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Sous ce nom viendroient se placer
Au même degré de noblesse
Que la dignité de penser.
Parmi l'aveugle multitude,
Et chez le vulgaire des grands,
L'industrie et la docte étude

N'ont point de grades différents :
Les plus nobles fruits de nos veilles
N'y trouvent pas d'autre destin
Que les mécaniques merveilles
Ou de la voix ou de la main,
Et dans cette estime stupide
On voit ensemble confondus
Horace avec Tigellius,

Et Praxitele et Thucydide,
Et Cicéron et Roscius.
Mais la fiere philosophie,
Instruite sans prévention
Que souvent le même génie
Est une aigle chez l'industrie,
Un insecte chez la raison,

Ne souffre point qu'un même nom
Honore sans distinction

Ce qui végete et ce qui pense,
Ni qu'on associe à ses yeux
La matiere et l'intelligence,
Les automates et les dieux.

Fidele aux lois qu'elle m'inspire,
Je n'appelle ici les talents
Que l'art de penser et d'écrire,
L'art de peindre les sentiments,
Et que les dons de ce génie
Qui fait dans des genres

Les oracles de la patrie

divers

Et les maîtres de l'univers.

Qu'on ne pense point qu'idolâtre
Des lyriques divinités,

Je n'aille offrir que leur théâtre,
leurs antres écartés.

Ou

que

Tous les esprits ont mon hommage;

J'adore Homere et Cicéron,
Démosthene, Euclide, et Platon;
Et, pour embellir la raison,
Si du poétique rivage
Aujourd'hui j'emprunte le ton,
Qu'au hasard et sans esclavage
La rime s'offre à mon pinceau,
Je m'arrête au vrai de l'image
Et non au cadre du tableau.
Loin du palais où l'opulence
Attire un peuple adulateur,
Loin de l'autel où l'on encense
Le fantôme de la grandeur,
Dans une heureuse solitude

La raison regne, et sous ses lois Y rassemble ces esprits droits Échappés à la servitude

Des préjugés et des emplois.

'

ÉPITRE XVIII.

A MME DE GENONVILLE.

Les fleurs dont l'Amour se couronne

ES

Et que voit naître le printemps,
Aux trésors tardifs de l'automne
Viennent mêler leurs ornements,
Et de leurs bouquets éclatants
Rajeunir le sein de Pomone;
Ainsi par un heureux destin
Du temps jaloux bravant l'outrage,
Ton esprit charmant et badin
Jette des fleurs sur son passage,
Et fait briller le soir de l'âge
De tout l'éclat de son matin.
Poursuis, aimable Genonville,
Embellis-toi de ta gaîté;
Que par ta voix tendre et facile
Le vif et joyeux vaudeville
Souvent à table soit fêté,
Et par les Plaisirs invité

S'y place au sein de sa famille,
Lorsque le nectar qui pétille
Sous les bouchons emprisonné,
Court remplir le crystal fragile
Où, brillant d'un éclat mobile,
Il sourit à l'œil étonné.

Quelquefois attendant l'aurore
Au milieu des jeux et des ris,
Livre tes pas à Terpsichore,
Dis des bons mots à tes amis.
L'amitié, que ton cœur adore,
Loin de toi bannit les soucis;
Mais pour mieux les chasser encore
Tu t'occupes des bons écrits
Que le bon siecle vit éclore:
Semblable au Zéphyr amoureux
Qui, du printemps enfant volage,
Court à chaque fleur d'un bocage
Porter le tribut de ses feux,
Tour-à-tour Racine et Moliere,

Chaulieu, Montagne, et La Bruyere,
Viennent s'asseoir à tes côtés
Dans ton asile solitaire,

Et sous leurs crayons enchantés
Tu vois d'une douce lumiere
Briller d'utiles vérités.

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