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Notre Hélicon, trop long-temps désolé,
Ne voit-il pas ses graces fugitives?
Oui, chaque jour la Muse de nos rives,
Pleurant encor son Horace exilé,
Demande aux dieux que ce phénix lyrique,
Dont la jeunesse illustra ces climats,
Revienne enfin de la rive belgique
Se reproduire et renaître en ses bras.

Voilà pourtant, Muse, voilà l'histoire

Des dons fameux qu'ont procurés tes sœurs,
Vingt ans d'ennuis pour quelques jours de gloire.
Et j'envierois tes trompeuses faveurs!
J'en conviendrai, de ces dieux du Permesse
N'atteignant point les talents enchanteurs,
Et défendu par ma propre foiblesse,

Je n'aurois pas à craindre leurs malheurs.
Eh!
que sait-on? un simple badinage
Mal entendu d'une prude ou d'un sot,
Peut vous jeter sur un autre rivage:
Pour perdre un sage il ne faut qu'un bigot.
Cependant, Muse, à quelle folle ivresse
Veux-tu livrer mon tranquille enjoûment?
Toujours fidele à l'aimable paresse,
Et ne voulant qu'un travail d'agrément,
Jusqu'à ce jour tu chérissois la rime
Moins par fureur que par amusement;
Quel feu subit te transporte, t'anime,
Et d'un plaisir va te faire un tourment?

Hélas! je vois par quel charme séduite
Tu veux franchir la carriere des airs:
De mille objets la nouveauté t'invite;
Et leur image, autrefois interdite
A ton pinceau dans les jours de tes fers,
Vient aujourd'hui te demander des vers:
Rendue enfin à la scene du monde,
Tu crois sortir d'une éclipse profonde,
Et voir éclore un nouvel univers;
Autour de toi mille sources nouvelles
A chaque instant jaillissent jusqu'aux cieux ;
Pour t'enlever sur leurs brillantes ailes
Tous les plaisirs voltigent à tes yeux;
Pour t'égarer, le dieu du docte empire
T'ouvre des bois nouveaux à tes regards,
Et fait pour toi briller de toutes parts
Le brodequin, le cothurne, la lyre,
Le luth d'Euterpe, et le clairon de Mars.
Un autre dieu, plus charmant et plus tendre,
Jusqu'à ce jour absent de tes chansons,
Sous mille attraits caché pour te surprendre,
Prétend mêler des soupirs à tes sons.

De tant d'objets la pompe réunie
A chaque instant redouble ta manie;

Et tu voudrois, dans tes nouveaux transports,
Sur vingt sujets essayer tes accords?

Tel dans nos champs, au lever de l'aurore,
Prenant son vol pour la premiere fois,

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Charmé, surpris, entre Pomone et Flore
Le jeune oiseau ne peut fixer son choix;
De la fougere à l'épine fleurie

Il va porter ses desirs inconstants;
Il vole au bois, il est dans la prairie;
Il est par-tout dans les mêmes instants.
C'en est donc fait, Muse, dans la carriere
Tu prétends voir ton char bientôt lancé:
Du moins, avant qu'on t'ouvre la barriere,
Pour prévenir un écart insensé,

Va consulter la sage Deshouliere,

Et vois les traits dont sa muse en courroux
De l'art des vers nous a peint les dégoûts.
Quand tu serois à l'abri des disgraces
Que le génie entraîne sur ses traces,
Craindrois-tu moins le bizarre fracas
Qui d'Apollon accompagne les pas,
Du nom d'auteur l'ennuyeux étalage,
D'auteur montré le fade personnage:
Que sais-je enfin? tous les soins, tout l'ennui,
Qu'un vain talent nous apporte avec lui?

Dès qu'un mortel, auteur involontaire,
Est arraché de l'ombre du mystere,
Où, s'amusant et charmant sa langueur,
Dans quelques vers il dépeignoit son cœur;
Du goût public honorable victime,
Bientôt, au prix de sa tranquillité,
Il va payer une inutile estime,

Et regretter sa douce obscurité;
Privé du droit d'écrire en solitaire,
Et d'épancher son cœur, son caractere,
Toute son ame aux yeux de l'amitié,
L'amitié même, indiscrete et légere,
Le trahira sans croire lui déplaire;
Et son secret, follement publié,
S'il est en vers, sera sacrifié.

Ainsi les fruits d'un léger badinage,

Nés sans prétendre au grave nom d'ouvrage,
Nés pour mourir dans un cercle d'amis,
Au fier censeur seront pourtant soumis.
Si par
hasard il trouve, comme Horace,
Quelque Mécene ou quelque tendre Grace,
Tels que l'on voit, aux rives où j'écris,
Daphnis, Thémire, et la jeune Eucharis,
Qui cherchent moins dans la philosophie
L'esprit d'auteur que l'esprit de la vie,
Qu'un sage aisé, qui, naturel, égal,
Sache éviter le style théâtral,
Les airs guindés du peuple parasite
Des froids pédants, des fades rimailleurs,
Et dont les vers soient le dernier mérite,
Que de dégoûts l'investiront ailleurs!
Dans tous les lieux où l'errante fortune
L'entraînera sous ses pénibles fers,
Il essuiera la contrainte importune
De l'entretien de mille sots divers.

vers,

Qui, prévenus de cette erreur commune
Que quand on rime on ne sait que des
A son abord prendront cet idiôme,
Ce précieux, trop en vogue aujourd'hui;
Et de l'auteur ne distinguant pas l'homme,
En l'ennuyant, s'ennuieront avec lui.

Tels sont les maux où cet essor t'engage: Mais l'amour-propre, opposant son bandeau, De l'avenir te dérobe l'image,

Ou sait du moins ne le peindre qu'en beau:
Trompeur chéri, t'abusant pour te plaire,
Il te redit, dans tes nouveaux accès,
Qu'on a daigné sourire à tes essais,
Et qu'un public distingué du vulgaire
T'appelle encore à de plus hauts succès.
Mais connois-tu ce public variable,

Vain dans ses dons, constant dans ses dégoûts?
En deux printemps de ce juge peu stable

On peut se voir et l'idole et la fable:

Le nom de ceux qu'il voit d'un œil plus doux,
A peine écrit sur la mobile arene

Par les zéphyrs de l'heureuse Hippocrene,
Est effacé Éole
par

en courroux;

Et quand les fleurs dont le public vous pare
Conserveroient un éternel printemps,
Chez la Faveur, sa déesse bizarre,
Est-il des dons et des plaisirs constants?

Au sein des mers, dans une isle enchantée,

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