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des terres. Afin de ne laisser aucune ressource aux pirates, aucun refuge, aucune île habitée où ils pussent trouver des subsistances, les régents avaient décrété la destruction de Macao; et l'ordre était déjà donné d'en chasser les Portugais. Le P. Adam Schall, qui jouissait encore à Péking d'un puissant crédit et dont on n'avait pas oublié les longs services, alla trouver les régents et intercéda en faveur de la colonie portugaise. Il rappela les secours que ces étrangers avaient fournis à l'Empire, dans les temps passés, contre un pirate fameux qui désolait les côtes, et combien ils pouvaient être encore utiles dans les difficultés présentes. Le commerce, d'ailleurs, se priverait de grands avantages par l'expulsion de ces marchands, qui faisaient passer dans le Céleste Empire les produits et les richesses de l'occident. Les régents, s'étant laissé persuader par ces considérations, firent grâce à Macao et révoquèrent l'ordre d'en chasser les Portugais.

Ce fut là un service signalé que le P. Schall rendit non-seulement à la colonie portugaise et au commerce européen, mais encore et surtout aux missions de la Chine. La suppression de Macao eût été, il est facile de le comprendre, un coup fatal porté à la propagation de la foi dans ces contrées lointaines. Il fallait aux missionnaires, aux portes du vaste empire qu'ils évangélisaient, un point tranquille et indépendant, qui pût assurer la régularité de leurs relations avec l'Europe, donner asile à leurs procureurs et leur offrir à euxmêmes, en cas de persécution, une retraite temporaire en attendant des jours meilleurs. La disparition de cette petite colonie européenne les isolait complétement au fond de l'Asie, et les laissait, sans protection

T. HI.

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et sans secours, à la merci de leurs ennemis. Adam Schall, en protégeant Macao, sauva donc l'avenir des missions, et c'est par où finit le crédit de cet illustre et zélé missionnaire; car peu de temps après il fut lui-même la victime d'une sanglante persécution.

VI.

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Après la mort de l'empereur Chun-Tché, il était facile de prévoir que la religion ne tarderait pas à avoir de rudes épreuves à traverser. On savait que les quatre régents lui étaient hostiles et qu'ils n'aimaient pas les missionnaires. Cependant ils attendirent avant de faire éclater ouvertement leur mauvais vouloir; on se souvint encore quelque temps des services rendus par le P. Schall et de l'affection que l'empereur lui avait témoignée. On eut même le bon goût delui conférer solennellement le titre de Précepteur du jeune Prince qui était appelé à gouverner l'Empire. Quoique rien ne fût changé en apparence, on sentait pourtant que l'atmosphère était chargée et que la tempête ne pouvait manquer d'éclater.

En 1664, un astronome mahométan nommé YangKouang-Sien présenta aux régents un mémoire et un acte d'accusation remplis de blasphèmes contre le christianisme et de calomnies contre les missionnaires. Cette violente dénonciation se fit avec d'autant plus de hardiesse qu'Adam Schall était hors d'état de se défendre, une paralysie soudaine lui ayant ôté l'usage de la langue et des mains. Il n'était

pas malaisé d'obtenir la condamnation d'un homme qui ne pouvait ni parler ni écrire. Le délateur accusait les missionnaires de fausse doctrine, d'ignorance en fait d'astronomie et de conspiration contre l'État; d'être venus apporter dans le royaume des Fleurs l'esprit de révolte et de faction, en se servant pour séduire les Chinois du prétexte de les instruire de leur religion. Il disait que les temples où ils s'assemblaient avec ceux qu'ils avaient gagnés à leur loi étaient autant de refuges où ils prenaient des mesures pour se défendre dans le cas où l'on voudrait les attaquer : que, pour mieux distinguer ceux de leurs prosélytes sur lesquels ils pouvaient compter, ils leur donnaient de petites pièces de cuivre (des médailles) sur lesquelles on voyait des figures d'hommes et de femmes, dont l'explication était réservée à ceux de leur secte. Yang-Kouang-Sien terminait son mémoire par un tableau si horrible de la religion que les régents se hâtèrent de la proscrire et de défendre, sous les peines les plus sévères, à tout sujet de l'Empire de la suivre. Il était enjoint à ceux qui l'avaient embrassée de l'abandonner sans délai, et pour récompenser le zèle de l'accusateur on le nomma, à la place d'Adam Schall, président du Bureau des Mathématiques et de la littérature céleste (1).

Cette violente persécution ne fut pas circonscrite dans l'enceinte de la capitale. Les vice-rois de toutes les provinces de l'Empire eurent ordre de s'emparer de tous les prédicateurs de l'Évangile, et de les faire con

(1) De Mailla, Histoire générale de la Chine, t. XI, p. 72. Le Comte, Mémoires de la Chine, t. II, p. 188, D'Orléans, Histoire des deux conquérants de la Chine, p. 140.

duire à Péking pour y être jugés. Le tribunal des crimes était chargé de les examiner rigoureusement, et de statuer conjointement avec le tribunal des rites sur la peine qu'on leur infligerait. Tous les missionnaires furent donc arrêtés sur toute la surface de l'Empire; on les chargea de chaînes; on les jeta dans des cachots; puis les satellites des mandarins, envahissant leurs demeures, les saccagèrent de fond en comble, brûlèrent leurs livres, leurs ornements sacrés, tout ce qui portait quelque caractère de religion.

Tous les tribunaux de Péking furent longtemps occupés du procès des chrétiens et des missionnaires. Le P. Adam Schall, en sa qualité de chef des prosélytes et de docteur de la loi chrétienne, fut jugé avec le plus grand appareil. C'était un touchant spectacle de voir le P. Schall, ce vénérable vieillard, âgé de soixante-quinze ans, peu auparavant l'oracle de la cour et l'ami de l'empereur, à genoux comme un criminel, succombant sous le poids des années et de ses infirmités et réduit à ne pouvoir prononcer une seule parole pour sa justification.

Le P. Verbiest se chargea de sa défense dans l'espoir d'attirer sur sa tête tout l'orage. Il parla d'une manière si noble et si généreuse que les juges euxmêmes ne purent s'empêcher d'applaudir à son héroïque charité et que le calomniateur allait être confondu si la résolution n'eût pas été prise d'avance d'exterminer le christianisme. Les missionnaires furent chargés de neuf lourdes chaînes et traînés aux prisons des tribunaux, chacun sous la garde de dix satellites. Perpétuellement entourés d'une vile soldatesque qui les abreuvait d'outrages, contraints par le

poids de leurs chaînes, dont les extrémités étaient attachées à un tronc, de se tenir presque toujours couchés, ils eurent beaucoup à souffrir dans les cachots. immondes où on les avait entassés. On les en arrachait souvent pour les conduire au milieu d'un horrible appareil, devant le tribunal des rites. Ce fut dans une de ces comparutions que le P. Coronatus, de l'ordre de Saint-Dominique, rencontra les PP. Schall et Verbiest à l'entrée du tribunal. A peine le Dominicain eutil reconnu les Jésuites chargés de fers qu'il se prosterna à leurs pieds et baisa avec vénération les chaînes qu'ils portaient si dignement pour confesser le nom de Jésus-Christ. Enfin, le 4 janvier 1665, les missionnaires furent déclarés coupables; et la religion chrétienne fut proscrite comme fausse et pernicieuse à l'Empire.

Ce fut le tribunal des rites qui prononça la sentence de culpabilité; mais c'était le tribunal des crimes qui devait déterminer le genre de supplice que les condamnés auraient à subir. Les missionnaires furent donc conduits à ce dernier tribunal, et là recommencèrent les interrogatoires avec les affreux traitements dont ils sont toujours accompagnés. Le P. Schall était toujours le principal objet de la haine des accusateurs et des juges. Ce vénérable apôtre, atteint de paralysie, comme nous l'avons déjà dit, était incapable de prononcer une seule parole. Mais la Providence lui avait donné dans son compagnon de captivité, le P. Verbiest, un éloquent défenseur. Ce fut un spectacle digne d'admiration que de voir ce généreux confesseur de la foi faisant retentir sa parole avec le bruit de ses chaînes pour défendre son ami

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