Il part, il arrive à bon port Dans ses solitaires retraites. Le lendemain, jour des rameaux, Prônant avec un zèle extrême, Il notifie à ses vassaux
La date de notre carême :
Mais, poursuit-il, j'ai mon système, Mes frères, nous n'y perdrons rien, « Et nous le rattraperons bien : D'abord, avant notre abstinence, Pour garder l'usage ancien,
Et bien remplir toute observance, « Le mardi-gras sera mardi;
« Le jour des cendres, mercredi;
Suivront trois jours de pénitence, Dans toute l'île on jeûnera;
Et dimanche, unis à l'église,
<< Sans plus craindre aucune méprise, « Nous chanterons l'Alleluia. »
De mes écrits aimable confident, Cher SEGONZAC, ma muse solitaire, De ses ennuis brisant la chaîne austère, Vient près de toi retrouver l'enjoùment. Je m'en souviens, lorsqu'un sort plus charmant Nous unissoit sur les rives de Loire,
Aux champs heureux dont Tours est l'ornement, Lieux toujours chers au dieu de l'agrément, Je te promis qu'au temple de Mémoire Je placerois le pupitre vivant,
Dont je t'appris la naissance et la gloire. Je l'ai promis ; je remplis mon serment. A dire vrai, cette moderne histoire Est un peu folle, il en faut convenir. Est-ce un défaut ? non, si c'est un plaisir. Dans les langueurs de la mélancolie
Quoi! la sagesse est-elle de saison ? Un trait comique, une vive saillie, Marqués au coin de l'aimable folie, Consolent mieux qu'une froide oraison Que prêche en vain l'ennuyeuse raison. Quoi qu'il en soit, ma Minerve sévère Adoucira ces grotesques portraits, Et, les voilant d'une gaze légère, Ne montrera que la moitié des traits. Venons au fait : honni qui mal y pense! Attention: j'ai toussé ; je commence.
Non loin des bords du Cher et de l'Auron, Dans un climat dont je tairai le nom, Est un vieux bourg, dont l'église sans vitres A pour clergé le plus gueux des chapitres. Là ne sont point de ces mortels fleuris Qui, dans les bras d'une heureuse indolence, Exempts d'étude et libres d'abstinence, N'ont qu'à nourrir leur brillant coloris : On ne voit là que pâles effigies
Qui du champagne onc ne furent rougies, Que maigres clercs, chanoines avortons, Sans rabats fins et sans triples mentons; Contraints d'aller, traînant leurs faces blêmes, A chaque office, et de chanter eux-mêmes.
Ils ont pourtant, pour aider leur labeur, Un chapelain, et quatre enfants de chœur : Ces jouvenceaux ont leur gîte ordinaire Chez dame Barbe; elle leur sert de mère Et de soutien : le public est leur père.
Il faut savoir, pour plus grande clarté, Que dame Barbe est une octogénaire, Un vétéran de la communauté, Fille jadis, aujourd'hui douairière, Qui dès seize ans, d'un siècle corrompu Craignant l'écueil, pour mettre sa vertu Mieux à couvert des mondains et des moines, Crut devoir vivre auprès d'un des chanoines : D'abord servante; ensuite adroitement Elle parvint jusqu'au gouvernement. Déja trois fois elle a vu dans l'église De père en fils chaque charge transmise. Barbe, en un mot, au chapitre susdit De race en race a gardé son crédit. Or chez ladite arriva notre histoire En juin dernier : l'aventure est notoire. Par cas fortuit l'enfant de chœur Lucas Avoit usé l'étui des pays bas :
Vous m'entendez; sa culotte trop mûre Le trahissoit par mainte découpure;
Déja la brèche, augmentant tous les jours, Démanteloit la place et les faubourgs. Barbe le voit, s'attendrit : mais que faire ? Elle étoit pauvre, et l'étoffe étoit chère ; D'une autre part le chapitre étoit gueux; Et puis d'ailleurs le petit malheureux, Ouvrage né d'un auteur anonyme, Ne connoissant parents ni légitime, N'avoit en tout dans ce stérile lieu Pour se chauffer que la grace de Dieu; Il languissoit dans une triste attente, Gardant la chambre, et rarement debout. Enfin pourtant l'habile gouvernante Sut lui forger une armure décente
peu de frais et dans un nouveau goût : Nécessité tire parti de tout;
Nécessité d'industrie est la mère.
Chez Barbe étoit un vieux antiphonaire, Vieux graduel, ample et poudreux bouquin, Dont aux bons jours on paroit le lutrin; D'épais lambeaux d'un parchemin gothique Formoient le corps de ce grimoire antique ; De ces feuillets, de la crasse endurcis, L'âge avoit fait une étoffe en glacis.
La vieille crut qu'on pouvoit sans dommages
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