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On ne trouve plus les beautés;
Les eaux, les fleurs, nì la verdure,
N'ornent point ces lieux détestés;
Les seuls oiseaux d'affreux augure
Y forment des sons redoutés.
Dès l'abord de ce gouffre horrible
Tout nous retrace l'Achéron.
Voyez ce portier inflexible,
Qui, payé pour être terrible,
Et muni d'un cœur de Huron,
Réunit dans son caractere
La triple rigueur de Cerbere,
Et l'ame avare de Caron:
Ainsi que ces ombres légeres
Qui pour leurs demeures premieres
Formoient des regrets et des vœux,
Les jeunes captifs de ces lieux
Voltigent auprès des barrieres,
Sans pouvoir échapper aux yeux
De ce satellite odieux.

Entrons sous ces voûtes antiques
Et sous les lugubres portiques
De ces tribunaux renommés:
Au lieu de ces voiles funebres
Qui de l'empire des ténebres
Tapissoient les murs enfumés,.
D'une longue suite de theses
Contemplez les vils monuments,

Archives de doctes fadaises,
Supplice éternel du bon sens.
A la place des Tisiphones,

Des Sphinx, des Larves, des Gorgones,
Qui du Styx étoient les bourreaux,
J'apperçois des tyrans nouveaux,
L'hyperbole aux longues échasses,
La catachrese aux doubles faces,
Les logogriphes effrayants,
L'impitoyable syllogisme,
Que suit le ténébreux sophisme,
Avec les ennuis dévorants.
Quelle inexorable Mégere
Ici rassemble avant le temps
Ces mânes jeunes et tremblants,
Et ravis au sein de leur mere!
Sur leurs déplorables destins,
Dans des lieux voués au silence,
Voyez de pâles souverains
Exercer leur triste puissance;

Un sceptre noir arme leurs mains:
Ainsi Rhadamante aux traits sombres,
Balançant l'urne de la mort,

Sur le peuple muet des ombres
Prononçoit les arrêts du sort.
Mais quelles alarmes soudaines!
D'où partent ces longues clameurs?
Pourquoi ces prisons et ces chaînes?

Sur qui tombent ces fouets vengeurs?
Tel étoit l'appareil barbare

Des tortures du Phlégéton;

Tels étoient les cris du Tartare

Sous la fourche du vieux Pluton.
Près de ces cavernes fatales

Quels sont ces brûlants soupiraux?
Que vois-je! quels nouveaux Tantales
Maudissent ces perfides eaux?
De ce parallele grotesque
Moitié vrai, moitié romanesque,
Aminte, pour vous égayer,
J'aurois rempli le cadre entier,
Si, dans cet endroit de mon songe,
Un cruel, osant m'éveiller,

N'eût dissipé ce doux mensonge,
Et le prestige officieux

Qui vous présentoit à mes yeux:

Ce hideux bourreau, moins un homme.

Qu'un patibulaire fantôme,

Tel qu'on les peint en noirs lambeaux, Et, dans l'horreur du crépuscule,

Tenant leur conciliabule

Parmi la cendre des tombeaux;

Ce spectre, dis-je, au front sinistre,
Du tumulte bruyant ministre,
Affublé de l'accoutrement

D'un précurseur d'enterrement,

Bien avant l'aube matinale,

Chaque jour troublant mon réduit,
Armé d'une lampe infernale,
M'offre un jour plus noir que la nuit,
Et, d'une bouche sépulcrale,
M'annonce que l'heure fatale
Ramene le démon du bruit.
Par cet arrêt impitoyable
Arraché du sein délectable

Et des songes et du

repos,

L'œil encor chargé de pavots,

Aux cieux je cherche en vain l'aurore;
Un voile épais couvre les airs,
Et Phébus n'est point prêt encore
A quitter les nymphes des mers.
Astre qui réglas ma naissance,
Pourquoi ta suprême puissance,
En formant mes goûts et mon cœur,
Y versa-t-elle tant d'horreur

Pour la monacale indolence?

Plus respecté dans mon sommeil,
Exempt des craintes du réveil,
J'eusse les deux tiers de ma vie
Dormi sans trouble, sans envie,
Dans un dortoir de Victorin,
Ou sur la couche rebondie
D'un procureur génovéfain.

Il est vrai qu'un peu d'ignorance

Eût suivi ce destin flatteur.
Qu'importe? le nom de docteur
N'eût jamais tenté ma prudence;
Jamais d'un sommeil enchanteur
Il n'eût violé la constance.
Une éternité de science

Vaut-elle une nuit de bonheur?
Par votre missive charmante
Vous me chargez de vous donner
Quelque nouvelle intéressante,
Ou quelque anecdote amusante.
Mais
que puis-je vous griffonner?
Les politiques rêveries

Des vieux chapiers des Tuileries
Intéressent fort peu mes soins,
Vous amuseroient encor moins;
Et d'ailleurs, selon le génie
De notre aimable colonie,
Je ne dois point perdre d'instants,
Ni prendre une peine futile
A disserter en grave style
Sur les bagatelles du temps:
Qu'on fasse la paix ou la guerre,
Que tout soit changé sur la terre,
Nos citoyens l'ignoreront;
Exempts de soucis inutiles,
Dans cet univers ils vivront

Comme des passagers tranquilles

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