Près du séjour de l'inconstant Protée, Il est un temple élevé par l'Erreur, Où la brillante et volage Faveur,
Semant au loin l'espoir et les mensonges, D'un air distrait fait le sort des mortels; Son foible trône est sur l'aile des Songes, Les vents légers soutiennent ses autels: Là rarement la Raison, la Justice, Ont amené les mortels vertueux ; L'Opinion, la Mode, et le Caprice, Ouvrent le temple et nomment les heureux. En leur offrant la coupe délectable, Sous le nectar cachant un noir poison, La déité daigne paroître aimable, Et d'un sourire enivre leur raison. Au même instant l'agile Renommée Grave leur nom sur son char lumineux : Jouets constants d'une vaine fumée, Le monde entier se réveille pour eux; Mais sur la foi de l'onde pacifique A peine ils sont mollement endormis, Déifiés par l'erreur léthargique Qui leur fait voir dans des songes amis Tout l'univers à la gloire soumis, Dans ce sommeil d'une ivresse riante, En un moment la Faveur inconstante, Tournant ailleurs son essor incertain, Dans des déserts, loin de l'isle charmante,
Les aquilons les emportent soudain; Et leur réveil n'offre plus à leur vue
Que les rochers d'une plage inconnue,
Qu'un monde obscur sans printemps, sans beaux jours, Et que des cieux éclipsés pour toujours. Muse, crois-moi, qu'un autre sacrifie A la Faveur, à l'Estime, au renom Qu'un autre perde au temple d'Apollon peu d'instants qu'on appelle la vie, D'un vain honneur esclave fastueux, Toujours auteur, et jamais homme heureux; Moi, que le ciel fit naître moins sensible A tout éclat qu'à tout bonheur paisible, Je fuis du nom le dangereux lien; Et quelques vers échappés à ma veine, Nés sans dessein et façonnés sans peine Pour l'avenir ne m'engagent à rien. Plusieurs des fleurs que voit naître Pomone Au sein fécond des vergers renaissants Ne doivent point un tribut à l'Automne; Tout leur destin est de plaire au Printemps. Ici pourtant de ma philosophie
Ne va point, Muse, outrer le sentiment; Ne pense pas que de la poésie
J'aille abjurer l'empire trop charmant: J'en fuis les soins, j'en crains la frénésie; Mais j'en adore à jamais l'agrément. Ainsi conduit, ou par mes rêveries,
Ou par Bacchus, ou par d'autres appas, Quand quelquefois je porterai mes pas Où le Permesse épand ses eaux chéries, Dans ces moments mes vœux ne seront pas D'être enlevé dans un char de lumiere Sur ces sommets où la Muse guerriere Qui chante aux dieux les fastes des combats, La foudre en main, enseigna ses mysteres Aux Camoens, aux Miltons, aux Voltaires: Jaloux de voir un plus paisible lieu, Loin du tonnerre et guidé par un dieu, Dans les détours d'un amoureux bocage J'irai chercher ce solitaire ombrage, Ce beau vallon où La Fare et Chaulieu, Dans les transports d'une volupté pure, Sans préjugés, sans fastueux desirs, Près de Vénus, sur un lit de verdure, Venoient puiser au sein de la nature Ces vers aisés, enfants de leurs plaisirs; Et sans effroi du ténébreux monarque, Menant l'Amour jusqu'au sombre Achéron, Au son du luth descendoient vers la barque Par les sentiers du tendre Anacréon.
Là, si je puis reconnoître leurs traces, Et retrouver ce naïf agrément, Ce ton du cœur, ce négligé charmant Qui les rendit les poëtes des Graces; Du myrte seul chérissant les douceurs,
Des vains lauriers que Phébus vous dispense, Et qu'il vous ôte au gré de l'inconstance, Je céderai les pénibles honneurs.
Trop insensé qui, séduit par la gloire, Martyr constant d'un talent suborneur, Se fait d'écrire un ennuyeux bonheur, Et, s'immolant au soin de la mémoire, Perd le présent pour l'avenir trompeur! Tout cet éclat d'une gloire suprême, Et tout l'encens de la postérité, Vaut-il l'instant où je vis pour moi-même Dans mes plaisirs et dans ma liberté, Trouvant sans cesse auprès de ce que j'aime Des biens plus vrais que l'immortalité? Non, n'allons point dans de lugubres veilles De nos beaux jours éteindre les rayons, Pour enfanter de douteuses merveilles. Tandis, hélas! que l'on tient les crayons, Le printemps fuit, d'une main toujours prompte La Parque file, et dans la nuit du temps Ensevelit une foule d'instants
Dont le Plaisir vient nous demander compte. Qu'un dieu si cher remplisse tous nos jours; Et badinons seulement sur la lyre, Quand la Beauté, dans un tendre délire, Ordonnera des chansons aux Amours.
Mais, quelque rang que le sort me réserve,
Soit que je suive ou Thalie ou Minerve,
Écoute, Muse, et connois à quel prix Je souffrirai que quelquefois ta verve Vienne allier la rime à mes écrits.
Pour te guider vers la double colline, De ces sentiers préviens-tu les hasards; L'illusion, fascinant tes regards, Peut t'égarer sur la route voisine,
Et t'entraîner dans de honteux écarts: Connois ces lieux. Dans de plus heureux âges Vers le Parnasse on marchoit sans dangers; Nul monstre affreux n'infestoit les passages; C'étoit l'Olympe et le temple des sages; Là, sur la lyre ou les pipeaux légers, De Philomele égalant les ramages, Ils allioient par de doux assemblages L'esprit des dieux et les mœurs des bergers; Connoissant peu la basse jalousie, De la licence ennemis généreux, Ils ne mêloient aucun fiel dangereux, Aucun poison à la pure ambrosie; Et les zéphyrs de ces brillants coteaux, Accoutumés au doux son des guitares, Par des accords infâmes ou barbares N'avoient jamais réveillé les échos: Quand, évoqués par le Crime et l'Envie, Du fond du Styx deux spectres abhorrés, L'Obscénité, la noire Calomnie,
Osant entrer dans ces lieux révérés,
« PrécédentContinuer » |