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D'une muse qui la captive
Suivant les caprices légers,
Cherche-t-elle sur cette rive
Des objets au sage étrangers,
Sans fixer sa vue attentive
Sur l'exemple de ces bergers?
Si dans l'imposture éternelle
De nos mensonges enchanteurs
Il reste encor quelque étincelle
De la nature dans nos cœurs;
Sauvés du séjour des prestiges,
Et cherchant ici les vestiges
De l'antique simplicité,

Sans adorer de vains fantômes,
Décidons si ce que nous sommes
Vaut ce que nous avons été;
Et si, malgré leur douceur pure,
Ces biens pour toujours sont perdus,
Voyons-en du moins la figure,
Comme on aime à voir la peinture

De quelque belle qui n'est plus.

Oui, chez ces bergers, sous ces hêtres, J'ai vu dans la frugalité

Les dépositaires, les maîtres

De la douce félicité;

J'ai vu,

dans les fêtes champêtres,

J'ai vu la pure Volupté

Descendre ici sur les cabanes,

Y répandre un air de gaîté,
De douceur et de vérité,

Que n'ont point les plaisirs profanes
Du luxe et de la dignité.

Parmi le faste et les grimaces
Qu'entraînent les fêtes des cours,
Thémire, dans ses plus beaux jours,
Avec de l'esprit et des graces,
S'ennuie au milieu des Amours:
Ici j'ai vu la tendre Lise,

A peine en son quinzieme été,
Sans autre esprit que la franchise,
Sans parure que la beauté,
Plus heureuse, plus satisfaite
D'unir avec agilité

Ses

pas au son d'une musette,
Et, parmi les plus simples jeux,
Portant le plaisir dans ses yeux
Écrit des mains de la nature
Avec de plus aimables feux
Que n'en peut prêter l'imposture
A l'œil trompeur et concerté
D'une coquette fastueuse,

Qui, par un sourire emprunté,
Dans l'ennui veut paroître heureuse,
Et jouer la vivacité.

Qu'on censure ou qu'on favorise Ce goût d'un bonheur innocent;

Pour répondre à qui le méprise,
Qu'il nous suffise que souvent,
Pour fuir un tumulte brillant,
Thémire voudroit être Lise,
Et voler du sein des grandeurs
Sur un lit de mousse et de fleurs.
Feuillage antique et vénérable,
Temple des bergers de ces lieux,
Orme heureux, monument durable
De la pauvreté respectable,
Et des amours de leurs aïeux;
O toi qui, depuis la durée
De trente lustres révolus,
Couvres de ton ombre sacrée
Leurs danses, leurs jeux ingénus,
Sur ces bords, depuis ta jeunesse
Jusqu'à cette verte vieillesse,
Vis-tu jamais changer les mœurs,
Et la félicité premiere

Fuir devant la fausse lumiere
De mille brillantes erreurs?

Non; chez cette race fidele
Tu vois encor ce pur flambeau

De l'innocence naturelle
Que tu voyois briller chez elle
Lorsque tu n'étois qu'arbrisseau;
Et, pour bien peindre la mémoire
De ces mortels qui t'ont planté,

Tu nous offres pour leur histoire
Les mœurs de leur postérité.
Triomphe, regne sur les âges;
Échappé toujours aux ravages
D'Éole, du fer, et des ans,
Fleuris jusqu'au dernier printemps,
Et dure autant que ces rivages;
Au chêne, au cedre fastueux
Laisse les tristes avantages
D'orner des palais somptueux:
Les lambris couvrent les faux sages,
Tes rameaux couvrent les heureux.

Tandis qu'instruit par la droiture Et par la simple vérité,

Mon esprit, toujours enchanté,
Pénetre au sein de la nature,
Et s'y plonge avec volupté;
Hélas! par une loi trop dure,
Poussés vers l'éternelle nuit,
Le Plaisir vole, le Temps fuit,
Et bientôt sous sa faux rapide,
Ainsi que les jardins d'Armide,
Ce lieu pour nous sera détruit.
Trop tôt, hélas! les soins pénibles,
Les bienséances inflexibles,
Revendiquant leurs tristes droits,
Viendront profaner cet asile,
Et, nous arrachant de ces bois,

Nous replongeront pour six mois
Dans l'affreux chaos de la ville,
Et dans cet éternel fracas

De riens pompeux et d'embarras,
Qui, pour tout esprit raisonnable
Sujets de gêne et de pitié,
Ne sont que le jeu misérable
D'un ennui diversifié!

Mais, outre ces peines communes
Qui nous attendent au retour,
Outre les chaînes importunes

Et de la ville et de la cour,
Il est un fatal apanage

De dégoûts encor plus nombreux,
Qu'au retour des champêtres lieux
Le funeste Apollon ménage
A ses éleves malheureux.

Au milieu d'un monde frivole,
Dont les nouveautés sont l'idole,
Déjà je me vois revenu,

Et, pour le malheur de ma vie,
Par l'importune poésie

Malgré moi-même un peu connu,
Déja j'entends les périodes,
Et les questions incommodes
De ces furets de vers nouveaux,
De ces copistes généraux,
Qui, persuadés que l'étude

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