Chine. Il est réalisé par les soins de M. de Louvois. Départ de six missionnaires français.- Relâche à Batavia Navigation à bord d'une jonque chinoise. IV. Arrivée des missionnaires à Ning-Po.- Vexations des mandarins. - Brillante réception à Han-Tcheou-Fou. Départ pour Péking. — V. Les Jésuites français trouvent la mission de Péking en deuil. Mort du célèbre P. Verbiest. Ses funérailles. naire. - VI. Grégoire Lopez. - Il est nommé évêque de Basilée. Son opinion au sujet des cérémonies chinoises. — Il meurt à Nanking.

Éloge de ce grand mission

I.

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L'empereur Khang-Hi, après avoir étouffé l'insurrection et dompté ses ennemis, déploya toutes les ressources de son génie pour faire fleurir dans son vaste empire l'agriculture, le commerce, les sciences et la littérature. Il comprenait que ce ne serait que par les bienfaits de la paix et par une grande prospérité publique qu'il pourrait faire oublier aux Chinois les humiliations et les désastres de la conquête. Ce règne, inauguré par de brillants succès militaires, allait devenir un des plus glorieux de la vieille monarchie chinoise.

A cette même époque on voyait, à l'autre extrémité du monde, Louis XIV qui déjà s'élevait comme un soleil et commençait à répandre autour de lui les rayons de sa gloire comme l'empereur Khang-Hi dans le Céleste Empire. Le moment était arrivé où ces deux grands monarques, qui devaient illustrer l'un le plus beau trône de l'Europe, l'autre le plus vaste empire de l'Asie, allaient se connaître par l'intermédiaire des prédicateurs de l'Évangile..... Les missionnaires français ne devaient pas tarder à révéler à la Chine les grandeurs des Tuileries et les magnificences de Versailles, en même temps qu'ils raconteraient à la France étonnée les merveilles de la Ville-Jaune et les fêtes magiques de Gé-Hol.

La Chine avait déjà été évangélisée par plusieurs missionnaires français avant l'établissement officiel de la mission française de Péking. La nation la plus fortement douée de l'esprit de propagande et de prosélytisme n'avait pas manqué d'envoyer son contingent d'apôtres dans l'extrême Orient. Le P. Alexandre de Rhodes, natif d'Avignon, avait été un des plus célèbres entre ces hommes d'élite. Après avoir longtemps évangélisé lẻ Tonking et la Cochinchine, il avait été député à Rome par ses confrères pour signaler les entraves que la cour de Lisbonne mettait à la propagation de la foi par l'abus de son droit du patro

nage.

Le Portugal, dit le P. Bertrand (1), fut la première et, pendant longtemps, la seule puissance européenne qui exerçât son autorité dans les Indes

(1) Histoire de la mission du Maduré, t. I, p. 191.

Orientales. Elle y rendit à la religion des services éminents; elle favorisa puissamment sa propagation, en employant tour à tour la pompe de ses ambassades pour l'introduire au sein de l'idolâtrie, l'autorité de son nom pour la protéger et la force de son armée pour la défendre; bien plus, elle fournissait, avec une admirable libéralité, les ressources pécuniaires pour l'entretien des missionnaires et d'un certain nombre d'évêques. Mais, comme s'il était nécessaire qu'on vît se vérifier dans tous les siècles et dans tous les lieux cette triste vérité : que l'Église doit payer de ses larmes les secours et la protection qu'elle reçoit des puissances séculières, ces faveurs de la cour de Portugal furent contre-balancées par les conditions qu'elle imposait et par les inconvénients naturels qui en résultaient.

On peut citer, en première ligne, parmi ces inconvénients, les vues politiques, qui, souvent mal déguisées, semblaient accompagner cette protection. De là naissait, dans l'esprit des peuples, la persuasion que la religion chrétienne était un moyen d'assujettir les nations au joug des Portugais, persuasion que la conduite des Européens n'a, du reste, que trop souvent justifiée. Or, on comprend qu'une telle pensée devait susciter un obstacle immense à la propagation de la foi, et l'on sait que c'est elle qui a soulevé les persécutions les plus terribles et causé la ruine de plusieurs chrétientés.

Cependant, ce qu'il y avait de plus grave, c'étaient les conditions imposées à l'Église par les rois de Portugal. Elles sont comprises dans ce qu'on appelle les droits du patronage, qui constituaient en faveur de

cette nation une espèce de monopole des missions des Indes. D'après ce patronage, nul évêque ne pouvait être nommé aux siéges existants, aucun nouveau siége ne pouvait être érigé qu'avec le consentement et la participation du roi, à qui appartenait le droit de présenter les candidats. Aucun missionnaire ne pouvait, en outre, se rendre aux Indes qu'avec sa permission et sur les navires portugais. Enfin, aucun bref, aucune bulle du Saint-Siége n'avait, disait-on, force de loi dans l'Inde qu'après avoir passé par les mains et reçu l'approbation du roi de Portugal. Toutes les missions de l'Indo-Chine étaient, par conséquent, des missions portugaises. Il est vrai qu'on y admettait des sujets des autres nations; mais ces sujets devaient par là même perdre, pour ainsi dire, leur nationalité; et l'on comprend facilement combien cette circonstance devait diminuer chez les autres peuples le nombre des vocations.

Quant aux secours temporels si nécessaires pour le développement des œuvres apostoliques, il fallait se résoudre à les attendre presque uniquement du gouvernement portugais.

Dans les commencements, ces conditions, quoique très-dangereuses pour l'indépendance des missions, se trouvaient compensées par de précieux avantages que le Portugal pouvait seul offrir et sans lesquels la propagation de la foi était alors impossible. Elles présentaient, d'ailleurs, considérées en elles-mêmes, un principe d'équité et de garanties nécessaires; car le roi de Portugal étant la seule puissance européenne établie dans les Indes, il était naturel qu'il fût jaloux de conserver son autorité et d'empêcher les autres

nations d'exercer leur influence autour de lui par des missions qui leur appartiendraient.

Pressé par ces raisons, le Saint-Siége consentit aux conditions de la cour de Portugal, et confirma le droit de patronage par des bulles solennelles. Ce qu'il y a de remarquable, c'est que le roi exigea, dit-on, une clause par laquelle le Saint-Père annulait d'avance toutes les bulles que ses successeurs pourraient donner dans un sens contraire (1).

Cette influence de la puissance portugaise produisit pendant longtemps de très-heureux fruits. Les missionnaires arrivaient en grand nombre, et les secours du gouvernement étaient abondants. Mais peu à peu les missions se multiplièrent, les besoins s'accrurent énormément, et le Portugal fut dans l'impossibilité de fournir le nombre des ouvriers nécessaires. Ceux

(1) Quoi qu'il en soit de cette clause, elle ne saurait détruire les principes du droit canon et de la raison naturelle, d'après lesquels un pape ne pourrait dépouiller ses successeurs du droit ni les dispenser du devoir de prendre les mesures et de faire les dispositions nécessaires au gouvernement spirituel de l'Église qui lui est confiée. Le Portugal revendique encore aujourd'hui son droit de patronage. Mais on peut se contenter de présenter au sujet de cette prétention les observations suivantes du P. Bertrand : 1o Le Motif déterminant de la concession d'un tel privilége était la puissance politique que le Portugal exerçait dans les Indes, et, par conséquent, la facilité qu'il avait de procurer le bien spirituel et temporel de ces Églises naissantes. 2o La Condition expresse de ce privilége était que le roi fournirait tous les secours nécessaires aux évèques et aux missionnaires de ces vastes contrées, et nommément qu'il pourvoirait sans délai à l'élection de nouveaux candidats pour les siéges qui viendraient à vaquer. Or, le Motif déterminant n'existe plus; car la puissance portugaise dans les Indes est détruite. La Condition expresse n'a pas été observée. Donc, quand même on accorderait aux Portugais que la concession du privilège fut un véritable contrat, ce contrat serait annulé par la force des choses et par la conduite de la cour de Portugal.

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