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dépense dans tout ce qui regardait sa personne, il était magnifique à répandre ses trésors lorsqu'il était question de l'entretien des armées, des édifices, des canaux, des ponts et de tant d'autres travaux destinés à la commodité publique et au bien du commerce.

Afin de plaire aux Chinois, qui professent beaucoup d'estime pour les lettres, il les cultiva lui-même, lut les King, et se familiarisa avec l'histoire de la Chine, dont il fit faire une version en langue tartare. Il s'exerça aussi sur leurs meilleurs morceaux d'éloquence et de poésie, et il parvint à parler et à écrire poliment en chinois, avec autant de facilité qu'en mantchou, sa propre langue. Il forma même une bibliothèque, dans laquelle il rassembla tous les meilleurs livre de la Chine, et paya d'habiles lettrés pour en faire la traduction. On pourrait dire que la littérature fut en quelque sorte sa passion favorite, et il est vraisemblable qu'il s'y appliqua autant par politique que par goût. Souverain de deux grands peuples de caractère si op

on cite le trait suivant : se promenant, un jour, dans un parc de la ville de Nanking, il appela un mandarin de sa suite, qui passait pour le plus riche particulier de l'empire. Il lui ordonna de prendre la bride d'un âne, sur lequel il monta et de le conduire autour du parc. Le mandarin obéit, et reçut une once d'argent pour récompense. L'empereur voulut à son tour lui donner le même amusement; le mandarin chercha à s'en excuser, mais il fallut obéir. Après cette bizarre promenade « Combien de fois, lui dit l'empereur, suis-je plus grand et <«< plus puissant que toi?» Le mandarin, se prosternant à ses pieds, lui répondit que la comparaison était impossible... « Eh bien, répliqua « Khang-Hi, jo veux la faire moi-même : je suis vingt mille fois plus grand <«< que toi; ainsi tu payeras ma peine à proportion du prix que j'ai cru « devoir mettre à la tienne. » Ce mandarin fut obligé de lui payer vingt mille onces d'argent.

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Il nous semble que cette anecdote,' si elle est exacte, doit être attribuée au caractère railleur et caustique de Khang-Hi plutôt qu'à son avarice.

posé, il voulut être leur maître à tous dans les sciences et les exercices qu'ils estimaient le plus.

Cependant Khang-Hi apprit bientôt des missionnaires attachés à sa cour à quel degré de perfection on avait poussé en Occident les sciences et les arts, et il avait trop de goût pour s'en tenir aux livres chinois. I traça à ces peuples étonnés une nouvelle route, dans laquelle une présomption mal entendue et trop d'attachement pour leurs anciens usages les avaient empêchés d'entrer. Il cultiva lui-même les sciences de l'Europe avec une ardeur incroyable. La géométrie, la physique, l'astronomie, la médecine, l'anatomie furent successivement l'objet de son application et la matière de ses études.

Ce qu'il fit pour les sciences, il l'exécuta également pour les arts. Il éleva dans son palais divers ateliers; et, faisant un choix des artistes et des quyriers les plus industrieux et les plus adroits en chaque genre, il leur proposa pour modèles les plus beaux chefsd'œuvre exécutés en Europe: peintres, émailleurs, graveurs, sculpteurs, ouvriers en acier et en cuivre, chacun à l'envi travaillait, sous la direction des Européens, à satisfaire le goût de ce prince, qui savait estimer et récompenser les bons ouvrages.

Ce fut cet amour des sciences et des arts qui donna aux missionnaires ce libre accès auprès de sa personne, qu'il n'accordait ni aux premiers dignitaires de l'empire ni même aux princes du sang. Dans ces fréquents entretiens, où ce grand prince semblait oublier la majesté du trône pour se familiariser avec de simples religieux, le discours tomba souvent sur les vérités du christianisme. Instruit de notre sainte reli

gion, il l'estima, il en goûta la morale et les maximes, il en fit souvent des éloges en présence de toute sa cour, il en protégea les ministres par un édit public, il en permit le libre exercice dans son empire; mais nous pensons qu'il n'eut jamais aucune disposition sérieuse à l'embrasser. S'il favorisa les missionnaires, c'est parce qu'ils lui étaient utiles et que l'éclat de leurs talents pouvait donner de l'illustration à son règne.

Il est à croire en effet, dit Abel-Rémusat (1), que ce règne de soixante ans sera compté, par les Chinois, au nombre des époques les plus glorieuses de leur histoire. On sait qu'il est d'usage en Chine, comme chez les anciens Égyptiens, qui jugeaient, dit-on, les rois après leur mort, de caractériser l'empereur défunt en lui donnant un titre posthume qui rappelle ses vertus et consacre sa gloire. Le titre que Khang-Hi a reçu de ses contemporains est celui de Ching-Tsou, Jin-Hoang-Ti, c'est-à-dire aïeul saint, pieux empereur ce nom atteste la vénération qu'a inspirée sa mémoire. » — Le saint aïeul, dirait un lettré chinois, mérita véritablement le nom de Jin (pieux) par sa piété envers ses parents, par son amour pour ses peuples et son dévouement aux ordres du ciel; il ne mérita pas moins celui de Ching (saint et sage) par les lumières de son esprit, par son attachement inviolable aux maximes des anciens, qu'il avait toutes gravées dans son cœur, par les connaissances variées qu'il possédait sur toutes sortes de sujets....

Les missionnaires de Péking avaient été comblés de

(1) Mélanges asiatiques, t. II, p. 40.

faveurs par l'empereur Khang-Hi; aussi l'on ne doit pas s'étonner de leur empressement et de leur zèle à faire son éloge: ils l'élèvent au-dessus de tous les autres princes de la Chine, et en parlant de la splendeur de son règne et de l'éclat de ses victoires ils ont coutume de le comparer à Louis XIV, son contemporain. Le Portrait historique de l'empereur de la Chine, publié par le P. Bouvet en 1697, porte presque en entier sur ce parallèle. Louis XIV, qui ne pouvait qu'en être flatté, fit plusieurs fois témoigner son estime à Khang-Hi, sans toutefois déroger à la coutume des rois de France de ne point envoyer d'ambassade à la Chine, pour ne pas compromettre leur dignité.

Mirabeau a dit quelque part, en parlant des splendeurs de Versailles, que Louis XIV avait été le roi le plus oriental de l'Occident... En voyant les arts et les sciences de l'Europe en honneur à la cour de Péking, ne pourrait-on pas dire également que Khang-Hi a été l'empereur le plus occidental de l'Orient?.

т. Ці.

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APPENDICE.

Notre impartialité nous fait un devoir de placer sous les yeux du lecteur deux pièces importantes, qui lui permettront d'apprécier lui-même l'histoire de la controverse des rites chinois. La première est un Mémorial sur la légation du cardinal de Tournon, par le P. Thomas, vice-provincial des Jésuites en Chine. La deuxième est la Constitution apostolique de Clément XI, que monseigneur de Mezzabarba était chargé de publier à la Chine.

I.

MÉMORIAL

ENVOYÉ EN EUROPE PAR LE PÈRE THOMAS,
VICE-PROVINCIAL DES JÉSUITES EN CHINE.

ARTICLE PREMIER.

Lorsque M. de Tournon eut été nommé légat à la Chine, il écrivit de Rome au P. Grimaldi pour le prier de lui obtenir la permission d'aborder dans un des ports de cet empire. Il invita même ce missionnaire à l'aider de ses conseils. La lettre du légat était du 7 février de l'année 1702. Le P. Grimaldi

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