Que j'ai su rapporter du sein de la souffrance, Et de l'école du tombeau.
Réduit, comme je fus, par l'arrêt inflexible Et de la Douleur et du Sort,
A demander aux dieux le bienfait de la mort, Je te dirois aussi que cette mort horrible
Pour le vulgaire malheureux,
Pour un sage n'est point ce spectre si terrible Sur qui les vils mortels n'osent lever les yeux; Et qu'après avoir vu la misere profonde Des insectes présomptueux,
De tous les êtres ennuyeux
Dont le ciel a chargé la surface du monde, Et qui rampent dans ces bas lieux,
Au premier arrêt de la Parque,
Sans peine et d'un pas ferme on passeroit la barque, Si la tendre amitié, si le fidele amour,
N'arrêtoient l'ame dans leurs chaînes,
Et si leurs plaisirs tour-à-tour, Plus vrais et plus vifs que nos peines, Ne nous faisoient chérir le jour. Mais de cette philosophie
Je ne réveille point les lugubres propos: Tu n'es faite que pour la vie;
Et t'entretenir de tombeaux,
Ce seroit déployer sur la naissante aurore Du soir d'un jour obscur les nuages épais, Et donner à la jeune Flore
Qu'attends-tu cependant? tu veux que ma mémoire, Retournant sur des jours d'alarmes et d'ennuis, T'en fasse la pénible histoire:
Sur quels déplorables récits
Exiges-tu que je m'arrête!
C'est rappeler mon ame aux portes de la mort. J'y consens; mais bannis l'effroi de la tempête, Je la raconte dans le port.
Sur ses rameaux brisés et semés sur la terre Par la foudre ou l'effort des vents,
Un chêne voit enfin d'autres rameaux naissans, Et, relevé des coups d'Eole et du tonnerre, Il compte de nouveaux printemps.
Le jour a reparu. Rien n'est long-temps extrême. Tel étoit mon affreux tourment;
J'ai souffert plus de maux au bord du monument Que n'en apporte la mort même.
La douleur est un siecle, et la mort un moment. Frappé d'une main foudroyante,
Et frappé dans le sein des arts et des amours, De la santé la plus brillante
Je vis en un instant s'éteindre les beaux jours: Ainsi d'un ruisseau pur la Naïade éplorée, Dans une froide nuit, par le fougueux Borée De ses plus vives eaux voit enchaîner le cours. Dans cette langueur meurtriere,
Comptant les pas du Temps trop lent aux malheureux,
Quarante fois de la lumiere J'ai vu disparoître les feux, Quarante fois dans sa carriere J'ai vu rentrer l'astre des cieux; Et dans un si long intervalle, La Parque, d'une main fatale Arrachant de mes yeux les paisibles pavots, Pour moi ne fila point une heure de repos; Par le souffle brûlant de la fievre indomtée Chaque jour ma force emportée
Renaissoit chaque jour pour des tourments nouveaux : Dans la fable de Prométhée
Tu vois l'histoire de mes maux. Après l'effroi qui suit l'attente du supplice, Voilé des plus noires couleurs,
Parut enfin ce jour de malheureux auspice Où de l'humanité j'épuisai les douleurs; Couché sur un bûcher, et l'autel et le trône D'Esculape et de Tisiphone,
Courbé sous le pouvoir de leurs prêtres cruels,
vu couler mon sang sous les couteaux mortels; Mon ame s'avança vers les rivages sombres: Mais quel rayon lancé du sein des immortels, L'arrêtant à travers la région des ombres, Vint ranimer mes sens sur ses sanglants autels! Je crus sortir du noir abyme,
Quand, revenant au jour, je me vis délivré: Je trompai le trépas, ainsi qu'une victime
Que frappe un bras mal assuré; Inutilement poursuivie,
Et plus forte par la douleur,
Elle arrache, en fuyant, les restes de sa vie Aux coups du sacrificateur.
Il est une jeune déesse,
Plus agile qu'Hébé, plus fraîche que
Elle écarte les maux, les langueurs, la foiblesse; Sans elle la beauté n'est plus;
Les Amours, Bacchus, et Morphée,
La soutiennent sur un trophée De myrte et de pampres orné, Tandis qu'à ses pieds abattue Rampe l'inutile statue
Du dieu d'Épidaure enchaîné. Ame de l'univers, charme de nos années, Heureuse et tranquille SANTÉ!
Toi qui viens renouer le fil de mes journées, Et rendre à mon esprit sa plus vive clarté, Quand, prodigues des dons d'une courte jeunesse, Ne portant que la honte et d'ameres douleurs A la trop précoce vieillesse,
Les aveugles mortels abregent tes faveurs: Je vais sacrifier dans ton temple champêtre,
Loin des cités et de l'ennui.
Tout nous appelle aux champs; le printemps va renaître, Et j'y vais renaître avec lui.
Dans cette retraite chérie
De la Sagesse et du plaisir, Avec quel goût je vais cueillir La premiere épine fleurie, Et de Philomele attendrie Recevoir le premier soupir! Avec les fleurs dont la prairie A chaque instant va s'embellir, Mon ame, trop long-temps flétrie, Va de nouveau s'épanouir,
Et, loin de toute rêverie,
Voltiger avec le Zéphyr.
Occupé tout entier du soin, du plaisir d'être, Au sortir du néant affreux, Je ne songerai qu'à voir naître Ces bois, ces berceaux amoureux, Et cette mousse et ces fougeres, Qui seront, dans les plus beaux jours, Le trône des tendres bergeres, Et l'autel des heureux amours. O jours de la convalescence! Jours d'une pure volupté!
C'est une nouvelle naissance,
Un rayon d'immortalité.
Quel feu! tous les plaisirs ont volé dans mon ame. J'adore avec transport le céleste flambeau;
Tout m'intéresse, tout m'enflamme;
Pour moi l'univers est nouveau.
Sans doute que le dieu qui nous rend l'existence,
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