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jusqu'à la porte de la chambre du roi'; et les | une excuse; c'est la conviction de la violence sages, qui l'improuvoient, ne prenoient aucun qui régnoit dans le parti, dont les chefs ne poumoyen efficace pour l'empêcher. Lorsque ce pré- voient contenir la fureur. Mais j'ai bien peur tendu martyr Anne du Bourg eut déclaré d'un qu'ils n'aient agi dans le même esprit que Cran ton de prophète au président Minard qu'il ré- mer et les autres réformateurs de l'Angleterre, cusoit, que malgré le refus qu'il fit de s'abste- qui, dans les plaintes qu'on faisoit contre les brinir de la connoissance de ce procès, il ne seroit seurs d'images, « encore qu'ils fussent d'humeur point de ses juges 2, les protestants surent bien » à donner des bornes au zèle du peuple, ne accomplir sa prophétié, et le président fut mas-» vouloient point qu'on s'y prit d'une manière sacré sur le soir en rentrant dans sa maison. On » à lui faire perdre cœur '. » Les chefs de nos sut depuis que Le Maistre et Saint-André, très calvinistes n'en usèrent pas d'une autre sorte; opposés au nouvel évangile, auroient eu le même et encore que par honneur ils blàmassent ces sort, s'ils étoient venus au palais: tant il étoit emportés, nous ne voyons pas qu'on en fît au- -dangereux d'offenser la réforme quoique foible; cune justice. On n'a qu'à lire l'histoire de Bèze, et nous apprenons de Bèze même, que Stuart, pour y voir nos réformés toujours prêts au moinparent de la reine, homme d'exécution, et dre bruit à prendre les armes, à rompre les pritrès zélé protestant, visitoit souvent en la con- sons, à occuper les églises; et jamais on ne vit ciergerie des prisonniers pour le fait de la reli- rien de si remuant. Qui ne sait les violences gion. On ne put pas le convaincre d'avoir fait que la reine de Navarre exerça sur les prêtres le coup; mais toujours voit-on le canal par où et sur les religieux? On montre encore les tours l'on pouvoit communiquer: et quoi qu'il en soit, d'où on précipitoit les catholiques, et les abîmes ni le parti ne manquoit de gens de main, ni on où on les jetoit. Le puits de l'évêché où on les ne peut accuser de ce complot que ceux qui s'in- noyoit dans Nimes, et les cruels instruments dont téressoient pour Anne du Bourg. Il est aisé de on se servoit pour les faire aller au prêche, ne prophétiser quand on a de tels anges pour exé- sont pas moins connus de tout le monde. On a cuteurs. L'assurance d'Annedu Bourg àmarquer encore les informations et les jugements, où il si précisément l'avenir fait assez voir le bon avis paroît que ces sanglantes exécutions se faisoient qu'il avoit reçu; et ce que dit l'histoire de M. de par délibération du conseil des protestans. On Thou, pour nous en faire un devin plutôt qu'un a en original les ordres des généraux, et ceux des complice d'un tel crime, ressent bien une addi- villes, à la requête des consistoires, pour contion de Genève. Il ne faut donc pas s'étonner traindre les papistes à embrasser la réforme, qu'un parti qui nourrissoit de tels esprits se soit par taxes, par logements, par démolition de déclaré aussitôt qu'il a trouvé des règnes foi-maisons, et par découverte des toils. Ceux qui bles: et c'est à quoi nous avons vu qu'on ne manqua pas.

Un nouveau défenseur de la réforme est persuadé par les mœurs peu chastes et par toute la conduite du prince de Condé, qu'il y avoit plus d'ambition que de religion dans son fail ; et il avoue que la religion ne lui servit qu'à trouver des instruments de vengeance 5. Par là il croit tout réduire à la politique, et excuser sa religion: sans songer que c'est cela même qu'on lui reproche, qu'une religion, qui se disoit réformée, ait été un instrument si prompt de la vengeance d'un prince ambitieux. C'est cependant le crime de tout le parti. Mais que nous dit cet auteur du pillage des églises et des sacristies, et du brisement des images et des autels? Il croit satisfaire à tout en disant, que ni par prières, ni par remontrances, ni même par châtiment le prince ne put arrêter ces désordres ". Ce n'est pas là

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s'absentoient, pour éviter ces violences, étoient dépouillés de leurs biens: les registres des hôtels-de-ville de Nîmes, de Montauban, d'Alais, de Montpellier, et des autres villes du parti, sont pleins de telles ordonnances; et je n'en parlerois pas sans les plaintes dont nos fugitifs remplissent toute l'Europe. Voilà ceux qui nous vantent leur douceur : iln'y avoit qu'à les laisser faire, à cause qu'ils appliquoient à tout l'Écriture sainte, et qu'ils chantoient mélodieusement des psaumes.. rimés. Ils trouvèrent bientôt les moyens de se mettre à couvert des martyres, à l'exemple de leurs docteurs, qui furent toujours en sûreté, pendant qu'ils animoient les autres; et Luther et Melancton, et Bucer et Zuingle, et Calvin et OEcolampade, et tous les autres se firent bientôt de sûrs asiles: et parmi ces chefs des réformateurs je ne connois point de martyrs, même faux, si ce n'est peut-être un Cranmer, que nous avons vu, après avoir deux fois renié sa foi, ne se résoudre à mourir en la professant, que lors

↑ Burn. II. part. liv. 1, p. 13.

qu'il vit son abjuration inutile à lui sauver la vie.

Mais à quoi bon, dira-t on, rappeler ces choses, afin qu'un ministre fâcheux vous vienne dire que vous ne voulez par là qu'aigrir les esprits, et accabler des malheureux? Il ne faut point que de telles craintes m'empêchent de raconter ce qui est si visiblement de mon sujet : et tout ce que les protestants équitables peuvent exiger de moi dans une histoire, c'est que, sans m'en rapporter à leur adversaires, j'écoute aussi leurs auteurs. Je fais plus : et non content de les écouter, je prends droit, pour ainsi parler, par leur témoignage. Que nos frères ouvrent donc les yeux; qu'ils les jettent sur l'ancienne Eglise, qui durant tant de siècles d'une persécution si cruelle ne s'est jamais échappée, ni un seul moment, ni dans un seul homme, et qu'on a vue aussi soumise sous Dioclétien, et même sous Julien l'Apostat, lorsqu'elle remplissoit déja toute la terre, que sous Néron et sous Domitien lorsqu'elle ne faisoit que de naître : c'est là qu'on voit véritablement le doigt de Dieu. Mais il n'y a rien de semblable, lorsqu'on se soulève aussitôt qu'on peut, et que les guerres durent beaucoup plus que la patience. L'expérience nous fait assez voir, dans tous les partis, que l'entêtement et la prévention peuvent imiter la force, du moins durant quelque temps; et on n'a point dans le cœur les maximes de la douceur chrétienne, quand on les change sitôt, non seulement en des pratiques, mais encore en des maximes contraires, avec délibération, et par des décisions expresses, comme on a vu qu'ont fait nos protestants. C'est donc ici une véritable variation dans leur doctrine, et un effet de la perpétuelle instabilité, qui doit faire considérer leur réforme comme un ouvrage de la nature de ceux qui, n'ayant rien que d'humain, doivent être dissipés, selon la maxime de Gamaliel '.

L'assassinat de François duc de Guise ne doit pas être oublié dans cette histoire, puisque l'auteur de ce meurtre mêla sa religion dans son crime. C'est Bèze qui nous représente Poltrot comme ému d'un secret mouvement 2, lorsqu'il se détermina à ce coup infâme; et afin de nous faire entendre que ce mouvement secret étoit de Dieu, il nous dépeint encore le même Poltrot tout prêt à exécuter ce noir dessein, « priant » Dieu très ardemment qu'il lui fît la grace de > lui changer son vouloir, si ce qu'il vouloit » faire lui étoit désagréable; ou bien qu'il lui » donnât constance, et assez de force pour tuer » ce tyran, et par ce moyen délivrer Orléans de Act. v. 38. — Liv. v1. p. 267.

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» destruction, et tout le royaume d'une si mal» heureuse tyrannie'. Sur cela, et dès le soir » du même jour, poursuit Bèze 2, il fit son » coup; » ce fut dans cet enthousiasme, et comme en sortant de cette ardente prière. Aussitôt que nos réformés surent la chose accomplie, «< ils en » rendirent graces à Dieu solennellement avec » grandes réjouissances 3. » Le duc de Guise avoit toujours été l'objet de leur haine. Dès qu'ils se sentirent de la force, on a vu qu'ils conjurèrent sa perte, et que ce fut de l'avis de leurs docteurs. Après le désordre de Vassi, encore qu'il fût constant qu'il avoit fait tous ses efforts pour l'apaiser, le parti se souleva contre lui avec d'effroyables clameurs; et Bèze, qui en porta les plaintes à la cour, confesse « avoir infinies » fois desiré et prié Dieu, ou qu'il changeât le >> cœur du seigneur de Guise, ce que toutefois >> il n'a jamais pu espérer, ou qu'il en délivrat » le royaume de quoi il appelle à témoin »> tous ceux qui ont ouï ses prédications et » prières 5. » C'étoit donc dans ses prédications et en public qu'il faisoit infinies fois ces prières séditieuses; à la manière de celles de Luther, par lesquelles nous avons vu qu'il savoit si bien animer le monde, et susciter des exécuteurs à ses prophéties. Par de semblables prières on représentoit le duc de Guise comme un persécuteur endurci, dont il falloit desirer que Dieu délivrât le monde par quelque coup extraordinaire. Ce que Bèze dit pour s'excuser, qu'il ne nommoit pas ce seigneur de Guise en public; est trop grossier. Qu'importe de nommer un homme quand on sait et le désigner par ses caractères, et s'expliquer en particulier à ceux qui n'auroient pas assez entendu ? Ces manières mystérieuses de se faire entendre dans les prédications et le service divin sont plus propres à irriter les esprits, que des déclarations plus expresses. Bèze n'étoit pas le seul qui se déchaînât contre le duc : tous les ministres tenoient le même langage. Il ne faut donc pas s'étonner que parmi tant de gens d'exécution, dont le parti étoit plein, il se soit trouvé des hommes qui crussent rendre service à Dieu, en défaisant la réforme d'un tel ennemi. L'entreprise d'Amboise, plus noire encore, avoit bien été approuvée par les docteurs et par Bèze. Celle-ci dans la conjoncture du siége d'Orléans, où le soutien du parti alloit succomber avec cette ville sous le duc de Guise, étoit bien d'une autre importance; et Poltrot croyoit plus faire pour sa religion que La Renaudie.Aussi s'expliqua-t-il hautement de son dessein, comme

Liv. VI, p. 268. lib. xxix. p. 77, 78.

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d'une chose qui devoit ètre bien reçue. Encore » grand Guise; et en même temps levant le bras qu'il fut connu dans le parti comme un homme » droit: Voilà le bras, s'écria-t-il, qui fera le coup qui se dévouoit à tuer le duc de Guise, quoi» et mettra fin à nos maux ! » Ce qu'il répétoit qu'il lui en pût coûter, ni les chefs, ni les soldats, ni même les pasteurs ne l'en détournèrent. Croira qui voudra ce que dit Bèze, que c'est qu'on prit ces paroles pour des propos d'un homme éventé1, qui n'auroit pas publié son dessein s'il avoit voulu l'exécuter. Mais d'Aubigné, plus sincère, demeure d'accord qu'on espéroit dans le parti qu'il feroit le coup; ce qu'il dit avoir appris en bon lieu 2. Aussi est-il bien certain que Poltrot ne passoit point pour un étourdi : Soubise, dont il étoit le domestique, et l'amiral le regardoient comme un homme de service, et l'employoient dans des affaires de conséquence 3; et la manière dont il s'expliquoit faisoit plutôt voir un homme déterminé à tout, qu'un homme éventé et léger. « Il » se présenta de sang-froid » (ce sont les paroles de Bèze 1) à M. de Soubise, un des chefs du parti, « pour lui dire qu'il avoit résolu en son » esprit de délivrer la France de tant de misères, >> en tuant le duc de Guise; ce qu'il oseroit bien >> entreprendre A QUELQUE PRIX QUE CE FUT. » La réponse que lui fit Soubise n'étoit guère propre à le ralentir: car il lui dit seulement, qu'il fit son devoir accoutumé; et pour ce qu'il lui avoit proposé, que Dieu y sauroit bien pourvoir par autres moyens. Un discours si foible, dans une action dont il ne falloit parler qu'avec horreur, devoit faire sentir à Poltrot dans l'esprit de Soubise, ou la crainte d'un mauvais succès, ou le dessein de s'en disculper, plutôt qu'une condamnation de l'entreprise en elle-même. Les autres chefs lui parloient avec la même froideur : on se contentoit de lui dire qu'il falloit bien prendre garde aux vocations extraordinaires". C'étoit, au lieu de le détourner, lui faire sentir dans son dessein quelque chose d'inspiré et de céleste; et, comme dit d'Aubigné dans son style vif, les remontrances qu'on lui faisoit sentvient le refus, et donnoient le courage. Aussi s'enfonçoit-il de plus en plus dans cette noire pensée: il en parloit à tout le monde; et, continue Bèze, il avoit tellement cela dans son entendement que c'étoient ses propos ordinaires. Durant le siége de Rouen, où le roi de Navarre fut tué; comme on parloit de cette mort, Poltrot, « en tirant du » fond de son sein un grand soupir, Ha! dit-il, » ce n'est pas assez, il faut encore immoler une » plus grande victime ! » Lorsqu'on lui demanda quelle elle étoit : « C'est, répondit-il, le

↑ Liv. v1, p. 268. -
. — 2 D'Aub. t. 1, liv. 111, ch. XVII, p. 176. —
Bèze, ibid. 268, 295, 297. —1 Bèze, ibid. 267, 268
D'Aub. t. 1, p. 176. - - Thuan. lib. xxxIII, p. 207.

souvent, et toujours avec la même force. Tous ces discours sont d'un homme résolu, qui ne se cache pas, parcequ'il croit faire une action approuvée. Mais ce qui nous découvre mieux la disposition de tout le parti, c'est celle de l'amiral, qu'on y donnoit à tout le monde comme un modèle de vertu et la gloire de la réforme. Je ne veux pas ici parler de la déposition de Poltrot, qui l'accusa de l'avoir induit avec Bèze à ce dessein. Laissons à part le discours d'un témoin qui a trop varié pour en être tout-à-fait cru sur sa parole: mais on ne peut pas révoquer en doute les faits avoués par Bèze dans son histoire ', et encore moins ceux qui sont compris dans la déclaration que l'amiral et lui envoyèrent ensemble à la reine sur l'accusation de l'assassin 2. Par là donc il demeure pour constant que Soubise envoya Poltrot avec un paquet à l'amiral, lorsqu'il étoit encore auprès d'Orléans pour tâcher de le secourir que ce fut de concert avec l'amiral que Poltrot alla dans le camp du duc de Guise 3, fit semblant de se rendre à lui comme un homme qui étoit las de faire la guerre au roi : que l'amiral, qui d'ailleurs ne pouvoit pas ignorer un dessein que Poltrot avoit rendu public, sut de Poltrot même qu'il y persistoit encore, puisqu'il avoue que Poltrot en partant pour faire le coup, s'avança jusqu'à lui dire qu'il seroit aisé de tuer le seigneur de Guise1 : que l'amiral ne dit pas un mot pour le détourner, et qu'au contraire, encore qu'il sût son dessein, il lui donna vingt écus à une fois, et cent écus à une autre pour se bien monter 5; secours considérable pour le temps, et absolument nécessaire pour lui faciliter tout ensemble et son entreprise et sa fuite. Il n'y a rien de plus vain que ce que dit l'amiral pour s'en excuser: il dit que, lorsque Poitrot leur parla de tuer le duc de Guise, lui amiral n'ouvrit jamais la bouche pour l'inciter à l'entreprendre. Il n'avoit pas besoin d'inciter un homme dont la résolution étoit si bien prise; et afin qu'il accomplit son dessein, il ne falloit, comme fit l'amiral, que l'envoyer dans le lieu où il pouvoit l'exécuter. L'amiral, non content de l'y envoyer, lui donne de l'argent pour y vivre, et se préparer tous les secours nécessaires dans un tel dessein, jusqu'à celui de se monter avec avantage. Ce que l'amiral ajoute, qu'il n'envoyoit Poltrot dans le camp de l'ennemi, que pour en avoir des nouvelles, n'est visiblement que la

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plaisir à étaler sa vengeance. Ce qu'il fit de plus politique pour sa décharge fut de demander que l'on réservat Poltrot pour lui être confronté ', se confiant aux excuses qu'il avoit données et aux conjonctures des temps, qui ne permettoient pas qu'on poussât à bout le chef d'un parti si redoutable. La cour le vit bien aussi, et on acheva le procès. Poltrot, qui s'étoit dédit de la charge qu'il avoit mise sus et à l'amiral et à Bèze, persista jusqu'à la mort à décharger Bèze: mais pour l'amiral, il le chargea de nouveau par trois déclarations consécutives, et jusqu'au milieu de son supplice, de l'avoir induit à ce meurtre pour le service de Dieu 2. A l'égard de Bèze, il ne paroit pas qu'il ait eu part à cette action autre

couverture d'un dessein qu'on ne vouloit pas avouer. Pour l'argent, il n'y a rien de plus foible que ce que répond l'amiral, qu'il le donna à Poltrot, sans jamais lui faire mention de tuer ou ne tuer pas le seigneur de Guise'. Mais la raison qu'il apporte, pour se justifier de ne l'avoir pas détourné d'un si noir dessein, découvre le fond de son cœur. Il reconnoît donc que « de»vant ces derniers tumultes il en a su qui étoient » délibérés de tuer le seigneur de Guise; que » loin de les avoir induits à ce dessein, ou de » l'avoir approuvé, il les en a détournés,» et qu'il en a même averti madame de Guise: que depuis le fait de Vassi, il a poursuivi ce duc comme un ennemi public; « mais qu'il ne se >> trouvera pas qu'il AIT APPROUVÉ qu'on attentatment que par ses prêches séditieux, et par l'ap» sur sa personne, jusqu'à ce qu'il ait été averti » que le duc avoit attiré certaines personnes pour » tuer M. le prince de Condé et lui. » Il s'ensuit donc qu'après cet avis, sur lequel on ne doit pas croire un ennemi à sa parole, il a approuvé qu'on entreprit sur la vie du duc; mais « depuis » ce temps il confesse que quand il a ouï dire à » quelqu'un que s'il pouvoit il tueroit le seigneur » de Guise jusque dans son camp, il ne l'en a » point détourné : » par où l'on voit tout ensemble, et que ce dessein sanguinaire étoit commun dans la réforme, et que les chefs les plus estimés pour leur vertu, tel qu'étoit sans doute l'amiral, ne se croyoient pas obligés à s'y opposer; au contraire qu'ils y contribuoient par tout ce qu'ils pouvoient faire de plus efficace : tant ils se soucioient peu d'un assassinat, pourvu que la religion en fût le motif.

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probation qu'il avoit donnée à l'entreprise d'Amboise, beaucoup plus criminelle; mais ce qui est bien certain, c'est que devant l'action il ne fit rien pour l'empêcher, encore qu'il ne pût pas ne la pas savoir, et qu'après qu'elle eût été faite il n'oublia rien pour lui donner la couleur d'une action inspirée. Le lecteur jugera du reste, et il n'y en a que trop pour faire connoitre de quel esprit étoient animés ceux dont on nous vante la douceur.

Je n'ai pas besoin ici de m'expliquer sur la question, savoir si les princes chrétiens sont en droit de se servir de la puissance du glaive contre leurs sujets ennemis de l'Église et de la sainte doctrine, puisqu'en ce point les protestants sont d'accord avec nous. Luther et Calvin ont fait des livres exprès pour établir sur ce point le droit et le devoir du magistrat 3. Calvin en vint à la pratique contre Servet et contre Valentin Genti! *. Mélancton en approuva la conduite par une lettre qu'il lui écrivit sur ce sujet 3. La discipline de nos réformés permet aussi le recours au bras séculier en certains cas; et on trouve parmi les articles de la discipline de l'Église de Genève, que les ministres doivent déférer au magistrat les incorrigibles qui méprisent les peines spiri

Si on demande ce qui porta l'amiral à reconnoître des faits qui étoient si forts contre lui, ce n'est pas qu'il n'en ait vu l'inconvénient; mais, dit Bèze 2, « l'amiral, homme rond et vraiment » entier, s'il y en a jamais eu de sa qualité, ré»>pliqua que si puis après avenant confrontation, » il confessoit quelque chose davantage, il don>> neroit occasion de penser qu'encore n'auroit-il » pas confessé toute la vérité : » c'est-à-dire, àtuelles, et en particulier ceux qui enseignent de qui sait l'entendre, que cet homme rond craignit la force de la vérité dans la confrontation, et se préparoit des excuses; à la manière des autres coupables, à qui leur conscience et la crainte d'être convaincus en fait souvent avouer plus peut-être qu'on n'en tireroit des témoins. Il paroit même, si l'on pèse bien la manière dont s'explique l'amiral, qu'il craint qu'on ne le croie innocent; qu'il n'évite que l'aveu formel et la conviction juridique, et qu'au surplus il prend

Ibid. 207. —- * P.: 0%.

nouveaux dogmes, sans distinction. Et encore aujourd'hui celui de tous les auteurs calvinistes qui reproche le plus aigrement à l'Eglise romaine la cruauté de sa doctrine, en demeure d'accord dans le fond; puisqu'il permet l'exercice de la puissance du glaive dans les matières de la religion et de la conscience" chose aussi qui ne peut être révoquée en doute sans énerver et

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4 P. 308. - P. 312, 319, 327. Luth. de Magist. tom. I. Calv. Opusc. p. 592. ▲ Ibid. p. 600, 659. — 3 Melanc. Calvino, inter Calv. Ep. p. 169. - Jur. Syst. 11, ch. 22, 23. Lett. Past. de la re année, 1, п, m. Hist. du Papism. 2. Récrim, ch. 1 et seq.

comme estropier la puissance publique; de sorte qu'il n'y a point d'illusion plus dangereuse que de donner la souffrance pour un caractère de vraie Église, et je ne connois parmi les chrétiens que les sociniens et les anabaptistes qui s'opposent à cette doctrine. En un mot, le droit est certain : mais la modération n'en est pas moins nécessaire.

Calvin mourut au commencement des troubles. C'est une foiblesse de vouloir trouver quelque chose d'extraordinaire dans la mort de telles gens: Diet ne donne pas toujours de ces exemples. Puisqu'il permet les hérésies pour l'épreuve des siens, il ne faut pas s'étonner que, pour achever cette épreuve, il laisse dominer en eux jusqu'à la fin l'esprit de séduction avec toutes les belles apparences dont il se couvre; et sans m'informer davantage de la vie et de la mort de Calvin, c'en est assez d'avoir allumé dans sa patrie une flamme que tant de sang répandu n'a pu éteindre, et d'être allé comparoitre devant le jugement de Dieu sans aucun remords d'un si grand crime.

Sa mort ne changea rien dans les affaires du parti: mais l'instabilité naturelle aux nouvelles sectes donnoit toujours au monde de nouveaux spectacles, et les Confessions de foi alloient leur train. En Suisse les défensetirs du sens figuré, bien éloignés de se contenter de tant de Confessions de foi faites en France et ailleurs pour expliquer leur doctrine, ne se contentèrent pas même de celles qui s'étoient faites parmi eux. Nous avons vu celle de Zuingle en 1530; nous en avons une autre publiée à Bâle en 1532, et une autre de la même ville en 1536; une autre en 1554, arrêtée d'un commun accord entre les Suisses et ceux de Genève. Toutes ces Confessions de foi, quoiqué confirmées par divers actes, ne furent pas jugées suffisantes, et il en fallut faire une cinquième en 1566'.

Les ministres qui la publièrent virent bien que ces changements dans une chose si importante, et qui doit être aussi ferme et atissi simple qu'une Confession de foi, décrioient leur religion. C'est pourquoi ils font une préface, où ils tâchent de rendre raison de ce dernier changement; et voici toute leur défense 2: « C'est qu'encore que plu» sieurs nations aient déja publié des Confessions » de foi différentes, et qu'eux-mêmes aient fait » la même chose par des écrits publics; toutefois » ils proposent encore celle-ci (lecteur, rèmar» quez) à cause que ces écrits ont peut-être été oubliés, ou qu'ils sont répandus en divers

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» lieux, et qu'ils expliquent la chose si ample»ment, que tout le monde n'a pas le temps de » les lire. » Cependant il est visible que ces deux premières Confessions de foi que les Suisses avoient publiées tiennent à peine cinq feuilles, et une autre qu'on y pourroit joindre est à peu près de même longueur; au lieu que celle-ci, qui devoit être plus courte, en a plus de soixante. Et quand leurs autres Confessions de foi auroient été oubliées, rien ne leur étoit plus aisé que de les publier de nouveau, s'ils en étoient satisfaits; tellement qu'il n'eût pas été nécessaire d'en proposer une quatrième, n'étoit qu'ils s'y sentoient obligés par une raison qu'ils n'osoient dire : c'est qu'il leur venoit continuellement de nouvelles pensées dans l'esprit ; et comme il ne falloit pas avouer que tous les jours ils chargeassent leur Confession de foi de semblables nouveautés, couvrent leurs changements par ces vains prétextes.

ils

Nous avons vu que Zuingle fut apôtre et réformateur, sans connoître ce que c'étoit que la grace par laquelle nous sommes chrétiens; et sauvant jusqu'aux philosophes par leur morale, il étoit bien éloigné de la justice imputative. En effet, il n'en parut rien dans les Confessions de foi de 1532 et de 1536. La grace y fut reconnue d'une manière que les catholiques eussent pu approuver si elle eût été moins vague, et sans rien dire contre le mérite des œuvres '. Dans l'accord fait avec Calvin en 1554, on voit que le calvinisme commençoit à gagner; la justice imputative paroît 2: on avoit été réformé près de quarante ans, sans connoître ce fondement de la réforme. La chose ne fut expliquée à fond qu'en 15663; et ce fut par un tel progrès que des excès de Zuingle on passa insensiblement à ceux de Calvin.

Au chapitre des bonnes œuvres on en parle dans le même sens que font les autres protestants, comme des fruits nécessaires de la foi, et en rejetant leur mérite, dont nous avons vu qu'on ne disoit mot dans les Confessions précédentes. On se sert ici, pour les condamner, d'un mot souvent inculqué par saint Augustin, mais on le rapporte mal; et au lieu que saint Augustin dit et répète sans cesse que Dieu couronne ses dons en couronnant nos mérites, on lui fait dire qu'il couronne en nous non pas nos mérites, mais ses dons1. On voit bien la différence de ces deux expressions, dont l'une joint les mérites avec les dons, et l'autre les en sépare. Il

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