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livres chinois étaient traduits en français, les français en chinois. Le P. Parennin, dans sa lettre adressée à Fontenelle, écrivait à l'Académie des sciences : « MESSIEURS, vous serez peut-être surpris que je vous envoie de si loin

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un Traité d'anatomie, un Cours de médecine « et des questions de physique écrites en une langue qui vous est inconnue; mais votre surprise cessera quand vous verrez que ce « sont vos propres ouvrages que je vous envoie « habillés à la tartare (1 ).

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A cette époque la France accomplissait dans l'extrême Orient, avec un éclatant succès, la belle mission qui lui a été marquée par la Providence. Pendant qu'elle convertissait, par ses missionnaires, des âmes à Dieu, elle répandait avec profusion dans ces contrées barbares les germes de la vraie civilisation; en même temps que les apôtres de l'Évangile popularisaient les idées chrétiennes en Chine et dans les Indes, ils agrandissaient le domaine de nos connaissances et se préoccupaient souvent des intérêts commerciaux de leur patrie. Ce furent les missionnaires qui, sous Louis XIV, jetèrent les bases et

(1) Lettres édifiantes, t. XIX, p. 257,

procurèrent le développement de la compagnie française des Indes.

La France occupait alors une grande et glorieuse place dans ces riches et intéressantes contrées. Mais au temps de ses désastres politiques elle y perdit toute son influence et toute son importance. Ne pourrait-elle donc pas les reconquérir aujourd'hui que la voilà remontée au rang qu'il lui convient d'occuper en Europe? Les circonstances furent-elles jamais plus favorables pour relever en Asie les ruines de son ancienne prospérité et construire sur des bases ́plus solides l'édifice de l'avenir?

« Il n'est peut-être pas inopportun, disions<< nous naguère, d'appeler l'attention de la « France sur la haute Asie... Il n'est pas trop

« tôt pour se préparer aux grands événements qui peuvent déjà se prévoir... La politique « sera bientôt forcée de détourner ces regards « de Constantinople pour les fixer sur Pé« king... (4). »

Nos prévisions se sont réalisées bien plus vite encore que nous ne le pensions. Quelques mois s'étaient à peine écoulés depuis que nous écrivions les lignes qui précèdent, et déjà les évé

(1) Préface du Christianisme en Chine, etc., p. VI.

nements avaient éclaté. La question chinoise agitait l'Angleterre au point de provoquer la dissolution du parlement et de menacer l'existence du ministère. Jamais les meetings de la Grande-Bretagne n'avaient retenti de tant de discours pour ou contre les Chinois, qui assurément ne se doutaient guère que leur nom produisît un si tumultueux effet chez les barbares de l'Occident.

Que s'était-il donc passé dans le Céleste Empire pour exciter en Angleterre une telle agitation? Un incident bien chétif, la prise par les mandarins de quelques matelots chinois qui naviguaient sous pavillon anglais dans la rivière de Canton. De là le bombardement de la ville et la destruction de la flotte chinoise..... Évidemment cette affaire n'était qu'un prétexte. L'Angleterre voulait agrandir ses relations avec le Céleste Empire et demander la révision des anciens traités. « La guerre de Crimée venait « d'être glorieusement terminée; on avait des << vaisseaux et des soldats dont on ne savait plus que faire; le moment parut donc favo«rable (1). » Alors on le croyait fermement; mais la foudroyante insurrection des Cipayes

(1) Revue des Deux Mondes, 1er juin 1857, p. 517.

allait bientôt faire voir que pour utiliser sa poudre et ses soldats l'Angleterre n'avait pas besoin de déclarer la guerre à la Chine.

Il ne fut donc pas nécessaire de faire de longs préparatifs. Les vaisseaux, les troupes, les munitions, tout était en disponibilité; on n'eut qu'à les expédier aussitôt; et, comme les succès de l'entreprise ne pouvaient être douteux, un ambassadeur extraordinaire fut chargé d'aller régler les futures destinées du Céleste Empire.

On ne sait pas au juste quel sort la politique anglaise prétend faire aux Chinois. Elle n'a pas dit et sans doute ne dira pas encore ses projets à cet égard. Mais déjà les associations commerçantes du Royaume-Uni avaient commencé à s'expliquer sur les bases nécessaires des relations futures de la Grande-Bretagne avec la Chine. Déjà les East India et China associations de Londres et de Liverpool réclamaient les conditions suivantes : « Liberté du commerce sur toutes les côtes et le long de toutes les rivières de la Chine, droit pour les navires de guerre de se présenter sur tous les points de ces côtes et rivières, droit pour les sujets anglais de circuler par terre dans l'in

térieur du pays, etc... »

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L'auteur d'un remarquable article de la Revue des Deux Mondes, à qui nous empruntons ce renseignement, y ajouta la réflexion suivante : « Toutes ces conditions, dit-il, sont sages et raisonnables; mais on ne doit pas se dissi«<muler qu'elles entraînent l'assimilation complète de la Chine aux États européens... (1) » L'écrivain de la Revue s'abuse étrangement lorsqu'il affirme que les conditions demandées par les Anglais sont sages et raisonnables; elles paraîtraient plutôt injustes et révoltantes. Non, ce ne serait pas là le moyen de mettre la Chine sur le pied de l'égalité avec les États européens... ce serait l'assimiler aux Indes; ce serait la traiter en pays conquis. Quelle est donc la nation européenne qui permettrait aux navires de guerre étrangers de sillonner ses fleuves, de stationner dans ses ports et d'y faire la police? De quel droit voudrait-on imposer aux Chinois des conditions que l'Europe ne reconnaît pas?... Le droit du plus fort, qu'on y prenne garde, n'est pas toujours le meilleur ni le plus sûr.

En contestant la légitimité des prétentions du commerce anglais, ce n'est pas que nous fassions des vœux pour le maintien de ce vieil (1) Revue des Deux Mondes, 1er juin 1857, p. 521.

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