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se reposent sur la tombe du chantre de VerVert. Au mur, derriere la crêche ou mangeoire, est attachée l'épitaphe ou inscription funéraire, qui semble n'être restée là que pour constater qu'une étable est la sépulture de Gresset et de sa famille. Je n'ai jamais été à Amiens; mais tel est le récit qui vient de m'être fait par une personne digne de foi, et qui arrive à l'instant de cette ville. Si la bonne volonté des administrateurs en chef, et les instances de quelques honnêtes citoyens n'ont pu réussir à faire rétablir pour Gresset un monument simple et modeste comme sa personne et ses ouvrages,au moins n'y a-t-il aucune raison pour laisser subsister une irrévérence aussi étrange qu'intolérable. J'ose croire que la mention que j'en fais ici, et que j'en fais dans cette seule intention, contribuera à faire chasser les vaches et supprimer l'étable, et que les Amienois ne voudront pas que des étrangers s'intéressent plus à Gresset qu'eux-mêmes.

Cet Essai a été rédigé d'après la vie de Gresset donnée par le P. Daire, 1779, in-12,

d'après les notices qui se lisent en tête des diverses éditions, le discours prononcé en 1787 par M. Boistel de Belloy, à l'inauguration du buste de Gresset, et aussi d'après deux notices rédigées, il y a quelques années, l'une par M. le comte François (de Neufchâteau), l'autre par un savant étranger, M. le C. de S., qui a bien voulu m'en donner communication. A. A. R.

ODE ADRESSÉE A GRESSET

PAR FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.

Divinité des vers et des êtres qui pensent,

Du palais des esprits d'où partent tes éclairs,
Du brillant sanctuaire où les humains t'encensent,
Écoute mes concerts.

Rien ne peut résister à ta force puissante:
Tu frappes les esprits, tu fais couler nos pleurs;
Ton éloquente voix, flatteuse ou foudroyante,
Est maîtresse des cœurs.

Tes rayons lumineux colorent la nature;

Ta main peupla la mer, l'air, la terre et les cieux :
Pallas te doit l'égide, et Vénus sa ceinture;

Tu créas tous les Dieux.

Sous un masque enchanteur la fiction hardie
Cacha de la vertu les préceptes charmants;
La vérité sévere en parut embellie,

Et toucha mieux nos sens.

Tu chantas les héros: ton sublime génie,
En son immensité bienfaisant et fécond,
Relevant leurs exploits, embellissant leur vie,
Les fit tout ce qu'ils sont.

Auguste doit sa gloire à la lyre d'Horace;

Virgile lui voua ses nobles fictions:

Séduits par leurs beaux vers, les mortels lui font grace De ses proscriptions.

Tandis qu'appesantis, vaincus par la matiere,
Les vulgaires humains, abrutis, fainéants,
Végetent sans penser, et n'ouvrent la paupiere
Que par l'instinct des sens;

Tandis

que des auteurs l'éloquence déchue
Coasse dans la fange au pied de l'Hélicon,
Se déchire en serpent, ou se traîne en tortue
Loin des pas d'Apollon:

O toi, fils de ce dieu, toi, nourrisson des Graces,
Tu prends ton vol aux lieux qu'habitent les neuf Sœurs,
Et l'on voit tour-à-tour renaître sur tes traces

Et des fruits et des fleurs.

Tes vers harmonieux, élégants sans parure,
Loin de l'art pédantesque en leur simplicité,
Enfants du dieu du goût, enfants de la nature,
Prêchent la volupté.

Tes soins laborieux nous vantent la paresse,
Et chacun de tes vers paroît la démentir;
Non, je ne connois point la pesante mollesse
Dans ce qu'ils font sentir.

Au centre du bon goût d'une nouvelle Athene
Tu moissonnes en paix la gloire des talents,
Tandis que l'univers, envieux de la Seine,
Applaudit à tes chants.

Berlin en est frappée: à sa voix qui t'appelle
Viens des Muses de l'Elbe animer les soupirs,
Et chanter, aux doux sons de ta lyre immortelle,
L'amour et les plaisirs.

De l'ode à laquelle celle-ci sert de réponse il n'a été publié qu'une seule strophe ; la voici avec une autre qui m'a été communiquée:

Prusse, il t'étoit promis ce roi, l'honneur du trône,
Possesseur des talents qui vont régir tes lois :
Lui-même, couronné par les arts qu'il couronne,
Est l'Apollon des rois.

Qu'il soit une contrée où, près du rang suprême,

Illustres sans aïeux, sans brigues protégés,

Au poids seul de leur être, au poids de l'homme même,
Les hommes soient jugés.

Lettres de J.-B. Rousseau sur Ver-Vert, la Chartreuse, et autres pieces, adressées à M. de Lasséré, conseiller au parlement, et au P, Brumoy, jésuite.

A M. DE LASSÉRÉ,

J'ai lu le poëme que vous m'avez envoyé : je vous avouerai sans flatterie, monsieur, que je n'ai jamais vu production qui m'ait autant surpris que celle-là. Sans sortir d'un style familier que l'auteur a choisi, il y étale tout ce que la poésie a de plus éclatant, et tout ce qu'une connoissance consommée du monde pourroit fournir à un homme qui y auroit passé toute sa vie; il n'étoit point fait pour le rôle qu'il a quitté, et je suis ravi de voir ses talents affranchis de l'esclavage d'une profession qui lui convenoit aussi peu.

Je ne saurois trop vous remercier, monsieur, de la peine que vous avez prise de me copier vous-même

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