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Un crime digne de la mort,

Ainsi parloit, fuyant sa ville,
Thémistocle aux Athéniens:

<< Tel qu'un palmier qui sert d'asile,
« J'en sers à mes concitoyens :
<< Pendant le tonnerre et l'orage
<< Sous mon impénétrable ombrage
<< La peur des foudres les conduit;
« L'orage cesse, on m'abandonne,
<< Et long-temps avant mon automne
<< La foule ingrate abat mon fruit. »

fatale!)

D'un cœur né droit, noble, et sensible,
Rien n'enflamme tant le courroux
Que l'ingratitude inflexible
D'un traître qui se doit à nous.
Sous vingt poignards (fin trop
Le triomphateur de Pharsale
Voit ses jours vainqueurs abattus;
Mais de tant de coups le plus rude
Fut celui que l'ingratitude
Porta par la main de Brutus.

Mortels ingrats, ames sordides,
Que mes sons puissent vous fléchir!
Ou, si de vos retours perfides
L'homme ne peut vous affranchir,
Que les animaux soient vos maîtres!

O honte! ces stupides êtres

Savent-ils mieux l'art d'être humain?

*

Oui. Que Seneque vous apprenne
Ce qu'il admira dans l'arene

De l'amphithéâtre romain.

Un lion s'élance, on l'anime
Contre un esclave condamné;
Mais à l'aspect de sa victime
Il recule, il tombe étonné;
Sa cruauté se change en joie:
On lance sur la même proie
D'autres lions plus en courroux;
Le premier, d'un cœur indomtable,
Se range au parti du coupable,
Et seul le défend contre tous.

Autrefois du rivage more
Cet esclave avoit fui les fers;
Trouvant ce lion jeune encore
Abandonné dans les déserts,
Il avoit nourri sa jeunesse :
L'animál, ému de tendresse,
Reconnoît son cher bienfaiteur;
Un instinct de reconnoissance
Arme, couronne sa défense;
Il sauve son libérateur.

⭑ Lib. II, Benef. ch. xIx.

VIII.

AU ROI STANISLAS.

FRIVOLE ivresse, vain délire,
Remplirez-vous toujours nos chants?
Sans vos écarts, l'aimable lyre
N'a-t-elle point d'accords touchants?
Fuyez; mais vous, guidez mes traces,
Sœurs des Amours, naïves Graces;
Que le goût marche sur vos pas.
N'approuvez point ces sons stériles,
Ni ces fougues trop puériles
Que la raison n'approuve pas.

Près d'un héros chantez sans craindre;
Mêlez des fleurs à ses lauriers:

Je ne vous donne point à peindre
Sa grande ame, ses faits guerriers;
Mars effraieroit vos voix timides;
Laissez ces vertus intrépides
Aux accents du dieu de Claros:

Chantez sur des tons plus paisibles
Ces vertus douces et sensibles
Qui nous font aimer les héros.

Tracez l'aimable caractere
D'un prince formé de vos mains :
Stanislas... Ce nom doit vous plaire;
Rappelez ses premiers destins:
Je vous vois, brillantes déesses,
Combler son cœur de vos largesses;
Il saura gagner tous les cœurs.
De sa jeunesse fortunée
Vous avez fait la destinée;

Vous lui devez d'autres faveurs.

Aux potentats son sang l'égale:
Pourquoi n'en a-t-il pas les droits?
Il possede une ame royale;
Que ne le vois-je au rang des rois!
Graces, c'est à votre puissance
De suppléer à la naissance
Ce qu'a manqué l'aveugle sort;
Allez, recueillez les suffrages,
Soumettez-lui les fiers courages
Des plus nobles peuples du nord.

Mais déja l'alégresse éclate;
Il paroît, il est couronné;

Il charme l'austere Sarmate

Au pied du trône prosterné :
Pour munir d'un brillant auspice
Ce choix dicté par la justice,
La Victoire y mêle la voix
D'un jeune arbitre des couronnes*,
Moins jaloux d'occuper des trônes,
Qu'orgueilleux de faire des rois.

Sur ces deux princes magnanimes
Tout l'univers porte les yeux;
Unis par leurs exploits sublimes,
Un temps les voit victorieux...
Mais quelle soudaine disgrace!
Charles tombe, son nom s'efface,
Son pouvoir est évanoui.
O conquêtes, ô sort fragile!
Il avoit vécu comme Achille,
Il meurt au même âge que lui.

Quelle perte pour tes provinces!
Quand la Suede pleure son roi,
Pologne, le plus doux des princes
Cesse aussi de régner sur toi.
Il t'en reste encor l'espérance...

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* Charles XII.

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