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Vinrent tenter des accents ignorés.

Au même instant les lauriers se flétrirent,
Et les amours et les nymphes s'enfuirent.
Bientôt Phébus, outré de ce revers,

Au bas du mont de la docte Aonie
Précipitant ces filles des enfers,
Les replongea dans leur ignominie,
Et pour toujours instruisit l'univers
Que la Vertu, reine de l'harmonie,
A la décence, aux graces réunie,
Seule a le droit d'enfanter de beaux vers.
Pour rétablir leur attente trompée,
Non loin de là leur adroite fureur,
Sur les débris d'une roche escarpée,
Edifia, dans l'ombre et dans l'horreur,
Du vrai Parnasse un fantôme imposteur:
Là, pour grossir leurs profanes cabales,
Des chastes sœurs ces impures rivales,
L'encens en main, reçurent les rimeurs
Proscrits, exclus du temple des auteurs.
Ainsi, jaloux des abeilles fécondes,
Et du nectar que leurs soins ont formé,
Le vil frêlon sur des plantes immondes
Verse sans force un suc envenimé.
C'est là qu'encor cent obscurs satiriques,
Cent artisans de fadaises lubriques,
Par la débauche ou la haine conduits,
Dans le secret des plus sombres réduits

Vont, sans témoins, forger ces fölles rimes,
Ces vers grossiers, ces monstres anonymes,
Tout ce fatras de libelles pervers
Dont le Batave infecte l'univers.

O du génie usage trop funeste!
Pourquoi faut-il que ce don précieux,
Que l'art charmant, le langage céleste,
Fait pour chanter sur des tons gracieux
Les conquérants, les belles, et les dieux,
Chez une foule au Parnasse étrangere
Soit si souvent le jargon de Mégere,
L'organe impur des plus lâches noirceurs,
L'ame du crime, et la honte des mœurs!
Pourquoi faut-il que les pleurs de l'Aurore,
Qui ne devroient enfanter que des fleurs,
Au même instant fassent souvent éclore
Les sucs mortels et les poisons vengeurs!

Muse, je sais que tu fuiras sans peine
Les chants honteux de la Licence obscene:
Faite à chanter sans rougir de tes sons,
Tu n'iras point chez cette infâme reine
Prostituer tes naïves chansons.

Mais de tout temps, un peu trop prompte à rire,
Ton goût peut-être, en quelques noirs accès,
T'attacheroit au char de la Satire.

Ah! loin de toi ces cyniques excès!
Quelles douceurs en suivent les succès,
Si, quand l'ouvrage a le sceau de l'estime,

L'auteur flétri, fugitif, détesté,

Devient l'horreur de la société?

Je veux qu'épris d'un nom plus légitime,
Que, non content de se voir estimé,
Par son génie un amant de la rime
Emporte encor le plaisir d'être aimé;
Qu'aux régions à lui-même inconnues
Où voleront ses gracieux écrits,

A ce tableau de ses mœurs ingénues,
Tous ses lecteurs deviennent ses amis;
Que, dissipant le préjugé vulgaire,

Il montre enfin que sans crime on peut plaire,
Et réunir, par un heureux lien,

L'auteur charmant et le vrai citoyen.
En vain, guidé par un fougueux délire,
Le Juvénal du siecle de Louis

Fit un talent du crime de médire,
Mes yeux jamais n'en furent éblouis;
Ce n'est point là que ma raison l'admire:
Et Despréaux, ce chantre harmonieux,
Sur les autels du poétique empire
Ne seroit point au nombre de mes dieux,
Si, de l'opprobre organe impitoyable,
Toujours couvert d'une gloire coupable,
Il n'eût chanté que les malheureux noms
Des Colletets, des Cotins, des Pradons;
Mânes plaintifs, qui sur le noir rivage
Vont regrettant que ce censeur sauvage,

Les enchaînant dans d'immortels accords,
Les ait privés du commun avantage
D'être cachés dans la foule des morts.

Un autre écueil, Muse, te reste encore: En évitant cet antre ténébreux

Où, nourrissant le feu qui la dévore,
L'âpre Satire épand son fiel affreux,
Crains d'aborder à cette plage aride
Où la Louange, au ton foible et timide,
Aux yeux baissés, au doucereux souris,
Vient chaque jour, sous le titre insipide
D'odes aux grands, de bouquets aux Iris,
A l'univers préparer des ennuis.

Le Dieu du goût, au vrai toujours fidele,
N'exclut pas moins de sa cour immortelle
Le complaisant, le vil adulateur,

Que l'envieux et le noir imposteur.

Pars, c'en est fait; que ce fil secourable,
Te conduisant au lyrique séjour,
Sauve tes pas du dédale effroyable
Où mille auteurs s'égarent sans retour.
Dans ces vallons si la troupe invisible
Des froids censeurs, des Zoïles secrets,
Lance sur toi ses inutiles traits,

D'un cours égal poursuis ton vol paisible;
Par les fredons d'un rimeur désolé
Que ton repos ne puisse être troublé;
Et, sans jamais t'avilir à répondre,

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Laisse au mépris le soin de les confondre:
Rendre à leurs cris des sons injurieux,
C'est se flétrir et ramper avec eux.

A cette loi pour demeurer fidele
Devant tes yeux conserve ce modele.
Il est un sage, un favori des cieux,
Dont à l'envi tous les arts, tous les dieux
Ont couronné la brillante jeunesse,
Et qui, vainqueur du fuseau rigoureux,
Possede encor dans sa mâle vieillesse
L'art d'être aimable et le don d'être heureux.
Long-temps la Haine et la farouche Envie,
En s'obstinant à poursuivre ses pas,
Crurent troubler le calme de sa vie,

Et l'attirer dans de honteux combats;
Mais conservant sa douce indifférence,
Et retranché dans un noble silence,
De ses rivaux il trompa les projets;
Pouvant les vaincre, il leur laissa la paix.
D'affreux corbeaux lorsqu'un épais nuage
Trouble en passant le repos d'un bocage,
Laissant les airs à leurs sons glapissants,
Le rossignol interrompt ses accents,
Et, pour reprendre une chanson légere,
Seul il attend que le gosier touchant
D'une dryade ou de quelque bergere
Réveille enfin sa tendresse et son chant.

Prends le burin, et grave ces maximes

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