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une piece si excellente: quelque longue qu'elle soit, je l'ai trouvée trop courte, quoique je l'ai lue deux fois. Il me tarde déja de la pouvoir joindre à celle que vous me promettez de la même main. Je ne sais si tous mes confreres modernes et moi ne ferions pas mieux de renoncer au métier que de le continuer, après l'apparition d'un phénomene aussi surprenant que celui que vous venez de me faire observer, qui nous efface tous dès sa naissance, et sur lequel nous n'avons d'autre avantage que l'ancienneté, que nous serions trop heureux de ne pas avoir. Je suis, etc.

AU P. BRUMOY.

Parmi les phénomenes littéraires que vous m'indiquez, vous n'avez point voulu m'en citer un qui a été élevé parmi vous, et que vous venez de rendre au monde : vous voyez bien que je veux parler du jeune auteur des poëmes du Perroquet et de la Chartreuse. Je n'ai vu de lui que ces deux ouvrages; mais, en vérité, je les aurois admirés, quand ils m'auroient été donnés comme le fruit d'une étude consommée du monde et de la langue françoise. Je ne crois pas qu'on puisse trouver nulle part plus de richesses jointes à une plus libérale facilité à les prodiguer. Quel

prodige dans un homme de vingt-six ans! et quel désespoir pour tous nos prétendus beaux-esprits modernes! J'ai toujours trouvé Chapelle très estimable, mais beaucoup moins, à dire vrai, qu'il n'étoit estimé; ici, c'est le naturel de Chapelle, mais son naturel épuré, embelli, orné, et étalé enfin dans toute sa perfection. Si jamais il peut parvenir à faire des vers un peu plus difficilement, je prévois qu'il nous effacera tous tant que nous sommes.

A M. DE LASSÉRÉ.

A ne juger du mérite de l'épître nouvelle' qu'en qualité d'ouvrier, peut-être lui donnerai-je moins de louanges: elle est plus négligée que les deux autres pieces que j'ai admirées du même auteur; mais à cela près on reconnoît la même main et le même génie, c'est-à-dire l'un des plus heureux et des plus beaux qui aient jamais existé. Il seroit fâcheux que la trempe en fût altérée par le mauvais exemple de quelques petits esprits d'aujourd'hui, qui comptent

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l'exactitude et la régularité pour rien, comme s'il pouvoit y avoir de la différence entre faire de bons vers et les faire bien, et que pécher contre la rime en françois ne fût pas la même chose que pécher contre la quantité en latin. Cette fausse maxime des génies paresseux ou impuissants doit être proscrite chez les génies aussi supérieurs que celui de notre jeune auteur. Ce n'est point une excuse de dire qu'on ne fait des vers que pour son plaisir : c'est pour le plaisir des lecteurs qu'on en doit faire ; et ce plaisir n'est point complet quand on peut s'apercevoir qu'il manque quelque chose à la façon. Il ne suffit pas qu'une boîte soit d'or, et que le dessin en soit neuf et agréable, il faut qu'elle soit finie et achevée dans toute sa perfection. Cet air facile qui fait le mérite d'un ouvrage ne consiste point dans l'inobservation des regles au contraire, cette inobservation fait voir l'impuissance où l'on est de surmonter les difficultés de l'art; et je ne veux point d'autre preuve de ma proposition, que les vers mêmes de notre aimable auteur, dont les plus corrects sont sans doute ceux où il regne un plus grand air de facilité. En un mot, le seul moyen de faire des vers faciles, c'est de les faire difficilement; et, si vous ne m'en croyez pas

sur ma parole, vous en conviendrez avec notre maître Horace, dont voici les propres termes :

Nec virtute foret clarisve potentius armis,
Quàm lingua, Latium, si non offenderet unum-
quemque poetarum limæ labor, et mora. Vos, 6
Pompilius sanguis, carmen reprehendite quod non
Multa dies et multa litura coercuit, atque
Præsectum decies non castigavit ad unguem.

Tâchez, mon cher monsieur, de lui inspirer cette maxime, sans lui dire qu'elle vienne de moi; car les conseils d'un homme inconnu ne seroient peutêtre pas aussi bien reçus que les vôtres, quoiqu'ils ne partent que du zele sincere que j'ai pour sa gloire et pour sa réputation, qui m'est aussi chere que la mienne propre.

Remerciez bien, je vous prie, M. l'évêque de Luçon de la bonté qu'il a eue de me commmuniquer par vos mains ces deux dernieres épîtres, que j'ai déja lues trois fois depuis vingt-quatre heures qu'il y a que je les ai reçues, et où je ne me lasse point d'admirer le génie surprenant et la riche fécondité qui les a produites. Si le Ver-Vert, qui est imprimé,

(1) Les Ombres et les Adieux.

vous tombe entre les mains, vous me ferez grand plaisir de me l'envoyer, car je ne le possede point en propre. Selon moi, cet ouvrage a sur ses cadets l'avantage de l'invention, et même celui de l'exactitude. C'est un véritable poëme, et le plus agréable badinage que nous ayons dans notre langue.

Voici des vers de l'Ouvroir qui m'ont été communiqués au moment où j'allois mettre sous presse cette derniere feuille. Je les dois à quelques amis de Gresset qui regrettent de n'en avoir pas jeté sur le papier beaucoup d'autres que le temps a effacés de leur mémoire.

D'un pinceau fier la soeur Saint-Raphaël
Trace la bouche et le nez du soleil,

Et, pour cacher la nudité mondaine,
Veut habiller Adam à la romaine.

La rime des deux premiers vers n'est pas des plus exactes; Gresset avoit probablement mis un autre nom qui aura été oublié.

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Si l'on ne brode pas pour soi,

On a sa niece, on est mere pour elle.

Toute la ville en saura la nouvelle;
Quand on dira: Cet ouvrage est parfait;

On répondra: Ma tante me l'a fait.*

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