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ÉPITRE V.

AU P. BOUGEANT,

JÉSUITE.

De la paisible solitude

E

Où, loin de toute servitude,
La liberté file mes jours,
Ramené par un goût futile
Sur les délires de la ville,
Si j'en voulois suivre le cours,
Et savoir l'histoire nouvelle
Du domaine et des favoris
De la brillante bagatelle,

La divinité de Paris,

Le dédale des aventures,

Les affiches et les brochures,
Les colifichets des auteurs,
Et la gazette des coulisses,
Avec le roman des actrices,
Et les querelles des rimeurs,
Je n'adresserois cette épître

Qu'à l'un de ces oisifs errants
Qui chaque soir sur leur pupitre
Rapportent tous les vers courants,
Et qui, dans le changeant empire
Des Amours et de la Satire,
Acteurs, spectateurs tour-à-tour,
Possedent toujours à merveille
L'historiette de la veille,
Avec l'étiquette du jour;

Je pourrois décorer ces rimes
De quelqu'un de ces noms sublimes
Devant qui l'humble adulateur
De ses muses pusillanimes
Vient étaler la pesanteur,
Si je savois louer en face,
Et, dans un éloge imposteur,
Au ton rampant de la fadeur
Faire descendre l'art d'Horace:
Mais du vrai seul trop partisan,
Mon Apollon, peu courtisan,
Préfere l'entretien d'un sage,
Et le simple nom d'un ami,
Aux titres ainsi qu'au suffrage
D'un grand dans la pompe endormi.
Pour les protecteurs que j'honore,
Que seroient mes foibles accents?
Ainsi que les dieux qu'on adore,
Ils sont au-dessus de l'encens."

C'est donc vous seul que sans contrainte, Et sans intérêt et sans feinte,

J'appelle en ces bois enchantés,
Moins révérend qu'aimable pere,
Vous, dont l'esprit, le caractere,
Et les airs, ne sont point montés
Sur le ton sottement austere
De cent tristes paternités,

Qui, manquant du talent de plaire
Et de toute légèreté,

Pour dissimuler la misere

D'un esprit sans aménité,
D'une sagesse minaudiere
Affichent la sévérité,

Et ne sortent de leur tanniere
Que sous la lugubre banniere
De la grave formalité :

Vous, dis-je, ce pere vanté,
Vous, ce philosophe tranquille,
De Minerve l'heureux pupille,
Et l'enfant de la liberté,
Comment donc avez-vous quitté
Les délices de cet asile

Pour aller reprendre à la ville
Les chaînes de la gravité?
Amant et favori des Muses,
Et paresseux conséquemment,
Je ne vous trouve point d'excuses

Pour avoir fui si promptement.
Le desir des bords de la Seine
Soudain vous auroit-il repris?
Non, aux lieux d'où je vous écris
Je me persuade sans peine
Qu'on peut se passer de Paris.
Héritier de l'antique enclume
De quelque pédant ignoré,
Et, pour reforger maint volume
Aux antres latins enterré,

Iriez-vous, comme les Saumaises,
Immolant aux doctes fadaises

L'esprit et la félicité,

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Des patriarches du college

L'ennuyeuse immortalité?

Non, l'esprit des aimables sages
N'est point né pour les gros ouvrages
Souvent publics incognito;

Le dieu du goût et du génie
A rarement eu la manie

Des honneurs de l'in-folio.

Quoi! sur votre philosophie,
Que les rayons de l'enjoûment
Faisoient briller d'un feu charmant,
La profane mélancolie

Auroit-elle, malgré les jeux,

Porté ses nuages affreux?

Martyr de la misanthropie,
Fuiriez-vous ce peu d'agréments
Qui nous fait supporter la vie,
Les entretiens où tout se plie
Au naturel des sentiments,

Les doux transports de l'harmonie,
Et les jeux de la poésie,

Enfin tous les enchantements
De la meilleure compagnie?
Et par quelle bizarrerie,
Anachorete casanier,
Pour aller encore essuyer
L'éternité du vin de Brie,
Auriez-vous quitté le nectar
D'Aï, d'Arbois, et de Pomar?
Non, vous tenez de la nature
Un jugement trop lumineux;
Vous avez trop cette tournure
Qui fait et le sage et l'heureux,
Pour vous condamner au silence,
Loin de ces biens et de ces jeux,
Dont la tranquille jouissance,
Proscrite chez le peuple sot,
Distingue le mortel qui pense
De l'automate et du cagot:
Et quand l'esprit mélancolique
Pourroit des ennuis ténébreux
Dans une ame philosophique

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