Rappelez-vous à la lumiere
Un phosphore, une ombre légere Qu'ont tracé mes foibles crayons, Et dont la lueur passagere S'efface aux feux de vos rayons? Sur les songes de ma jeunesse Laissez les voiles de l'oubli; Que mon désert soit embelli Par votre main enchanteresse: Voilà le seul lien de fleurs Par qui je veux tenir encore A cet art qu'on profane ailleurs, Et que la raison même adore Quand il brille de vos couleurs. Prenez cette lyre éclatante Qui, par ses sons majestueux, Maîtrise mon ame, m'enchante, M'éleve à la hauteur des cieux; Ou
que ce facile génie
Qui de la céleste harmonie
Sait descendre aux délassements D'une douce philosophie,
M'offre encor ces amusements,
Ces écrits sans cajolerie, Sans satire, sans basse envie, Ces écrits nobles et riants, Sans pesante bouffonnerie, Où la gaîté, jointe au bon sens,
Crayonne l'humaine folie
Sous les traits heureux et brillants
De la bonne plaisanterie,
Dont tout le monde a la manie, Et qu'atteignent si peu de gens. Mais, par malheur pour qui vous aime, Ne confiant rien qu'à regret, Toujours mécontent de vous-même, Vous voulez être trop parfait; Et dans votre trop beau systême Un ouvrage n'est jamais fait. Contre mes vœux et mes instances Tous vos prétextes sont usés: Soyez moins parfait, et lisez; J'aime jusqu'à vos négligences. Pourquoi vous ravir si souvent A l'amitié qui vous rappelle, Et lui cacher si constamment Des trésors qui sont faits pour Sauvage enfant de Philomele, Vous êtes cet oiseau charmant Qui, sous la verdure nouvelle, Content du ciel pour confident De la tendresse de son chant, Semble fuir la race mortelle, Et s'envole dès qu'on l'entend.
L'auteur commence cette épître par féliciter en prose le P. Bougeant de son retour de La Fleche, où il avoit été exilé à l'occasion de son Amusement Philosophique sur le langage des bêtes; puis il continue ainsi :
au sortir du monument
De cette Fleche tant maudite, Votre révérence en son gîte
A trouvé bien du changement. Dans ce réduit * où la
sagesse Des beaux arts allumoit l'encens, Cette vapeur enchanteresse,
Ce café, l'ame de nos sens, Et des feux d'une aimable ivresse, Embrasoit ses plus chers enfants; Au lieu des muses solitaires, Compagnes des plaisirs parfaits,
* Endroit où s'assembloient les journalistes de Trévoux pour concerter leurs extraits.
Au lieu des lauriers ordinaires,
Vous n'avez trouvé qu'un cyprès. O douleur! ô sort peu durable De nos frêles humanités! Ce Stentor des paternités Qui paroissoit muni d'un rable Cimenté pour l'éternité, Après dix lustres de santé, Cet ami, ce savant aimable, L'historien des noms en us, Le pauvre Rouillé* n'est donc plus! Et la Parque a tranché le cable Par qui ses jours sembloient tenir A toute la race à venir. De rejoindre sitôt ses peres Puisque rien ne l'a su parer, Apprenez, estomacs vulgaires, A trépasser sans murmurer.
Un autre vuide, une autre perte, Je dirois presque une autre mort, De votre demeure déserte
Avoit encor changé le sort.
Vous n'avez plus trouvé ce sage
* Auteur d'une Histoire romaine.
** Le P. Brumoi, qui avoit été transféré du college de Louis-le-Grand à la maison professe, pour continuer l'Histoire de l'Église gallicane.
Qui, par le plus rare assemblage, Unit à la sublimité
D'un génie heureux et vanté
Les mœurs simples du premier âge, Et l'heureuse naïveté
Qui guidoit l'ame et le langage De cette bonne antiquité. Quelle triste fatalité!
Exilé d'un libre hermitage Au pays de la gravité, Quoi! l'interprete d'Euripide, D'Eschyle', Sophocle, et des dieux, Cet esprit dont le vol rapide Suivoit les aigles jusqu'aux cieux, Loin des arts et de la lumiere, Compilateur infortuné,
Aux vieux parchemins condamné, En va dévorer la poussiere
En bénédictin décharné!
Et les pinceaux faits pour la gloire Vont, dans une pesante histoire, Tracer des faits aventurés, De monacales anecdotes, Et l'origine des calotes, Et l'Iliade des curés!
Mais à ce sombre ministere,
fait pour son caractere,
Quand vous le croirez consacré,
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