L'amour d'une chere patrie Rappelle mon ame attendrie
Sur des bords plus beaux à mes yeux.
Loin du séjour que je regrette J'ai déja vu quatre printemps; Une inquiétude secrette
En a marqué tous les instants; De cette demeure chérie Une importune rêverie Me retrace l'éloignement. Faut-il qu'un souvenir que j'aime, Loin d'adoucir ma peine extrême, En aigrisse le sentiment?
Mais que dis-je? forçant l'obstacle Qui me sépare de ces lieux, Mon esprit se donne un spectacle Dont ne peuvent jouir mes yeux. Pourquoi m'en ferois-je une peine? La douce erreur qui me ramene Vers les objets de mes soupirs Est le seul plaisir qui me reste Dans la privation funeste
D'un bien qui manque à mes desirs.
Soit instinct, soit reconnoissance, L'homme, par un penchant secret,
Chérit le lieu de sa naissance,
Et ne le quitte qu'à regret;
Les cavernes hyperborées, Les plus odieuses contrées Savent plaire à leurs habitants; Sur nos délicieux rivages Transplantez ces peuples sauvages, Vous les y verrez moins contents.
Sans ce penchant qui nous domine Par un invisible ressort,
Le laboureur en sa chaumine Vivroit-il content de son sort? Hélas! au foyer de ses peres, Triste héritier de leurs miseres, Que pourroit-il trouver d'attraits, Si la naissance et l'habitude Ne lui rendoient sa solitude Plus charmante que les palais?
Souvent la fortune, un caprice, Ou l'amour de la nouveauté, Entraîne au loin notre avarice Ou notre curiosité;
Mais sous quelque beau ciel qu'on erre,
Il est toujours une autre terre
D'où le ciel nous paroît plus beau:
Loin que sa tendresse varie,
Cette estime de la patrie
Suit l'homme au-delà du tombeau.
Oui, dans sa course déplorée S'il succombe au dernier sommeil Sans revoir la douce contrée Où brilla son premier soleil, Là son dernier soupir s'adresse; Là son expirante tendresse Veut que ses os soient ramenés: D'une région étrangere La terre seroit moins légere A ses mânes abandonnés.
Ainsi, par le jaloux Auguste Banni de ton climat natal, Ovide, quand la Parque injuste T'alloit frapper du trait fatal, Craignant que ton ombre exilée, Aux ombres des Scythes mêlée, N'errât sur des bords inhumains, Tu priois que ta cendre libre, Rapportée aux rives du Tibre, Fût jointe aux cendres des Romains *.
Heureux qui, des mers atlantiques
Au toit paternel revenu,
Consacre à ses dieux domestiques
Un repos enfin obtenu!
Plus heureux le mortel sensible Qui reste, citoyen paisible, Où la nature l'a placé,
Jusqu'à ce que sa derniere heure Ouvre la derniere demeure
Où ses aïeux l'ont devancé!
Ceux qu'un destin fixe et tranquille Retient sous leurs propres lambris, Possedent ce bonheur facile
Sans en bien connoître le prix; Peut-être même fatiguée
D'être aux mêmes lieux reléguée, Leur ame ignore ces douceurs: Il ne faudroit qu'un an d'absence Pour leur apprendre la puissance Que la patrie a sur les cœurs.
Pour fixer le volage Ulysse, Jouet de Neptune irrité, En vain Calypso, plus propice, Lui promet l'immortalité:
Peu touché d'une isle charmante,
A Pluton, malgré son amante, De ses jours il soumet le fil;
Aimant mieux, dans sa cour déserte, Descendre au tombeau de Laërte, Qu'être immortel dans un exil.
A ces traits qui peut méconnoître L'amour généreux et puissant Dont le séjour qui nous voit naître S'attache notre cœur naissant? Ce noble amour dans la disgrace Nous arme d'une utile audace Contre le sort et le danger: A ta fuite il prêta ses ailes, Toi* qui, par des routes nouvelles, Volas loin d'un ciel étranger.
Cet amour, source de merveilles, Ame des vertus et des arts, Soutient l'Homere dans les veilles, Et l'Achille dans les hasards; Il a produit ces faits sublimes, Ces sacrifices magnanimes Qu'a peine les âges ont crus; D'un Curtius l'effort rapide, L'ardeur d'un Décie intrépide, Et le dévoûment d'un Codrus.
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