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Quoi! nous vivons, et Ver-Vert va partir!
D'une autre part la mère sacristine
Trois fois pâlit, soupire quatre fois,
Pleure, frémit, se pâme, perd la voix.
Tout est en deuil. Je ne sais quel présage
D'un noir crayon leur trace ce voyage;
Pendant la nuit des songes pleins d'horreur
Du jour encor redoublent la terreur.
Trop vains regrets! l'instant funeste arrive :
Jà tout est prêt sur la fatale rive;
Il faut enfin se résoudre aux adieux,
Et commencer une absence cruelle:
Jà chaque sœur gémit en tourterelle,
Et plaint d'avance un veuvage ennuyeux.
Que de baisers au sortir de ces lieux
Reçut Ver-Vert! Quelles tendres alarmes !
On se l'arrache, on le baigne de larmes;
Plus il est prêt de quitter ce séjour,

Plus on lui trouve et d'esprit et de charmes.
Enfin pourtant il a passé le tour:

Du monastère avec lui fuit l'Amour.

Pars, va, mon fils, vole où l'honneur t'appelle ;
Reviens charmant, reviens toujours fidèle ;
Que les zéphyrs te portent sur les flots,
Tandis qu'ici dans un triste repos

Je languirai, forcément exilée,
Sombre, inconnue, et jamais consolée :

Pars, cher Ver-Vert, et dans ton heureux cours
Sois pris par-tout pour l'aîné des Amours.
Tel fut l'adieu d'une nonnain poupine,
Qui pour distraire et charmer sa langueur,
Entre deux draps avoit à la sourdine

Très souvent fait l'oraison dans Racine,
Et qui, sans doute, auroit de très grand cœur
Loin du couvent suivi l'oiseau parleur.

Mais c'en est fait, on embarque le drôle,
Jusqu'à présent vertueux, ingénu,
Jusqu'à présent modeste en sa parole:
Puisse son cœur, constamment défendu,"
Au cloître un jour rapporter sa vertu !
Quoi qu'il en soit, déja la rame vole;
Du bruit des eaux les airs ont retenti;
Un bon vent souffle, on part, on est parti.

FIN DU CHANT SECOND.

CHANT TROISIÈME.

La même nef, légère et vagabonde,
Qui voituroit le saint oiseau sur l'onde,
Portoit aussi deux nymphes, trois dragons,
Une nourrice, un moine, deux Gascons:
Pour un enfant qui sort du monastère
C'étoit échoir en dignes compagnons !
Aussi Ver-Vert, ignorant leurs façons,
Se trouva là comme en terre étrangère:
Nouvelle langue et nouvelles leçons.
L'oiseau surpris n'entendoit point leur style ;
Ce n'étoit plus paroles d'évangile ;

Ce n'étoit plus ces pieux entretiens,

Ces traits de bible et d'oraisons mentales, Qu'il entendoit chez nos douces vestales; Mais de gros mots, et non des plus chrétiens :

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Car les dragons, race assez peu dévote,
Ne parloient là que langue de gargotte ;
Charmant au mieux les ennuis du chemin,
Ils ne fêtoient que le patron du vin :
Puis les Gascons et les trois péronnelles
Y concertoient sur des tons de ruelles :
De leur côté, les bateliers juroient,

Rimoient en dieu, blasphémoient, et sacroient;
Leur voix, stylée aux tons mâles et fermes,
Articuloit sans rien perdre des termes.
Dans le fracas, confus, embarrassé,
Ver-Vert gardoit un silence forcé;
Triste, timide, il n'osoit se produire,
Et ne savoit que penser et que dire.
Pendant la route on voulut par faveur
Faire causer le perroquet rêveur.
Frère Lubin d'un ton peu monastique
Interrogea le beau mélancolique :
L'oiseau benin prend son air de douceur,
Et, vous poussant un soupir méthodique,
D'un ton pédant répond, Ave, ma sœur.
A cet Ave jugez si l'on dut rire ;

Tous en chorus bernent le pauvre sire.
Ainsi berné le novice interdit

Comprit en soi qu'il n'avoit pas bien dit,

Et qu'il seroit mal mené des commères
S'il ne parloit la langue des confrères :
Son cœur, né fier, et qui jusqu'à ce temps
Avoit été nourri d'un doux encens,
Ne put garder sa modeste constance
Dans cet assaut de mépris flétrissants.
A cet instant, en perdant patience,
Ver-Vert perdit sa première innocence.
Dès-lors ingrat, en soi-même il maudit
Les chères sœurs, ses premières maîtresses,
Qui n'avoient pas su mettre en son esprit
Du beau françois les brillantes finesses,
Les sons nerveux et les délicatesses.

A les apprendre il met donc tous ses soins,
Parlant très peu, mais n'en pensant pas moins.
D'abord l'oiseau, comme il n'étoit pas bête,
Pour faire place à de nouveaux discours,
Vit qu'il devoit oublier pour toujours
Tous les gaudés qui farcissoient sa tête :
Ils furent tous oubliés en deux jours;
Tant il trouva la langue à la dragonne
Plus du bel air que les termes de nonne !
En moins de rien l'éloquent animal,
(Hélas! jeunesse apprend trop bien le mal!)
L'animal, dis-je, éloquent et docile,

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