V. DAPHNIS. . MÉNALQUE, MOPSUS. MÉNALQUE. PROFITONS, cher Mopsus, des moments précieux Que la fin d'un beau jour nous accorde en ces lieux: Je chante, vous jouez du hautbois avec grace; Essayons un concert digne des bois de Thrace. MOPSUS. Je suis prêt, cher Ménalque, à chanter avec vous: Vos accents ont pour moi les charmes les plus doux; Des zéphyrs du couchant les folâtres haleines Balancent de ces bois les ombres incertaines : Chantons sous ce feuillage, ou, si vous l'aimez mieux, A Faune de tout temps elle fut consacrée : Si mes vers sont moins beaux, pardonnez à ma muse Ce défaut d'agrément que ma jeunesse excuse. MÉNALQUE. Non, je sais qu'Amyntas ose seul dans nos bois MOPSUS. N'en soyez point surpris, dans son orgueil extrême De vos champêtres airs répétez les plus beaux; Ou plaignez dans vos chants cette amante célebre MOPSUS. Souffrez qu'à d'autres jours je réserve ces chants; Lorsque j'aurai chanté, que mon rival jaloux Vous montre aussi ses vers! qu'il chante! et jugez-nous. De vos chants et des siens je sais la différence : Est comme un saule obscur près d'un brillant rosier, Ou comme un foible ormeau près d'un bel olivier. MOPSUS. Si mes premiers essais m'ont 'acquis quelque gloire, Je la dois à vos soins, j'en chéris la mémoire. Nous voici dans la grotte où nous voulons chanter: La Douleur fit les vers que je vais répéter; Je les ai consacrés au berger plein de charmes Dont le trépas récent demande encor nos larmes. MÉNALQUE. L'agneau négligera le cytise fleuri Quand nous perdrons l'amour d'un berger si chéri. MOPSUS. Daphnis n'est plus! en vain nos muses le regrettent, Je le demande aux bois, et les bois me répetent, Destins trop rigoureux, inexorable Parque, Précipitent sitôt dans la fatale barque Ce berger plein d'attraits? Je vois ses yeux éteints; sa mere inconsolable Les arrose de pleurs, Et ses cris vont apprendre au ciel impitoyable Infortuné Daphnis! l'avide Proserpine T'enleve avant le temps; Ainsi tombe un tilleul que le vent déracine O jour trois fois cruel! Quel deuil dans la nature! Le soleil sans clarté, la terre sans verdure, Les ruisseaux, effrayés du bruit de nos alarmes, L'horreur d'un triste bord, et les flots de nos larmes On entendit gémir les jeunes Oréades Et de leurs belles eaux les sensibles Naïades Aux longs gémissements des Nymphes fugitives Renvoyerent du fond des cavernes plaintives Alors aucun pasteur ne mena dans la plaine Sa flûte étoit muette, ou ne rendoit qu'à peine. Il n'est plus de beaux jours, berger, depuis ta perte, Palès ne chérit plus cette vigne déserte, Elle fuit en courroux; Nos prés sont défleuris, de plantes infertiles Et nos jardins n'ont plus que des ronces stériles Nous devions lés attraits de toute la contrée Telle, aux raisins brillants dont elle est colorée, Daphnis dans nos cantons accrédita l'orgie Il chanta le premier en vers pleins d'énergie Il étoit les amours et la gloire premiere Faut-il qu'il ne soit plus, en perdant la lumiere, Dans l'oisive langueur de nos douleurs extrêmes Allons rendre l'honneur et les devoirs suprêmes Pasteurs, rassemblez-vous, dépouillez vos guirlandes Paroissez, apportez de funebres offrandes, Marchez sans chalumeau; renversez vos houlettes, Sur ces autels jonchés de pâles violettes Élevez le tombeau du berger que je chante Et, pour éterniser sa mémoire touchante, |