Et jamais la bigoterie
Ne décida mes jugements.
Une indifférence suprême, Voilà mon principe et ma loi; Tout lieu, tout destin, tout système, Par là devient égal pour moi. Où je vois naître la journée, Là, content, j'en attends la fin, Prêt à partir le lendemain,
Si l'ordre de la destinée
Vient m'ouvrir un nouveau chemin. Sans opposer un goût rebelle
A ce domaine souverain,
Je me suis fait du sort humain
Une peinture trop fidèle ; Souvent dans les champêtres lieux Ce portrait frappera vos yeux. En promenant vos rêveries Dans le silence des prairies, Vous voyez un foible rameau Qui, par les jeux du vague Éole, Enlevé de quelque arbrisseau, Quitte sa tige, tombe, vole Sur la surface d'un ruisseau; Là, par une invincible pente,
Forcé d'errer et de changer, Il flotte au gré de l'onde errante Et d'un mouvement étranger; Souvent il paroît, il surnage, Souvent il est au fond des eaux;
Il rencontre sur son passage Tous les jours des pays nouveaux, Tantôt un fertile rivage Bordé de coteaux fortunés, Tantôt une rive sauvage, Et des déserts abandonnés : Parmi ces erreurs continues Il fuit, il vogue jusqu'au jour Qui l'ensevelit à son tour
Au sein de ces mers inconnues Où tout s'abyme sans retour.
Mais, qu'ai-je fait? Pardon, Aminte,
Si je viens de moraliser;
Dans une lettre sans contrainte
Je ne prétendois que causer.
Où sont, hélas ! ces douces heures Où, dans vos aimables demeures, Partageant vos discours charmants, Je partageois vos sentiments? Dans ces solitudes riantes
Quand me verrai-je de retour? Courez, volez, heures trop lentes Qui retardez cet heureux jour! Oui, dès que les desirs aimables, Joints aux souvenirs délectables, M'emportent vers ce doux séjour, Paris n'a plus rien qui me pique. Dans ce jardin si magnifique, Embelli par la main des rois, Je regrette ce bois rustique Où l'écho répétoit nos voix ; Sur ces rives tumultueuses Où les passions fastueuses Font régner le luxe et le bruit Jusque dans l'ombre de la nuit, Je regrette ce tendre asile Où sous des feuillages secrets Le Sommeil repose tranquille Dans les bras de l'aimable Paix ; A l'aspect de ces eaux captives Qu'en mille formes fugitives. L'art sait enchaîner dans les airs, Je regrette cette onde pure Qui, libre dans les antres verts, Suit la pente de la nature,
Et ne connoît point d'autres fers; En admirant la mélodie
De ces voix, de ces sons parfaits, Où le goût brillant d'Ausonie Se mêle aux agréments françois, Je regrette les chansonnettes Et le son des simples musettes Dont retentissent les coteaux, Quand vos bergères fortunées, Sur les soirs des belles journées, Ramènent gaîment leurs troupeaux ; Dans ces palais où la Mollesse, Peinte par les mains de l'Amour Sur une toile enchanteresse, Offre les fastes de sa cour, Je regrette ces jeunes hêtres Où ma muse plus d'une fois Grava les louanges champêtres Des divinités de vos bois ; Parmi la foule trop habile
Des beaux diseurs du nouveau style,
Qui, par de bizarres détours,
Quittant le ton de la nature,
Répandent sur tous leurs discoun's
L'académique enluminure
Et le vernis des nouveaux tours, Je regrette la bonhomie, L'air loyal, l'esprit non pointu, Et le patois tout ingénu
Du curé de la seigneurie, Qui, n'usant point sa belle vie Sur des écrits laborieux, Parle comme nos bons aïeux, Et donneroit, je le parie, L'histoire, les héros, les dieux, Et toute la mythologie, Pour un quartaut de Condrieux. Ainsi de mes plaisirs d'automne Je me remets l'enchantement; Et, de la tardive Pomone Rappelant le règne charmant, Je me redis incessamment : Dans ces solitudes riantes Quand me verrai-je de retour? Courez, volez, heures trop lentes Qui retardez cet heureux jour! Claire fontaine, aimable Isore, Rive où les Graces font éclore Des fleurs et des jeux éternels, Près de ta source, avant l'aurore,
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