DU CHARTREUX,
Au sujet d'une femme qu'il avoit connue.
E me rappelle avec transport Les lieux et l'instant où le sort M'offrit cette nymphe chérie Dont un regard porta la vie Dans un cœur qu'habitoit la mort.
Félicité trop peu durable!
passa, ce songe enchanteur; Et je n'apperçus le bonheur Que pour être plus misérable.
La paix de ce morne séjour Ne peut appaiser ma blessure; Pour jamais je sens que l'Amour
Habitera ma sépulture.
En vain tout offre dans ce lieu De la mort l'affreuse livrée; D'épines, de croix entourée, La mort n'écarte point ce dieu: Par lui mon antre funéraire Brille des plus vives couleurs; Et ses mains répandent des fleurs Sur les cilices et la haire.
Déja le bruit lugubre et lent De l'airain aux accents funebres Me dérobe à l'enchantement Et m'appelle dans les ténebres; Déja dans un silence affreux, Sous un long cloître ténébreux, Que terminent des lampes sombres, Je vois errer les pâles ombres Des solitaires de ces lieux.
A travers leur dehors sauvage Ces lentes victimes du temps, Ces fantômes, ces pénitents, Dans un éternel esclavage Me semblent libres et contents Sous le poids des fers et de l'âge.
Contents! Hélas! ils n'ont point vu... O Dieu! si de mon immortelle Un regard leur étoit connu, Verroient-ils un bonheur loin d'elle?
Mais vous, que nos déserts épais, Nos tombeaux, notre nuit profonde, N'entourent point de leurs cyprès, Vous, heureux habitants du monde, Qui vivez, qui voyez ses traits,
Pouvez-vous la quitter jamais? Pour elle votre ame ravie N'a-t-elle pas trop peu de temps De tout l'espace de vos ans? Je voudrois de toute ma vie Acheter un de vos instants!
Contraint de dévorer mes peines Parmi le silence et l'effroi De ces retraites souterraines,
Toujours seul, toujours avec moi, Exclus de l'asile ordinaire
Que la nature ouvre au malheur, Je suis privé, dans ma misere,
De la consolante douceur
De pouvoir répandre mon cœur Dans l'ame sensible et sincere D'un fidele dépositaire
De mon éternelle douleur.
Rien n'offre en ce monde sauvage Ni soulagement ni pitié; Et, pour en achever l'image, On n'y connoît point l'amitié. Si quelquefois moins égarée La raison me luit un instant, Et me dit qu'un travail constant Trompera l'immense durée Du temps qui fuit si lentement Pour une ame désespérée ; Plus forte que tous mes projets, Bientôt une image adorée
Se fait voir dans tous les objets
Elle est le guide et le modele;
Sur le tour un essai nouveau Chaque jour lui promet mon zele.
Si je cultive, dès l'aurore,
Ces jasmins, ces myrtes, ces fleurs, C'est pour offrir l'encens de Flore Et les plus brillantes couleurs
A l'immortelle que j'adore.
Quand cette vigne dont mes mains Guident la seve vagabonde Répond au soin qui la féconde Et se couronne de raisins:
<«<Croissez, leur dis-je avec tendresse, Fruits heureux, embellissez-vous; Que sur vous l'automne s'empresse Et vous livre au sort le plus doux! Défendus par ma vigilance De mille insectes renaissants, Garantis de la violence
Et du sagittaire et des vents, Dans votre fraîcheur la plus pure Au sein des hivers dévorants, Vous irez porter mon encens Et l'hommage de la nature A la déesse du printemps. »
Ces dons de l'amour et des arts, Présentés sous le nom du zele, Seront offerts à ses regards.
Dieux! ils seront touchés. par elle!
Avant que de m'en détacher,
Que des pleurs, des baisers de flamme, Fassent passer toute mon ame
Dans ces dons qu'elle doit toucher!
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