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de l'amour-propre; et, dans la retraite paisible où son amour pour son pays natal l'avoit ramené, il méditoit en silence beaucoup d'autres ouvrages, lorsqu'un nouveau désagrément qu'il eut à essuyer pour une phrase d'un discours académique, refroidit tout-à-coup son émulation, glaca son génie, et le livra dèslors aux religieuses insinuations de l'évêque . d'Amiens (d'Orléans de La Mothe). Ce prélat, d'une piété exemplaire autant que respectable, son ami particulier, avoit sur lui une grande autorité, et son seul tort peut-être fut d'avoir poussé trop loin l'usage de cette autorité, en exigeant au nom de Dieu des sacrifices littéraires que la véritable religion ne demandoit sans doute pas.

Le 14 décembre 1754 d'Alembert fut reçu à l'Académie françoise à la place de l'évêque de Vence, M. de Surian. Gresset, que son séjour habituel à Amiens n'empêchoit point de faire de temps à autre des voyages à Paris, étoit alors directeur de l'Académie, et, comme tel, obligé de faire le panégyrique du défunt. Il

crut le devoir louer par les endroits qui, dans sa conduite épiscopale, étoient vraiment louables. Voici donc ce qu'il dit de M. de Surian, et qui fit un si grand tort au panégyriste.

« Arrivé à l'épiscopat sans brigues, sans << bassesses et sans hypocrisie, il y vécut sans « faste, sans hauteur, et sans négligence. Ce « ne fut point de ces talents qui se taisent << dès qu'ils sont récompensés; de ces bouches « que la fortune rend muettes, et qui, se fer<< mant dès que le rang est obtenu, prouvent << trop que l'on ne prêche pas toujours pour << des conversions. Dévoué tout entier à l'in<< struction des peuples confiés à son zele, il << leur consacra tous ses talents, tous ses soins, << tous ses jours; pasteur d'autant plus cher à « son troupeau, que, ne le quittant jamais, «< il en étoit plus connu : louange rarement << donnée et bien digne d'être remarquée! Dans << le cours de plus de vingt années d'épiscopat, « M. l'évêque de Vence ne sortit jamais de « son diocese que quand il fut appelé par son

<< devoir à l'assemblée du clergé: bien diffé<< rent de ces pontifes agréables et profanes, «< crayonnés autrefois par Despréaux, et qui, << regardant leur devoir comme un ennui, « l'oisiveté comme un droit, leur résidence na-' << turelle comme un exil, venoient promener << leur inutilité parmi les écueils, le luxe et << la mollesse de la capitale, ou venoient ram«per à la cour et y traîner de l'ambition sans talent, de l'intrigue sans affaires, et de l'im«portance sans crédit. »

Il n'y avoit rien que de vrai dans toute cette tirade, qui rappelle le vers fameux de Boileau: C'est aux prélats de cour prêcher la résidence.

Mais si Boileau, protégé par Louis XIV, avoit pu étendre impunément les droits de la satire jusque sur les prélats de cour, Gresset, sous Louis XV, n'eut pas le même privilége; sa derniere phrase sur-tout parut une hardiesse si mal sonnante, qu'on la fit rayer du recueil de l'Académie. Lorsqu'il alla à Versailles présenter son discours, le roi lui

tourna le dos, le regardant comme un esprit fort. Gresset, consterné de cette disgrace, oublia tous ses projets littéraires; et désespéré de l'idée que Versailles le regardoit comme un homme dangereux, il se jeta dans les bras de l'évêque d'Amiens, et ne consulta que lui sur les moyens de se sauver du danger de passer pour un philosophe.

L'évêque d'Amiens ne pouvoit être blessé de ce portrait de M. de Surian, auquel il s'efforçoit de ressembler; mais il profita de cette circonstance pour persuader à son ami de renoncer au théâtre, et d'y renoncer par une espece d'abjuration publique. Il lui fit considérer cette démarche comme le seul moyen de réparer sa faute, et de rétablir à la cour sa réputation de chrétien. D'autres cir. constances seconderent les vues religieuses du prélat. Gresset fut extrêmement frappé de la mort subite d'un de ses amis, et le fut plus vivement encore du parti violent qu'un jeune homme d'Amiens, connu par beaucoup de scandale, prit, au milieu d'un bal masqué, de

se retirer à la Trappe, d'où il adressa à Amiens une homélie foudroyante contre les erreurs et les vains amusements du siecle. Enfin, en

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1759, Gresset, aux yeux de qui l'on faisoit briller la perspective de rentrer en grace à la cour, d'obtenir du roi des faveurs signalées; d'être appelé peut-être à l'éducation du duc de Bourgogne, Gresset, pressé par son évêque, qui étoit en même temps son confesseur, se détermina à la démarche la plus étrange. Après avoir jeté au feu des comédies et plusieurs autres ouvrages, fruit de tant de travaux et de veilles, il abjura solennellement le théâtre par une lettre qu'il fit insérer dans la plupart des journaux ; elle est datée du 14 mai 1759, et se trouve au tome II de cette édition, page 387.

On a jugé diversement cette résolution de Gresset nous autres mondains, nous n'y voyons que la perte de charmantes productions. Nous aimerions mieux que Gresset, resté un peu plus profane, ne nous eût pas privés des cinquieme et sixieme chants de Ver

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