Où la bizarre destinée Vient de m'enterrer à Paris.
Sur cette montagne empestée Où la foule toujours crottée De prestolets provinciaux Trotte sans cause et sans repos Vers ces demeures odieuses Où regnent les longs arguments Et les harangues ennuyeuses, Loin du séjour des agréments; fixer votre vue,
Dans cette pédantesque rue Où trente faquins d'imprimeurs, Avec un air de conséquence, Donnent froidement audience A cent faméliques auteurs, Il est un édifice immense Où dans un loisir studieux Les doctes arts forment l'enfance
Des fils des héros et des dieux : Là, du toit d'un cinquieme étage Qui domine avec avantage Tout le climat grammairien, S'éleve un antre aérien, Un astrologique hermitage,
Qui paroît mieux, dans le lointain, Le nid de quelque oiseau sauvage Que la retraite d'un humain.
C'est pourtant de cette guérite, C'est de ce céleste tombeau, Que votre ami, nouveau stylite, A la lueur d'un noir flambeau, Penché sur un lit sans rideau, Dans un déshabillé d'hermite, Vous griffonne aujourd'hui sans fard, Et peut-être sans trop de suite, Ces vers enfilés au hasard:
Et tandis que pour vous je veille Long-temps avant l'aube vermeille, Empaqueté comme un Lappon, Cinquante rats à mon oreille Ronflent encore en faux-bourdon.
Si ma chambre est ronde ou carrée,
C'est ce que je ne dirai pas; Tout ce que j'en sais, sans compas, C'est que, depuis l'oblique entrée, Dans cette cage resserrée On peut former jusqu'à six pas; Une lucarne mal vitrée, Près d'une gouttiere livrée A d'interminables sabbats, Où l'université des chats, A minuit, en robe fourrée, Vient tenir ses bruyants états; Une table mi-démembrée,
Près du plus humble des grabats;
Six brins de paille délabrée,
Tressés sur deux vieux échalas: Voilà les meubles délicats
Dont ma chartreuse est décorée, Et que les freres de Borée Bouleversent avec fracas, Lorsque sur ma niche éthérée Ils préludent aux fiers combats Qu'ils vont livrer sur vos climats, Ou quand leur troupe conjurée Y vient préparer ces frimas Qui versent sur chaque contrée Les catarrhes et le trépas.
Je n'outre rien; telle est en somme La demeure où je vis en paix, Concitoyen du peuple gnome, Des sylphides et des follets : Telles on nous peint les tanieres Où gisent, ainsi qu'au tombeau, Les pythonisses, les sorcieres, Dans le donjon d'un vieux château; Ou tel est le sublime siege
D'où, flanqué des trente-deux vents, L'auteur de l'almanach de Liege Lorgne l'histoire du beau temps, Et fabrique avec privilege Ses astronomiques romans.
Sur ce portrait abominable
On penseroit qu'en lieu pareil Il n'est point d'instant délectable Que dans les heures du sommeil. Pour moi, qui d'un poids équitable Ai pesé des foibles mortels Et les biens et les maux réels, Qui sais qu'un bonheur véritable Ne dépendit jamais des lieux, Que le palais le plus pompeux Souvent renferme un misérable, Et qu'un désert peut être aimable Pour quiconque sait être heureux; De ce Caucase inhabitable
Je me fais l'Olympe des dieux; Là, dans la liberté suprême, Semant de fleurs tous mes instants, Dans l'empire de l'hiver même Je trouve les jours du printemps. Calme heureux! loisir solitaire! Quand on jouit de ta douceur, Quel antre n'a pas de quoi plaire? Quelle caverne est étrangere Lorsqu'on y trouve le bonheur? Lorsqu'on y vit sans spectateur Dans le silence littéraire, Loin de tout importun jaseur, Loin des froids discours du vulgaire, Et des hauts tons de la grandeur;
Loin de ces troupes doucereuses Où d'insipides précieuses, Et de petits fats ignorants, Viennent, conduits par la Folie, S'ennuyer en cérémonie,
Et s'endormir en compliments; Loin de ces plates coteries Où l'on voit souvent réunies L'ignorance en petit manteau, La bigoterie en lunettes, La minauderie en cornettes, Et la réforme en grand chapeau; Loin de ce médisant infâme Qui de l'imposture et du blâme Est l'impur et bruyant écho; Loin de ces sots atrabilaires Qui, cousus de petits mysteres, Ne nous parlent qu'incognito; Loin de ces ignobles Zoïles, De ces enfileurs de dactyles, Coiffés de phrases imbécilles Et de classiques préjugés, Et qui, de l'enveloppe épaisse Des pédants de Rome et de Grece N'étant point encor dégagés, Portent leur petite sentence Sur la rime et sur les auteurs Avec autant de connoissance
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