falloit moins pour mieux faire : le vrai goût demande qu'on marche à côté de son auteur, sans le suivre en rampant, et sans baiser humblement tous ses pas. On doit le naturaliser dans nos mœurs, oublier ses tours, ses expressions, son style étranger au nôtre, ne lui laisser enfin que ses pensées, et les exprimer comme il auroit dû faire lui-même s'il avoit parlé notre langue. Le caractere libre de la poésie françoise ne se plie point volontiers à la précision du vers latin: ainsi on s'est mis au large, sans s'enchaîner aux termes; on ne s'est étudié qu'à conserver le fond des choses; on a quelquefois resserré, quelquefois étendu les pensées du poëte, selon le besoin des transitions et les contraintes de la rime. On ne doit montrer son auteur que par les endroits avantageux : tous le sont à-peu-près pour Virgile; cependant on a cru devoir décharger le style de certaines circonstances qui ne pourroient être rendues heureusement. Il est des traits que les Graces accompagnent dans le texte, et qu'elles abandonneroient dans la version. Par exemple, la circonstance des mœurs d'Églé, dans la sixieme Églogue, et la joue enluminée du dieu Pan dans la dixieme, n'ont rien de bas dans le latin; ce sont des situations naïves que la délicatesse de l'expression releve; mais elles ne présenteroient en françois qu'une idée basse et burlesque ces légers retranchements sont rachetés et remplacés par un peu plus d'étude dans les endroits riants et favorables. Il n'est pas besoin de justifier quelques changements dans les noms des bergers; chose indifférente, et qui n'ôte rien au sujet ni à la conduite du poëme. On s'est permis une liberté plus considérable, mais qu'on a crue nécessaire à nos mœurs et à notre goût; c'est le changement de quelques noms de bergers en des noms de bergeres; par-là les sentiments sont ramenés dans l'ordre, l'amour se trouve dans la nature, et le voile est tiré sur des images odieuses et détestées, qui pouvoient cependant plaire au siecle dépravé du poëte. C'est par ces mêmes égards qu'on a risqué la métamorphose de l'Alexis: quelques personnes d'un goût délicat et d'une critique éclairée ont enhardi l'auteur à ce changement. Il étoit difficile d'assez bien différencier les expressions de cette amitié d'avec celles de l'amour même; le préjugé reçu contre les mœurs de Virgile se seroit toujours maintenu, et auroit rendu aux sentiments de Coridon toute la vivacité passionnée qu'on auroit tâché d'adoucir et de colorer. ÉGLOGUE PREMIERE, TITYRE. MÉLIBÉE, TITYRE. MÉLIBÉE. TRANQUILLE, cher Tityre, à l'ombre de ce hêtre, TITYRE. Un Dieu, cher Mélibée, appui de ma foiblesse, Si dans un doux repos je chante encor des airs, MÉLIBÉE. Parmi tant de malheurs et de troubles affreux, Par des signes trop sûrs m'annonçoit son courroux! TITYRE. Bien loin de nos hameaux ce héros tient sa cour; Rome l'emporte autant sur le réste des villes |