Verser le poison léthargique, Ce n'eût point été dans ces lieux, Dans un temple de l'alégresse, Que le bandeau de la tristesse Se fût répandu sur vos yeux. Mais pourquoi donner au mystere, Pourquoi reprocher au hasard De ce prompt et triste départ La cause trop involontaire? Oui, vous seriez encore à nous Si vous étiez vous-même à vous. Si j'écrivois à quelque belle, Je lui dirois peut-être aussi, Que depuis sa fuite cruelle Les oiseaux languissent ici; Que tous les amours avec elle Ont fui nos champs à tire d'aile; Qu'on n'entend plus les chalumeaux; Qu'on ne connoît plus les échos; Enfin la longue kirielle De tout le phébus ancien:
Et sans doute il n'en seroit rien; Tous nos moineaux à l'ordinaire Vaqueroient à leurs fonctions; Sans chagrines réflexions
Les amours songeroient à plaire; Myrtile, toujours plus heureux, Uniroit son chiffre amoureux
Avec celui de sa bergere; Et les ruisseaux apparemment Entre les fleurs et la fougere N'en iroient pas plus lentement; Mais, sans ces fadeurs de l'idylle, Je vous dirai fort simplement Que jamais ce séjour tranquille N'a vu l'automne plus charmant; Loin du tumulte qu'il abhorre, Le plaisir avec chaque aurore Renaît sur ces vallons chéris; Des guirlandes de la jeunesse Les Ris couronnent la Sagesse, La Sagesse enchaîne les Ris; Et, pour mieux varier sans cesse L'uniformité du loisir,
Un goût guidé par la finesse Vient unir les arts au plaisir, Les arts que permet la paresse, Ces arts inventés seulement Pour occuper l'amusement.
Tour-à-tour, d'une main facile, On tient le crayon, le compas, Les fuseaux, le pinceau docile, Avec l'aiguille de Pallas; Et pendant tout ce badinage, Qu'on honore du nom d'emploi, D'autres paresseux avec moi
Font un sermon contre l'ouvrage; Ou, sans projet, sans autre loi Que les erreurs d'un goût volage, Sages ou fous à l'unisson Joignent la flûte à la trompette, Le brodequin à la houlette, Et le sublime à la chanson. Hors la louange et la satire, Tout s'écrit ici, tout nous plaît, Depuis les accords de la lyre Jusqu'aux soupirs du flageolet; Et depuis la langue divine De Malebranche et de Racine, Jusqu'au folâtre triolet.
Que l'insipide symétrie Regle la ville qu'elle ennuie; Que les temps y soient concertés, Et les plaisirs mêmes comptés: La mode, la cérémonie,
Et l'ordre, et la monotonie,
Ne sont point les dieux des hameaux;
Au poids de la triste satire
On n'y pese point tous les mots, Et si l'on doit blâmer ou rire; Tout ce qui plaît vient à propos; Tout y fait des plaisirs nouveaux, Le hasard, l'instant les décide: Sans regretter l'heure rapide
Qui naît, qui s'envole soudain, Et sans prévoir le lendemain, Dans ce silence solitaire, Sous l'empire de l'agrément, Nous ne nous doutons nullement Que déja le noir Sagittaire, Couronné de tristes frimas, Vient bannir Flore désolée, Et qu'avec Pomone exilée L'astre du jour fuit nos climats. Oui, malgré ces métamorphoses, Nos bois semblent encor naissants; Zéphyr n'a point quitté nos champs, Nos jardins ont encor des roses : Où regnent les amusements Il est toujours des fleurs écloses, Et les plaisirs font le printemps. Échappé de votre hermitage,
Et sur ce fortuné rivage Porté par les songes légers,
Voyez la nouvelle parure
Dont s'embellissent ces vergers *;
Éleve ici de la Nature,
L'Art, lui prêtant ses soins brillants,
Y forme un temple de verdure
Bosquet de Minerve, récemment ajouté au jardin de C*,
A la déesse des talents. Sortez du sein des violettes,
Croissez, feuillages fortunés; Couronnez ces belles retraites, Ces détours, ces routes secretes, Aux plus doux accords destinés! Ma muse, pour vous attendrie, D'une charmante rêverie
Subit déja l'aimable loi;
Les bois, les vallons, les montagnes, Toute la scene des campagnes
Prend une ame, et s'orne pour Aux yeux de l'ignare vulgaire Tout est mort, tout est solitaire, Un bois n'est qu'un sombre réduit, Un ruisseau n'est qu'une onde claire; Les zéphyrs ne sont que du bruit; Aux yeux que Calliope éclaire Tout brille, tout pense, tout vit; Ces ondes tendres et plaintives, Ce sont des nymphes fugitives Qui cherchent à se dégager De Jupiter pour un berger; Ces fougeres sont animées; Ces fleurs qui les parent toujours, Ce sont des belles transformées; Ces papillons sont des Amours.
Mais pourquoi ma raison oisive,
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