La Raison, quittant son ton rude, Prendra le ton du sentiment; La Vertu n'y sera point prude; L'Esprit n'y sera point pédant; Le Savoir n'y sera mettable Que sous les traits de l'Agrément: Pourvu que l'on sache être aimable, suffisamment :
On y proscrira l'étalage
Des phrasiers, des rhéteurs bouffis: Rien n'y prendra le nom d'ouvrage; Mais, sous le nom de badinage, Il sera quelquefois permis
De rimer quelques chansonnettes, Et d'embellir quelques sornettes Du poétique coloris,
En répandant avec finesse Une nuance de sagesse Jusque sur Bacchus et les Ris. Par un arrêt en, vaudevilles On bannira les faux plaisants, Les cagots fades et rampants, Les complimenteurs imbécilles, Et le peuple de froids savants. Enfin cet heureux coin du monde N'aura but dans ses statuts
Que de nous soustraire aux abus
Dont ce bon univers abonde,
Toujours sur ces lieux enchanteurs Le soleil, levé sans nuages,
Fournira son cours sans orages, Et se couchera dans les fleurs. Pour prévenir la décadence Du nouvel établissement, Nul indiscret, nul inconstant, N'entrera dans la confidence: Ce canton veut être inconnu. Ses charmes, sa béatitude, Pour base ayant la solitude, S'il devient peuple, il est perdu.. Les états de la république Chaque automne s'assembleront; Et là notre regret unique, Nos uniques peines seront De ne pouvoir toute l'année Suivre cette loi fortunée De philosophiques loisirs, Jusqu'à ce moment où la Parque Emporte dans la même barque
Nos jeux, nos cœurs, et nos plaisirs..
Des régions de Sylphirie, De ce séjour aérien
Dont ma douce philosophie Sait bannir la mélancolie
En rimant quelque aimable rien, Salut, santé toujours fleurie, Solitude, et libre entretien A la république chérie Dont une tendre rêverie M'a déja rendu citoyen. Dans votre épître ingénieuse Vous prétendez que le pinceau Qui vous a tracé la CHARTREUSE N'en a pas fini le tableau, Et vous m'engagez à décrire D'un crayon léger et badin La carte du classique empire,
Et les mœurs du peuple latin. A la gaîté de nos maximes Pour ajuster ce grave objet,
Et ne point porter dans mes rimes La sécheresse du sujet,
Ecartons la muse empesée
Qui, se guindant sur de grands mots,
Des poëtes collégiaux. Je vous ai dépeint l'Élysée Dans le plaisir pur et parfait De mon hermitage secret: Par un contraste assez bizarre, Dans ce nouvel amusement, Je vais vous chanter le Ténare, Non sur un ton triste et pesant; Ennemi des muses plaintives, Jusque sur les fatales rives Je veux rimer en badinant.
Un peuple de jeunes esclaves Dans un silence rigoureux,
Des pleurs, des prisons, des entraves,
Un séjour vaste et ténébreux, Des cœurs dévoués à la plainte, Des jours filés par les ennuis, N'est-ce point la fidele empreinte Du triste royaume des nuits? N'en doutez point, ce que la fable
Nous a chanté des sombres bords, Cette peinture redoutable
Du profond empire des morts, C'étoit l'image prophétique
Des manoirs que j'offre à vos yeux, Et l'histoire trop véridique De leurs habitants malheureux. Avec l'Erebe et son cortege Confrontez ces antres divers, Et dans le portrait d'un college Vous reconnoîtrez les enfers. Tel étoit le vrai parallele Que dans cette derniere nuit Un songe offroit à mon esprit: Aminte, je me le rappelle; Dans ce délire réfléchi
Je croyois vous conduire ici; Et, si ma mémoire est fidele, Je vous entretenois ainsi : Venez, de la docte poussiere Osez franchir les tourbillons; Perçons l'infernale carriere Des scholastiques régions: Là, comme aux sources du Cocyte, On ne connoît plus les beaux jours; Sur cette demeure proscrite La nuit semble régner toujours: Là de la charmante nature
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