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comme la piece de la bonne compagnie : l'élégance du style y est portée à sa perfection; c'est un modele de dialogue: la plupart des vers ont mérité de passer en proverbes ; et l'on a dit fort bien que Gresset, auteur d'une seule comédie, étoit le poëte comique dont on savoit le plus de

vers.

Comparativement aux pieces de Moliere,Gresset n'a fait que la comédie au pastel; mais le Méchant est un portrait de la Tour.

Cette comédie, dénuée d'intrigue et d'action, gagne plus à être lue qu'à être vue; aussi passe-telle pour une satire supérieurement dialoguée. La Harpe a fait voir, avec son talent accoutumé, en quoi l'auteur n'avoit pas su tirer parti de son plan, et avoit tari les sources de l'intérêt lui fournissoient les situations. Je ne puis mieux faire que de renvoyer les lecteurs à ce morceau du Cours de Littérature.

que

C'est le Méchant à la main que Gresset se présenta à l'académie française; il fut reçu aux acclamations du public et des gens de lettres, Piron

seul excepté, qui lui décocha cette épigramme, la meilleure de toutes celles qu'il ait faites:

En France on fait par un plaisant moyen
Taire un auteur quand d'écrits il assomme;
Dans un fauteuil d'académicien

Lui quarantieme on fait asseoir mon homme:
Lors il s'endort, et ne fait plus qu'un somme;
Plus n'en avez phrase, ni madrigal.

Au bel esprit ce fauteuil est en somme
Ce qu'à l'amour est le lit conjugal.

Piron étoit prophete: à peine Gresset eut-il été reçu à l'académie qu'il quitta Paris pour se retirer dans sa province, et se reposer de ses travaux littéraires. Il est à croire que cette épigramme lui fut d'autant plus douloureuse qu'il savoit très bien manier ce genre d'escrimes. On rapporte qu'il a fait près de dix mille épigrammes, dont la plupart étoient excellentes; elles ont toutes été brûlées à la sollicitation de M. de la Motte, évêque d'Amiens.

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Pour plaire à ce prélat, Gresset chanta la pali

nodie, dans sa Lettre sur la comédie, écrite en

1759. Cette lettre lui valut une seconde épigramme de Piron, presque aussi bonne que la premiere :

Gresset pleure sur ses ouvrages
En pénitent des plus touchés.
Apprenez à devenir sages,

Petits écrivains débauchés.

Pour nous, qu'il a si bien prêchés,

Prions tous que dans l'autre vie
Dieu veuille oublier ses péchés,

Comme en ce monde on les oublie.

L'épigramme est excellente; mais on voit trop percer l'intention de l'auteur: Piron, malgré sa Métromanie, avoit trop à cœur le succès du Méchant; c'étoit à ses yeux un péché qu'il eût voulu qu'on oubliát en ce monde. Tandis que Piron étoit jaloux du Méchant, Voltaire en étoit envieux *; témoins ces vers du Pauvre Diable:

* On sait que Voltaire n'a pu faire une bonne comédie.

Gresset doué du double privilege

D'être au college un bel esprit mondain,
Et dans le monde un homme de college;
Gresset dévot, long-temps petit badin,
Sanctifié par ses palinodies:

Il prétendoit avec componction
Qu'il avoit fait jadis des comédies
Dont à la Vierge il demandoit pardon.
Gresset se trompe, il n'est pas si coupable;
Un vers heureux et d'un tour agréable
Ne suffit pas; il faut une action,
De l'intérêt, du comique, une fable,
Des mœurs du temps un portrait véritable,
Pour consommer cette œuvre du démon.

Voilà la poétique de la comédie en quatre vers. Ce reproche de Voltaire à la piece du Méchant étoit encore plus applicable aux comédies que l'auteur a laissées manuscrites; et l'on doit peu les regretter en songeant que Gresset, loin de la capitale, avoit perdu de vue ses modeles, et ne faisoit plus que des caricatures.

Je remarquerai ici que le goût peut se perfectionner dans la solitude par la lecture réfléchie

des grands modeles, mais qu'il ne résiste pas à la contagion de la province.

Gresset en fut la preuve. Appelé à Paris pour répondre en qualité de directeur de l'académie française, au discours de réception de M. Suard, il prodigua des lieux communs de persifflage et de néologisme, tout en recommandant de les proscrire: son discours offroit les meilleurs matériaux de sa critique.

Avant de jeter un coup-d'oeil sur les pieces nouvelles insérées dans cette édition je vais rappeler les ouvrages que l'auteur n'a point imprimés.

Si quelque jour on retrouvoit le Gazetin, poëme en quatre chants, et le Parrain magnifique, poëme en dix chants, on les joindroit comme supplément à la présente édition.

Le Parrain magnifique, composé d'environ trois mille vers, offre à chaque chant, dit-on, des débuts de la plus riche poésie: en voici le canevas.

« Un abbé de qualité, mais fort peu généreux, a promis de tenir sur les fonts de baptême le fils d'un de ses gens d'affaires. Le moment arrivé,

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