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XI.

A VIRGILE,

SUR LA POÉSIE CHAMPETRE.

SUSPENDS tes flots, heureuse Loire, Dans ces vallons délicieux;

Quels bords t'offriront plus de gloire Et des côteaux plus gracieux?

Pactole, Méandre, Pénée,

Jamais votre onde fortunée

Ne coula sous de plus beaux cieux.

Ingénieuses Rêveries,

Songes riants, sages Loisirs,

Venez sous ces ombres chéries,
Vous suffirez à mes desirs.

Plaisirs brillants, troublez les villes;

Plaisirs champêtres et tranquilles,
Seuls vous êtes les vrais plaisirs.

Mais pourquoi ce triste silence?

Ces lieux charmants sont-ils déserts?
Quelle fatale violence

En éloigne les doux concerts?
Sur ces gazons et sous ces hêtres,
D'une troupe d'amants champêtres
Que n'entends-je les libres airs?

Quel son me frappe? une voix tendre
Sort de ces bocages secrets,

On soupire: pour mieux entendre
Entrons sous ces ombrages frais.
J'y vois une Nymphe affligée;
Sa beauté languit négligée,
Et sa couronne est un cyprès.

Seuls confidents de sa retraite,
Les Amours consolent ses maux;
L'un lui présente la houlette,
L'autre assemble des chalumeaux:
Foibles secours! rien ne la touche,
Des pleurs coulent; sa belle bouche
M'en apprend la cause en ces mots:

D'Euterpe tu reçois les larmes :

Je vais quitter ces beaux vergers;

Aux champs françois perdant mes charmes, Je fuis sur des bords étrangers.

Tu n'entends point dans ces prairies

Les chants vantés des bergeries;
C'est qu'il n'est plus de vrais bergers.

Dès qu'une frivole harmonie,
Asservissant mes libres sons,
Eut de la moderne** Ausonie
Banni mes premieres chansons,
De ces plaines dégénérées,
France, je vins dans tes contrées:
J'espérois mieux de tes leçons,

*2

Alcidor sut calmer ma peine
Par ses airs naïfs et touchants;
Galantes Nymphes de Touraine,
Il charmoit vos aimables champs:
Mourant, il laissa sa musette,
Au jeune amant de Timarete *'.
Dont l'Orne admira les doux chants.

Mais quand le paisible Élysée

Posséda Racan et Segrais,

Lorsque leur flûte fut brisée,

* On reproche les concetti et les pensées trop recherchées aux bergers italiens de Guarini, de Bonarelli, du cavalier Marini, etc.

**Acteur des Bergeries de M. le marquis de Racan, né en Touraine.

* Bergere des Idylles de M. de Segrais, né à Caen.

L'Idylle perdit ses attraits:
A peine la muse fleurie

D'un nouveau berger de Neustrie*

En sauva-t-elle quelques traits.

Bientôt Flore vit disparoître
Cette heureuse naïveté

Qui de mon empire champêtre
Faisoit la premiere beauté :
N'entendant plus aucun Tityre,
N'ayant rien d'aimable à redire,
L'écho se tut épouvanté.

La bergere, outrant sa parure,
N'eut plus que de faux agréments;
Le berger, quittant la nature,
N'eut plus que de faux sentiments;
Et ce qu'on appelle l'églogue
Ne fut plus qu'un froid dialogue
D'acteurs dérobés aux romans.

Leur voix contrainte ou doucereuse
Mit les Dryades aux abois;

Leur guitare trop langoureuse
Endormit les oiseaux des bois;
Les Amours en prirent la fuite,

* M. de Fontenelle.

Et vinrent pleurer à ma suite
La perte des premiers hautbois.

Tendres Muses de cet empire,
Oh! si, sortant de chez les morts,
Virgile, pour qui je soupire,
Ranimoit sa voix sur vos bords,
S'il quittoit sa langue étrangere,
Parlant la vôtre pour vous plaire,
Vous trouveriez mes vrais accords!

A ces mots la déesse agile

Fuit au travers des bois naissants...
Viens donc, parois, heureux Virgile;
De vingt siecles reçois l'encens:
Chez les Nymphes de ce rivage,
Berger françois, gagne un suffrage
Qui manque encore à tes accents.

Sous quelque langue qu'elle chante,
Ta muse aura ton air charmant:
Telle qu'une beauté touchante
Qui plaît sous tout habillement;
Tout lui sied bien, rien ne l'efface;
Pour elle une nouvelle grace
Naît d'un nouvel ajustement.

Viens sur les Tyrcis de Mantoue

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