DE M. THIROUX DE CROSNE
AVEC Mlle DE LA MICHODIERE. (JANVIER 1763.)
UR un rivage solitaire
Où, malgré tout l'ennui du temps, Les frimas, la neige, les vents, Le jour triste qui nous éclaire, La tranquille raison préfere Un foyer champêtre écarté, Et le ciel de la liberté,
A l'étroite et lourde atmosphere Des paravents de la cité;
Au milieu du sombre silence
De la triste uniformité,
Et de toute la violence
D'un hiver qui sera cité, Et qui, soit dit sans vanité, Prête à nos champs de Picardie L'austere et sauvage beauté Des montagnes de Lapponie;
Un bon hermite confiné Dans sa cabane rembrunie, Et par cette bise ennemie, A son grand regret, dérouté Du charme d'occuper sa vie Dès la renaissante clarté, Et de l'habitude chérie D'aller voir avec volupté
Ses arbres, son champ, sa prairie,
Parcouroit par oisiveté
Une multitude infinie
D'écrits nouveaux sans nouveauté,
De phrases sans nécessité,
Et de rimes sans poésie;
Et dans la belle quantité
Des œuvres dont nous gratifie
L'incurable Frivolité,
Et je ne sais quelle manie D'une pauvre célébrité, Il admiroit l'éternité
Des almanachs que le génie, Qui nous gagne de tout côté, Fabrique, réchauffe, amplifie, Pour éclairer l'humanité, Et réjouir la compagnie. Glacé, privé de tout rayon De cette lumiere féconde Qui colore, embellit, seconde L'heureuse imagination;
Au lieu de fleurs et de gazon, Ne découvrant de son pupitre Que les glaces de ce vallon, Ces bois courbés sous l'aquilon, Ces tapis d'albâtre et de nitre Étendus jusqu'à l'horizon; Loin d'avoir la prétention Et le moindre goût d'en décrire La sombre décoration,
Se trouvant digne au plus de lire, Il n'auroit guere imaginé Qu'il alloit oublier l'empire De l'hiver le plus obstiné, Et se donner les airs d'écrire.
Dans ce morne et pesant repos Une lettre charmante arrive
Des bords toujours chers et nouveaux Que baigne et pare de ses eaux La Seine à regret fugitive.
O traits enchanteurs et puissants! O prompte et céleste magie D'un souvenir vainqueur des ans! Aux accents d'une voix chérie Qui peut tout sur ses sentiments, Et qui sait parer tous les temps Des roses d'un heureux génie, L'habitant désœuvré des champs A cru voir pour quelques instants
Sa solitude refleurie
Briller des couleurs du printemps, Et le rappeler à la vie,
A l'air pur des bois renaissants. Loin de la triste compagnie Des brochures et des écrans, Affranchi de sa léthargie, Dans une heureuse rêverie, A Crosne il s'est cru transporté; Crosne, ce pays enchanté De la belle et simple nature, De l'esprit sans méchanceté, Du sentiment sans imposture, Et de cette franche gaîté, Toujours nouvelle, toujours pure, Et si bonne pour la santé. L'éclat du plus beau jour de fête Y faisoit briller ce bonheur, Cette éloquente voix du cœur, Ce plaisir que nul art n'apprête: Un nouvel époux radieux Venoit d'amener en ces lieux Sa jeune et brillante conquête; Les vœux, les applaudissements Précédoient et suivoient leurs traces; A leurs chiffres resplendissants La gloire unissoit ceux des graces, Et du génie et des talents;
Et, sous ses auspices fideles Garantissant leur sort heureux, L'amitié couronnoit leurs nœuds De ses guirlandes immortelles. Un solennel complimenteur, Un long faiseur d'épithalames, Déploieroit ici sa splendeur
En beaux grands vers, en anagrammes, En refrains de chaînes, d'ardeurs, De beaux destins, de belles flammes; Il viendroit, traînant après lui Son édition bien pliée, Bien pesante, bien dédiée, Mêler les crêpes de l'ennui Aux atours de la mariée. Mais laissons dans tout leur
Les galants innocents propos Dont les chansonniers de familles, Et les aiglons provinciaux
Forment leurs longues cantatilles,
Leurs vieux impromptus, leurs rondeaux, Toutes leurs flammes si gentilles, Et leurs perfides madrigaux. Le sévere et måle génie Du sage et brillant Despréaux S'indigneroit si l'ineptie
De tous ces vers de coterie, De fadeurs, de mauvais propos,
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