Me tient absent depuis trois mois, Vont s'imaginer que je dois
Le tribut de ma solitude
A l'oisiveté de leur voix.
« Hé bien ! » me dit l'un, dont l'idylle Enchante l'esprit doucereux, << Sans doute, éleve de Virgile, « Sur des pipeaux harmonieux « De Lycidas et d'Amarylle « Vous aurez soupiré les feux? « Vous aurez chanté les beaux yeux, « Les premiers soupirs de Sylvie, « Et des bouquets de la prairie « Vous aurez orné ses cheveux?
Qu'apportez-vous? point de mystere
(Me vient dire avec un souris Quelque suivant de beaux-esprits, Insecte et tyran du parterre), . L'ouvrage est-il pour Thomassin, « Pour Pélissier, ou pour Gaussin?»> Je fuis, j'échappe à la poursuite De ces colporteurs trop communs. Suis-je plus heureux dans ma fuite? D'autres lieux, d'autres importuns!
<< Enfin, dit-on, de votre absence
<< Revenez-vous un peu changé? « Du sommeil de la négligence << Votre esprit enfin dégagé
<< Immolera-t-il l'indolence
« Aux succès d'un travail rangé? » Ainsi déclame sans justesse Contre les droits de la paresse Un froid censeur, qui ne sent pas Que sans cet air de douce aisance Mes vers perdroient le peu d'appas Qui leur a gagné l'indulgence Des voluptueux délicats,
Des meilleurs paresseux de France, Les seuls juges dont je fais cas. Par l'étude, par l'art suprême, Sur un froid pupitre amaigris, D'autres orneront leurs écrits: Pour moi, dans cette gêne extrême, Je verrois mourir mes esprits. On n'est jamais bien que soi-même; Et me voilà tel que je suis. Imprimés, affichés sans cesse, Et s'entrechassant de la presse, Mille autres nous inonderont D'un déluge d'écrits stériles, Et d'opuscules puériles, Auxquels sans doute ils survivront: A cette abondance cruelle
Je veux toujours, en vérité, Et de La Fare et de Chapelle Préférer la stérilité:
J'aime bien moins ce chêne énorme Dont la tige toujours informe S'épuise en rameaux superflus, Que ce myrte tendre et docile, Qui, croissant sous l'œil de Vénus, N'a pas une feuille inutile, S'épanouit négligemment, Et se couronne lentement.
Il est vrai qu'en quittant la ville J'avois promis que, plus tranquille, Et dans moi-même enseveli, Je saurois, disciple d'Horace, Unir les nymphes du Parnasse Aux bergeres de Tivoli. J'avois promis: mais tu t'abuses Si tu comptes sur nos discours; Cher ami, les serments des Muses Ressemblent à ceux des Amours. Dans la tranquillité profonde Du philosophe et du berger Trois mois j'ai vécu, sans songer Qu'Apollon fût encore au monde; Et je t'avoue ingénument Que très peu fait à voir l'aurore, Que j'apperçois dans ce moment, Je ne la verrois point éclore Dans ce champêtre éloignement, Si des volontés que j'adore,
Pour me faire rimer encore
Ne valoient mieux que mon serment. Toi, dont la sagesse riante Souffre et seconde nos chansons, Ami, sur ta lyre brillante Prépare-nous les plus doux sons: Dès qu'entraînés par l'habitude Au séjour de la multitude, Nous aurons quitté ce canton, Chez un éleve d'Uranie, Entre les fleurs et l'ambrosie, Entre Démocrite et Platon, De ta vertu toujours unie Nous irons prendre des leçons, Et t'en donner de la folie, Que la bonne philosophie
Permet à ses vrais nourrissons.
Cette anacréontique orgie
Livrée à la vive énergie
Du génie et du sentiment, Ne sera point assurément De ces fêtes sombres et graves
Où périt la vivacité,
Où les agréments sont esclaves,
Et s'endorment dans les entraves
De la pesante autorité;
Nous n'y choisirons point pour guide
Cette raison froide et timide
Qui toise impitoyablement Et la pensée et le langage, Et qui sur les pas de l'usage Rampe géométriquement: Loin du mystere et de la gêne, Pensant tout haut et sans effort, Admettant la raison sans peine, Et la saillie avec transport, D'une ville tumultueuse Nous adoucirons le dégoût. La raison est par-tout heureuse, Le bonheur du sage est par-tout; Et, puisqu'il faut du ton stoïque Egayer la sévérité,
La ville, malgré ma critique, Et l'éloge du sort rustique, Reverra mon cœur enchanté. Dans ses caprices agréables,
Et dans son brillant le plus faux, Paris a des charmes semblables
A ces coquettes adorables
Qu'on aime avec tous leurs défauts.
Mais quoi! tandis que ma pensée, Plus légere que le Zéphyr, Folâtre à la fois et sensée,
Vole sur l'aile du Plaisir, Dieux! quelle nouvelle semée Subitement dans l'univers
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