De quelle vile servitude Tu subis la fatalité!
Un obscur et pesant reptile, Un être platement tondu, Simulacre ignare, imbécille, De la terre poids inutile, Un moine, le portrait est vu, Un moine va se voir ton maître! Et cet épais et lourd cafard Qu'ébaucha le ciel au hasard Pour végéter, ronfler, et paître, Grace à la faveur du destin Et d'une authentique patente, De cent mille livres de rente Va devenir le souverain!
Dans ce char que suivoient ses peres L'âne mitré va se montrer,
Et régner sur ces mêmes terres
Qu'il étoit né pour labourer!
O vous, défuntes seigneuries,
Vous, preux barons à courts manteaux, Hauts-justiciers, grands-sénéchaux, Des antiques chevaleries
Vieux châtelains, mânes dévots, Dont j'apperçois les armoiries Sur les débris de ces châteaux, Où de gros moines en repos, Munis de vos chartres moisies,
Broutent et boivent sur vos os, Sans prier pour vos effigies,
Bons seigneurs, que vous étiez sots! Vous avez cru de vos largesses Doter l'Honneur, la Piété,
Et laisser avec vos richesses Des peres à la Pauvreté; Que le Dieu juste récompense Vos benoites intentions!
Mais que l'avare et basse engeance Qu'engraissent vos fondations A bien trompé votre espérance! Oh! quel peuple avez-vous renté? L'hypocrite Perversité,
La lubrique Fainéantise, La stupide imbécillité, L'Avarice, la Dureté, La Chicane, la Fausseté, Tous les travers de la Bêtise, Et tous les vices qu'éternise L'impure et brute Oisiveté. Ces repaires de la Paresse, Ces gouffres creusés par vos mains, C'est là que s'abyment sans cesse Les richesses des lieux voisins; C'est pour ces massives statues, C'est pour ce peuple de sangsues Que le laboureur vertueux,
Accablé d'ans et d'amertume, Avec des enfants malheureux Veille, travaille, se consume Dès que l'aube éclaire les cieux. Ainsi, par des lois déplorables, La douloureuse pauvreté De tant de mortels respectables Enrichit l'inutilité
De ces fainéants méprisables, La fange de l'humanité! Tels ces cadavres homicides, Ces vampires, de sang avides, Des vivants éternels bourreaux, Par les secours d'un art impie Desséchant les sucs de la vie Dans des corps livrés au repos, S'engraissent au fond des tombeaux. O ma chere patrie! ô France! Toi chez qui tant d'augustes lois De tes sages et de tes rois Immortalisent la prudence, Comment laisses-tu si long-temps Ravir ta plus pure substance Par ces insectes dévorants Que peut écraser ta puissance, Et dont l'inutile existence Revient t'arracher tous les ans
Les moissons de tes plus beaux champs,
Et des biens dont la jouissance Devoit être la récompense
De tes véritables enfants?
Quels contrastes, dont ta sagesse Pourroit affranchir tes états! Je vois en proie à la paresse Ce que le travail n'obtient pas. Ce guerrier, qui dès sa jeunesse T'immola ses biens, son repos, Chargé du poids de sa tristesse Et d'une indigente noblesse, Après soixante ans de travaux, Traîne sa pénible vieillesse:
Pour te plaire, et pour t'éclairer,
Va dans les autres nations
Augmenter ta gloire premiere, Souvent dans toute leur carriere Négligés, privés de tes dons, Meurent méconnus de leur mere: Au sein d'un champ infructueux, Sans soulagement, sans salaire, Ce prêtre pauvre et vertueux, Environné de la misere, Triste pasteur des malheureux Qu'il édifie et qu'il éclaire,
Les console, et souffre plus qu'eux.
C'est sur ces hommes nécessaires Que tes bienfaits sont invoqués; Qu'à changer leurs destins contraires De tant d'avortons solitaires Les biens oisifs soient appliqués: De l'abyme des monasteres Qu'à ta voix ils soient évoqués; Et renvoie au soc de leurs peres Tant de laboureurs enfroqués. Tes arts divers te redemandent Tant d'hommes mis au rang des morts; Tes droits, tes besoins les attendent Sous tes drapeaux et dans tes ports. La postérité gémissante
Un jour regrettera ces biens; Et l'humanité languissante Perdant des peres, des soutiens, A ces gouffres, qui t'appauvrissent, Des races qui s'anéantissent Redemande les citoyens.
Contemple tes champs et tes villes: Vois tes pertes et ton erreur. Autour de ces riches asiles
Où cet avare possesseur,
Ce moine absorbe avec hauteur
Tous les fruits de ces bords fertiles, Que d'hommes qui seroient utiles A ta richesse, à ta grandeur,
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