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ner au dix-septième siècle un développement proportionné à son importance. Mais voici que, dans une savante revue,

on appelle poliment l'érudition science — un critique savant aussi, un copiste de poëmes carlovingiens, laborieux ouvrier au service du gigantesque projet de M. Fortoul, nous accuse, nous et tous nos confrères, d'avoir rompu la proportion de nos histoires au préjudice du moyen âge. Il faudrait, selon lui, insister encore sur les Chansons de geste, analyser consciencieusement Gui de Bourgogne, Otinel, Floovant et tutti quanti. Ah ↑ monsieur Josse, que vous êtes un terrible orfévre!

Nous ne serions nullement surpris qu'un partisan de la renaissance, comme nous le sommes nous-même, nous accusat d'avoir couru bien rapidement sur cette belle et féconde époque, douée d'une originalité si puissante, si créatrice. Nous en avons parlé en Sorbonne, pendant un an, et l'année nous a semblé trop courte.

Nous trouverions fort naturel aussi qu'un admirateur de ce dix-huitième siècle si novateur, si hardi, si prodigieusement spirituel, nous trouvât déplorablement incomplet à l'endroit de cette brillante pléiade d'hommes et de femmes auteurs, dont les ouvrages, dont les mémoires, dont les moindres billets sont quelquefois des chefs-d'œuvre.

Et notre revue du dix-neuvième siècle, quel auteur contemporain la trouvera assez développée?

Que conclure de tous ces reproches? Qu'à force de rompre l'équilibre sur tous les points, nous pourrions bien l'avoir établi à peu près partout; qu'il n'est aucune époque dont nous ayons dit tout ce qu'on peut, tout ce qu'on doit en dire; en d'autres termes, que notre ouvrage n'a qu'un seul volume. En vérité, nous nous en doutions. Quoi qu'il en soit, nous avons fait droit, dans nos TEXTES CLASSIQUES, aux justes prédilections des admi

4. On sait que ce ministre avait dessein de faire enterrer dans un vaste recueil tout ce qui a été rimé au moyen âge. On a restreint timidement son plan on se contentera de publier le Cycle carlovingien, seulement quatre ou cing mille vers!

rateurs du dix-septième siècle, en consacrant plus de cinq cents pages aux extraits des auteurs de cette époque.

Il n'est jamais trop tard pour réparer une omission, quand cette omission est une injustice. On a pu remarquer que la table analytique de ce livre est faite avec un soin extrême et une intelligence rare des choses bibliographiques. Je dois cette table à l'amitié d'un magistrat distingué, M. Hyacinthe Vinson, qui sait allier aux travaux de sa profession la passion de la bibliographie et des lettres. Quand j'ai publié pour la première fois ce livre, je ne croyais pas que le public y attachât assez d'importance pour qu'il me fût permis de nommer mon modeste collaborateur : le succès m'encourage à être reconnaissant.

M. H. Vinson vient d'acquérir encore un nouveau titre à ma gratitude, en composant. pour compléter ce livre, un Appendice qui contient l'indication des principales œuvres littéraires publiées depuis 1830 jusqu'en 1876.

Ce travail, fait avec tout le soin qui distingue les œuvres du savant bibliophile, est un ensemble neuf, non encore essayé, et qui a l'avantage de présenter sous un coup d'œil, avec précision, ce que tout le monde sait par à-peu-près, et que personne ne sait d'une manière nette et continue.

J'ai eu encore, pour ma cinquième édition et par conséquent pour les suivantes, un autre auxiliaire que je suis heureux de nommer. Mon collègue et ami, E. Geruzez, a bien voulu me signaler un assez grand nombre d'inexactitudes qui s'étaient glissées dans mes éditions précédentes. On sait que M. Geruzez a publié, peu de temps après moi (1851), un ouvrage sur le même sujet

2. M. Vinson a publié, à Pondichéry, le curieux catalogue de sa bibliochèque (Notice sommaire des livres d'une petite bibliothèque, in-4, 192 p. ; 460 exemplaires). I went en portefeuille un ouvrage qui prendra sa place côté de celui de L Rausbonne, I Enfer de Dante, traduit en terzines, c'est-àdire en vers entrelacés suivant le système du poëte italien. Ce travail, dont nous avons vu le manuscrit, est un calque étonnant d'exactitude.

et sous le même titre que le mien, ouvrage couronné par l'Académie française, et qui méritait sous tous les rapports une pareille distinction1. Ce n'est pas sans une certaine fierté que je constate ici que cette espèce de concurrence, honnête et loyale des deux côtés, généreuse même du sien, n'a fait que resserrer les liens de notre amitié, grâce à une mutuelle estime. Vixeruntque mira concordia, per mutuam caritatem, et invicem se anteponendo 2.

Paris, 1876.

4. M. Geruzez a publié depuis, en deux volumes, une deuxième édition de eon Histoire considérablement augmentée et couronnée une deuxième fois par l'Académie française.

2. Ce n'est pas sans une émotion douloureuse que je réimprime ces lignes, qu'il ne relira plus.

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Persévérance du caractère celtique.

Entre la société antique qui meurt avec l'empire romain et le monde moderne qui se constitue au moyen âge, il y a six siècles de laborieuse préparation, pendant lesquels toutes les forces vivantes qui doivent produire une civilisation nouvelle s'agitent en désordre et comme dans un vaste chaos. Cette époque, stérile en apparence, n'en renferme pas moins les germes féconds de l'avenir. Nous devons donc reconnaître et saisir dans leur manifestation littéraire ces influences diverses dont la combinaison nous a faits ce que nous sommes. Les principales sont les traditions de la Grèce et de Rome, les enseignements du christianisme et les mœurs apportées par l'invasion germanique. Mais sous.ces courants étrangers, qui s'uniront bientôt en un grand fleuve, est le sol même qui se creuse pour les contenir, je veux dire la race primitive, anté

LITT. FR.

1

rieure à la double conquête romaine et germanique, à la double civilisation hellénique et chrétienne, et dont le caractère persévérera sous tant de modifications diverses. C'est d'elle que nous allons d'abord parler.

« Pour bien comprendre l'histoire de la nation française, dit avec raison Heeren, il est essentiel de la considérer comme issue de la race celtique. C'est ainsi seulement qu'on peut s'expliquer son caractère si différent de celui des Allemands, caractère qui, malgré les divers mélanges qu'eut à subir la population celtique, est demeuré tel encore chez les Français, que nous le trouvons dessiné dans César. »

Les Celtes apparaissent dans l'histoire comme un peuple hardi, entreprenant, dont le génie n'est que mouvement et conquête. On les retrouve partout dans le monde, à Rome, à Delphes, en Égypte, en Asie, toujours courant, toujours pillant, toujours avides de butin et de danger. Ce sont de grands corps blancs et blonds, qui se parent volontiers de grosses chaînes d'or, de tissus rayés et brillants, comme le tartan des Écossais, leurs descendants. Ils aiment en tout l'éclat et la bravade; ils lancent leurs traits contre le ciel quand il tonne, marchent l'épée à la main contre l'Océan débordé, vendent leur vie pour un peu de vin, qu'ils distribuent à leurs amis, et tendent la gorge à l'acheteur, pourvu qu'un cercle nombreux les regarde mourir. Race sympathique et sociable, ils s'unissent en grandes hordes et campent dans de vastes plaines. Il est une chose qu'ils aiment presque autant que bien combattre, c'est finement parler. Ils ont un langage rapide, concis dans ses formes, prolixe dans son abondance, plein d'hyperboles et de témérités1. Du reste, ils savent écouter dans l'occasion: avides de contes et de récits, quand ils ne peuvent aller les chercher eux-mêmes par le monde, ils arrêtent les voyageurs au passage, et les forcent à leur raconter des nouvelles. Courage, sympathie, jactance, esprit, curiosité, tels sont les traits principaux sous lesquels les auteurs anciens nous peignent les Gaulois nos aïeux.

S'il s'agissait ici d'une étude d'ethnographie ou de linguis

4. Diodore de Sicile, liv. IV.

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