Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

tiquité à la nouveauté, et l'universalité aux opinions particulières.

:

leur doctrine. Aussi n'eut-on point de peine à les
convaincre de s'être opposés à la doctrine des
Pères. Saint Augustin leur en a produit des pas-
sages, où la foi de l'Église se trouve aussi claire,
avant la dispute des pélagiens, qu'elle l'a été
depuis d'où ce grand homme concluoit très
bien qu'il n'y avoit jamais eu de variation sur
ces articles, puisqu'il étoit bien constant que ces
saints docteurs n'avoient fait rien autre chose
« que de conserver dans l'Église ce qu'ils y
» avoient trouvé; d'enseigner ce qu'ils y avoient
» appris, et de laisser à leurs enfants ce qu'ils
» avoient reçu de leurs pères 2. » Qu'on nous al-
lègue après cela des variations sur ces matières.
Mais quand on ne voudroit pas en croire saint
Augustin, témoin si irréprochable en cette occa-
sion; sans avoir besoin de discuter les passages
particuliers qu'ils a produits, personne ne niera
ce fait public, que les pélagiens trouvèrent toute
l'Église en possession de baptiser les petits en -

der dans toutes ses prières la grace de Dieu, comme un secours nécessaire, non seulement à bien faire, mais encore à bien croire et à bien prier : ce qui étant supposé comme constant et incontestable, il n'y auroit rien de plus insensé que de soutenir après cela, que la foi de l'Église ne fût point parfaite sur le péché originel et sur la grace.

Mais ce qui paroît dans ces hérésies, qui ont attaqué la foi de la Trinité et celle de l'incarnation, ne paroîtroit pas moins clairement dans les autres, s'il étoit question d'en faire l'histoire. Votre ministre apporte comme un exemple de variations, la doctrine du péché originel et de la grace mais c'est précisément sur cet article que saint Augustin, qu'il a cité comme favorable à sa prétention, lui dira que la foi chrétienne et l'Église catholique n'ont jamais varié '. En effet, on ne peut nier que lorsque Pélage et Célestius sont venus troubler l'Eglise sur cette matière, leurs profanes nouveautés n'aient fait horreur par toute la terre, comme parle saint Augustin 2, à toutes les oreilles catholiques; et cela, autant en Orient qu'en Occident, comme dit le même Père 3; puisque même ces hérésiarques ne se sauvèrent dans le concile de Diospolis en Orient, qu'en désavouant leurs erreurs enfants en la rémission des péchés, et de demancore trouva-t-on mauvais que ces évêques d'Orient se fussent laissés surprendre aux équivoques de ces hérésiarques, et ne les eussent pas frappés d'anathème. Voilà le sort qu'eut l'hérésie de Pélage d'abord qu'elle commença de paroitre à peine put-elle gagner cinq ou six évêques, qui furent bientôt chassés par l'unanime consentement de tous leurs collégues, avec l'applaudissement de tous les peuples et de toute Si maintenant on demande, avec le ministre, l'Église catholique; jusque-là que ces hérétiques comment donc il sera vrai de dire que l'Église a étoient contraints d'avouer, comme le rapporte profité par les hérésies; saint Augustin réponsaint Augustin, premièrement, qu'un dogme in- dra pour nous, que « chaque hérésie introduit sensé et impic avoit été reçu dans tout l'Occi- » dans l'Église de nouveaux doutes, contre lesdent et quand ils virent que l'Orient n'étoit » quels on défend l'Écriture sainte avec plus de pas moins déclaré contre eux, ils dirent en géné- » soin et d'exactitude, que si on n'y étoit pas ral qu'un dogme populaire prévaloit, que l'E-» forcé par une telle nécessité 3.» Ecoutez on glise avoit perdu la raison, et que la folie y la défend avec plus de soin; et non pas, on l'enavoit pris le dessus : ce qui étoit, ajoutoient-ils, tend mieux dans le fond. Le célèbre Vincent de la marque de la fin du monde : tant eux-mê- Lérins prendra aussi en main notre cause, en mes ils craignoient de dire que ce malheur y eût disant, « que le profit de la religion consiste à duré, ou y pût durer long-temps. Telle est la » profiter dans la foi, et non pas à la changer; plainte commune de toute hérésie : et Julien le » qu'on y peut ajouter l'intelligence, la science, Pélagien la faisoit en ces propres termes, pour >> la sagesse mais toujours dans son propre lui et ses compagnons; en sorte qu'il ne leur » genre, c'est-à-dire, dans le même dogme, dans restoit que la malheureuse consolation de se dire » le même sens, dans le même sentiment; » et eux-mêmes ce petit nombre de sages qu'il falloit ce qui tranche en un mot toute cette question, croire plutôt que la multitude, qui étoit pour « que les dogmes peuvent recevoir avec le temps l'ordinaire ignorante et insensée: ce qui étoit,» la lumière, l'évidence, la distinction; mais même en se vantant, un aveu formel de la sin- » qu'ils conservent TOUJOURS la plénitude, l'ingularité, et par conséquent de la nouveauté de » tégrité, la propriété; » c'est-à-dire, comme il

[ocr errors]

4 Aug. l. 1. cont. Jul. c. 6, n. 25. tom. x, col. 511.-2 Lib. IV ad Bonif. c. 12, n. 52, col. 492; et n. 20, col. 495. Lib. de gest. Pelag. n. 22, 23, tom. x, col. 203 et seq. et alibi. —- * Lib. tv ad Bonif. c. 8, n. 20, col. 480. Op. imperf. cont. Jul. l. 1, c. 12. Ibid. l. 11, c. 2.- Ibid.

[ocr errors]

:

Lib. 1 et 1 cont. Jul. Lib. Iv ad Bonif. 8 et seq. De præd. SS. c. 14, n. 26. De don. Pers. 4, 5, 19, n.7 et seq. 2 Lib. 11. cont. Jul. c. 10 n. 54, col. 543.—3 Lett. vi et vii, De don. Pers, c. 20, n. 53, col. 851.4 Com. 1.

i'expliqué, que « l'Église ne change rien, ne di- | à paroître, la surprise et l'étonnement où tous

» minue rien, n'ajoute rien, ne perd rien de ce >> qui lui étoit propre, et ne reçoit rien de ce » qui étoit étranger. » Qu'on nous dise après cela qu'elle varie.

les peuples sont jetés, fait voir que leur doctrine est nouvelle, qu'ils dégénèrent de l'antiquité et de la croyance reçue. C'est la méthode de tous les Pères; et Vincent de Lérins, qui l'a si bien expliquée, n'a fait au fond que répéter ce que Tertullien, saint Athanase, saint Augustin, et les autres avoient dit aux hérétiques de leur temps, et par des volumes entiers. Je ne veux ici rapporter que ce peu de mots de saint Athanase: «La foi de l'Église catholique est celle que » Jésus-Christ a donnée, que les apôtres ont pu» bliée, que les Pères ont conservée : l'Eglise » est fondée sur cette foi; et celui qui s'en éloi

Que si l'on nous presse encore, et qu'on nous demande en quoi donc ont profité à l'Église les nouvelles décisions, le même docteur répondra', que « les décisions des conciles n'ont fait autre » chose que de donner par écrit à la postérité ce » que les anciens avoient cru par la seule tradi>>tion; que de renfermer en peu de mots le prin» cipe et la substance de la foi; et souvent, pour » faciliter l'intelligence, d'exprimer par quelque » terme nouveau, mais propre et précis, la doc-» gne n'est pas chrétien '. » Tout est compris en trine qui n'avoit jamais été nouvelle : » en sorte, comme il venoit de l'expliquer encore plus précisément en deux mots, «qu'en disant » quelquefois les choses d'une manière nouvelle, » on ne dit néanmoins jamais de nouvelles cho» ses : » ut cùm dicas novè, non dicas nova.

ces quatre mots: Jésus-Christ, les apôtres, les Pères, nous et l'Église catholique c'est la chaîne qui unit tout; c'est le fil qui ne se rompt jamais; c'est là enfin notre descendauce, notre race, notre noblesse, si on peut parler de la sorte, et le titre inaltérable où le catholique trouve son extraction: titre qui ne manque jamais aux vrais enfants, et que l'étranger ne peut contrefaire.

Quand nous parlons des saints Pères, nous parlons de leur consentement et de leur unanimité si quelques-uns d'eux ont eu quelque chose de particulier dans leurs sentiments, ou dans leurs expressions, tout cela s'est évanoui, et n'a pas fait tige dans l'Église ce n'étoit pas là ce qu'ils y avoient appris, ni ce qu'ils avoient tiré de la racine. Ce qui demeure, ce qu'on voit passer en décision aussitôt qu'on trouble l'Église en le contestant; ce qu'on marque du sceau de l'Église, comme vérité reçue de la source, et qu'on transmet aux âges suivants avec cette marque c'est ce qui a fait et fera toujours la règle certaine de la foi.

Et c'est encore en ceci que se fait paroître la profonde ignorance de votre savant. « L'évêque » de Meaux, nous dit-il 2, osera-t-il bien me » nier que la plus sûre marque dont les savants » de l'un et de l'autre parti se servent pour dis» tinguer les écrits supposés et faussement attri» bués à quelques Pères, est le caractère et la » manière de la théologie qu'on y trouve? La théologie chrétienne, poursuit-il, se perfection»> noit tous les jours; et ceux qui sont un peu » versés dans la lecture des anciens, reconnois» sent aussitôt de quel siècle est un ouvrage: » parcequ'ils savent en quel état étoit la théo>>logie et les dogmes en chaque siècle. » Il ne sait assurément ce qu'il veut dire, et confond ignoramment le vrai et le faux. Car s'il veut dire qu'on discerne ces ouvrages parcequ'il paroit dans les derniers de nouveaux dogmes qui Selon cette méthode si simple et si sûre, toutes ne fussent point dans les anciens, il compose le les fois qu'il paroît quelqu'un qui tient dans l'Échristianisme de pièces mal assorties, et il dé- glise ce hardi langage: « Venez à nous, ô vous ment tous les Pères. Que s'il veut dire qu'après» tous ignorants et malheureux qu'on appelle la naissance des erreurs on trouve l'Église plus attentive, et, pour ainsi dire, mieux armée contre elles; qu'on emploie des termes nouveaux, pour en confondre les auteurs, et qu'on répond à leurs subtilités par des preuves accommodées à leurs objections, il dit vrai; mais il s'explique mal, et ne fait rien pour lui, ni contre nous.

Que ce docteur, enflé de sa vaine science, apprenne donc des anciens maitres du christianisme, que lÉ'glise n'enseigne jamais des choses nouvelles; et qu'au contraire elle confond tous les hérétiques, en ce que, lorsqu'ils commencent

Fine. Lir. Com. 1, 2 Jur, Lell. vII. v. 84.

2

» vulgairement catholiques: venez apprendre de »> nous la foi véritable, que personne n'entend » que nous; qui a été cachée pendant plusieurs » siècles, mais qui vient de nous être décou» verte » (Prêtez l'oreille, mes Frères, reconnoissez qui sont ceux qui disoient au siècle passé, qu'ils venoient de découvrir la vérité qui avoit été inconnue durant plusieurs siècles): toutes les fois que vous entendrez de pareils discours, toutes les fois que vous entendrez de ces docteurs qui se vantent de réformer la foi qu'ils trouvent

Epist. ad Sera de Sp. S. n. 28 ; t. 1, part. II, p. 678.
Vine. Lir. ibid.

multitude séparée, de la multitude promise et bénie, conduite par conséquent avec un soin spécial de Dieu et de son Esprit : ou, pour parler avec saint Athanase 2, Distinguez la multitude qui défend l'héritage de ses pères, telle qu'étoit la multitude que ce grand homme vient de nous montrer dans l'Église 3, d'avec la multitude qui est éprise de l'amour de la nouveauté, et qui porte par ce moyen sa condamnation sur son front.

reçue, prêchée et établie dans l'Église quand ils après cela, qu'il n'y a point de sûreté dans l'opiparoissent; revenez à ce dépôt de la foi dont nion de la multitude qui pour l'ordinaire est ignol'Église catholique a toujours été une fidèle gar- rante, nos Pères, ou plutôt l'Écriture même, ne dienne; et dites à ces novateurs, dont le nombre nous ont pas laissés sans repartie : car ils nous est si petit quand ils commencent, qu'on les peut ont appris à fermer la bouche à ceux qui ne cécompter par trois ou quatre dites-leur, avec doient pas à la multitude du peuple de Dieu, en tous les Pères, que ce petit nombre est la con- leur disant : « Pourquoi méprisez-vous la multiviction manifeste de leur nouveauté, et la preuve » tude que Dieu a promise à Abraham? Je te aussi sensible que démonstrative, que la doctrine » ferai, dit-il, le père, non de plusieurs homqu'ils viennent combattre étoit l'ancienne doc- » mes, mais de plusieurs nations; et en toi trine de l'Église.Car si à Chalcédoine, si à Ephèse,» seront bénis tous les peuples de la terre'. si à Constantinople, si à Nicée on a confondu Distinguez donc la multitude abandonnée à elleles auteurs des hérésies qu'on y condamnoit par même, et livrée à son ignorance par un juste juleur petit nombre, comme par une marque sen-gement de Dieu, de la multitude choisie, de la sible de leur nouveauté : si on les a convaincus, comme on vient de le faire voir par les actes les plus authentiques de l'Église, que tous les peuples se sont d'abord soulevés contre eux, ce qui montroit invinciblement que la doctrine qu'ils venoient combattre, non seulement étoit déja établie, mais encore avoit jeté de profondes racines dans tous les esprits: si enfin on leur fermoit la bouche, en leur disant qu'ils avoient euxmêmes été élevés dans la foi qu'ils attaquoient; ce qu'ils ne pouvoient nier, et ce qui étoit pour eux, et pour tous les autres, une preuve d'expérience de leur nouveauté: si non seulement les eutychiens, et plus haut les nestoriens, et plus haut les macédoniens, et plus haut les ariens, mais encore les pélagiens, ont été si clairement confondus par cette marque sensible, par ce moyen positif, par cette preuve expérimentale : concluez que c'étoit là la preuve commune donnée à l'Église contre toutes les nouveautés. Car si on s'est récrié à la nouveauté, lorsque ces nouvelles doctrines ont commencé à paroître, on se seroit récrié de même à toute autre innovation. La doctrine qui est donc venue sans jamais avoir excité ce cri de surprise et d'aversion, porte la marque certaine d'une doctrine qui a toujours été. Jamais il ne viendra de secte nouvelle qu'on ne convainque de sa nouveauté, par son petit nombre: on lui fera toujours, avec Vincent de Lérins1, ce reproche de saint Paul Est-ce de vous qu'est venue la parole de Dieu ? ou bien n'est-elle venue qu'à vous seuls 2? Comme s'il disoit, Le reste de l'Eglise ne l'entend-il pas? comment osez-vous vous opposer au consentement universel? Reconnoissez donc, mes Frères, que si on s'est servi dans tous les temps de cet argument, tiré du consentement de l'Église, et si on s'en sert encore, c'est à l'exemple des apôtres : et si encore on l'a tiré de l'exemple des apôtres, c'est à l'exemple des Pères. Que si on nous dit,

Vine. Lir. ibid. - I. Cor. xiv. 36.

C'est par cette sûre méthode que tous nos pères, sans exception, ont fermé la bouche aux hérétiques. Si votre ministre avoit considéré, je ne dis pas seulement leur autorité, mais leurs raisons, il ne se seroit pas laissé séduire aux illusions des sociniens, et il ne leur auroit pas abandonné jusqu'aux premiers siècles de l'Église sur l'éternité de la personne du Fils de Dieu et l'immutabilité de son éternelle génération. Il n'auroit non plus accordé aux pélagiens et aux autres ennemis de la grace chrétienne, que la foi en fût imparfaite, flottante et informe devant eux. Mais en prenant tous ces hérétiques dans le point de leur commencement et de leur innovation, où, étant en si petit nombre, ils osoient rompre avec le tout, dans lequel eux-mêmes ils étoient nés, il les auroit convaincus que leur doctrine étoit une opinion particulière; et la contraire, la foi catholique et universelle. Mais s'il avoit suivi cette sûre et infaillible méthode, dont nul autre qu'un catholique ne se peut jamais servir, il auroit à la vérité confondu les sociniens; mais il se seroit aussi confondu lui-même, puisqu'aussitôt nous lui aurions objecté ce qu'il auroit objecté aux autres : c'est pourquoi il a mieux aimé, avec les sociniens, imputer des variations à l'Église catholique, que de les confondre en disant avec tous les saints, selon la promesse de Jésus-Christ, que la foi catholique est invariable.

Vincent. Lir. ibid. · - Adv. eos qui ex sold mult. verit | dijudic. t. 11, p. 561 et 562. Ci-dessus, p. 192.

Éveillez-vous done ici, mes très chers Frères, et voyez où l'on vous mène pas à pas. Dès que vos auteurs ont paru, on leur a prédit, qu'en ébranlant la foi des articles déja reçus, et l'autorité de l'Église et de ses décrets, tout jusqu'aux articles les plus importants, jusqu'à celui de la Trinité, viendroient l'un après l'autre en question '; et la chose étoit évidente, pour deux raisons. La première, que la méthode dont on se servoit contre quelques points, comme, par exemple, contre celui de la présence réelle, de recevoir la raison et le sens humain à expliquer l'Écriture, portoit plus loin que cet article, et alloit généralement à tous les mystères. La seconde, qu'en méprisant les siècles postérieurs et leurs décisions, les premiers ne seroient pas plus en sûreté; de sorte qu'il en faudroit enfin venir à renouveler toutes les questions déja jugées, et à refondre, pour ainsi dire, le christianisme, comme si l'on n'y eût jamais rien décidé. C'est ainsi qu'on l'avoit prédit, et c'est ainsi qu'il est arrivé. Les sociniens se sont élevés sur le fondement du lutheranisme et du calvinisme, et sont sortis de ces deux sectes: le fait est incontestable, et nous en avons fait l'histoire ailleurs 2. Mais il y a des opiniâtres et des entêtés qui ne veulent pas se rendre à ces preuves. La conduite que tient encore aujourd'hui votre ministre, ne leur laissera aucune réplique; puisque déja il abandonne aux sociniens, dans les articles les plus pernicieux de leur doctrine, les siècles les plus purs de l'Église, et que par là il se voit contraint contre ses principes à tolérer leur erreur. Quand je lui ai reproché, dans l'Histoire des Variations, son relâchement manifeste envers les sociniens, jusqu'à leur avoir donné place dans l'Eglise universelle, et à faire vivre des saints. et des élus parmi eux; il s'est élevé contre ce reproche d'une manière terrible, et m'a donné un démenti outrageux. « J'avoue, dit-il 3, que j'ai » besoin de toute ma patience pour m'empêcher » de dire à M. Bossuet ses vérités tout ronde»ment. Il ne fut jamais de fausseté plus indigne, » ni de calomnie plus hardie. » Voilà comme il parle, quand il se modère, quand il craint que la patience ne lui échappe : mais il en faut venir au fond. N'est-il pas vrai qu'il a mis les sociniens dans le corps de l'Église universelle? La démonstration en est claire à l'endroit où il divise l'Église en deux parties, dont l'une s'appelle le corps, et l'autre l'ame: « la première est visi» ble, et comprend tout ce grand amas de sectes qui font profession du christianisme dans toutes

[blocks in formation]

» les provinces du monde. » Il poursuit: « Toutes » les sectes du christianisme, hérétiques, ortho» doxes, schismatiques, pures, corrompues, sai»> nes, malades, vivantes et mortes, sont toutes » parties de l'Église chrétienne, et même en » quelque sorte véritables parties; c'est-à-dire » qu'elles sont parties ce de que j'appelle le corps » de l'Église : » et enfin, « ces sectes qui ont re» jeté, ou la foi, ou la charité, ou toutes les » deux ensemble, sont des membres de l'Église, » c'est-à-dire véritablement attachés à son corps, » par la profession d'une mème doctrine, qui est » Jésus crucifié, Fils de Dieu, Rédempteur du » monde : car il n'y a point de secte entre les » chrétiens, qui ne confesse la doctrine chré» tienne, au moins jusque-là.» Remarquez : il n'y a, dit-il, aucune secte qui ne le confesse : par conséquent les sociniens le confessent au moins jusque-là, comme les autres, et sont compris par le ministre parmi les membres véritables de l'Eglise chrétienne.

Mais peut-être distinguera-t-il le corps de l'Église chrétienne d'avec le corps de l'Église catholique ou universelle, dont il est parlé dans le Symbole? Point du tout: car après avoir rejeté, non seulement la définition que nous donnons à cette Église catholique; mais encore celle que lui voudroient donner les protestants, la sienne est que « l'Église universelle ou catho»lique, c'est le corps de ceux qui font profession » de croire Jésus-Christ le véritable Messie et » le Rédempteur' : corps, ajoute-t-il, divisé en >> un grand nombre de sectes, mais qui conserve » une considérable partie, au milieu de laquelle » se trouve toujours un nombre d'élus, qui >> croient véritablement, sincèrement et pure»ment, tout ce que le corps en général fait pro>>fession de croire. » On voit ici, selon son idée, le corps et l'ame de l'Église catholique: ce corps est ce grand nombre de sectes divisées, et néanmoins unies en ce point de croire Jésus-Christ le véritable Messie et le Rédempleur ce qu'aussi il venoit de dire qu'on croyoit dans toutes les sectes, sans en excepter aucune de sorte qu'ayant défini le corps de l'Église catholique confessée dans le Symbole par ce qui est commun à toutes les sectes, on voit qu'il les y met toutes, et par conséquent celle des sociniens comme les autres. Voilà donc les sociniens, non seulement chrétiens, mais encore catholiques; et ce nom, autrefois si précieux et si cher aux orthodoxes, est prodigué jusqu'aux ennemis de la divinité du Fils de Dieu.

Le ministre nous répond ici, qu'il a mis les

1 Préj. lég. I. part. ch. 1, p. 29.

sociniens parmi les chrétiens, « comme il y a qui est l'antichrétienne, d'où il fait sortir les >> mis aussi les mahométans, qui croient que Jé- cent quarante-quatre mille marqués dans l'Apo>> sus-Christ, fils de Marie, a été conçu du Saint-calypse, c'est-à-dire, un très grand nombre d'é» Esprit, et qu'il est le Messie promis aux Juifs'.» lus; et tout cela par ce principe général, que la Mais il nous joue trop ouvertement, quand il parole de Dieu n'est jamais préchée en un parle ainsi. Car veut-il mettre les mahométans pays, que Dieu ne lui donne efficace à l'égard dans l'Église chrétienne? En sont-ils une vérita- de quelques uns encore, comme on voit, ble partie? Sont-ils compris dans cet article du qu'elle soit si loin d'y être prêchée purement. Symbole Je crois l'Eglise catholique, comme le ministre y vient de comprendre les sociniens? Et les comptera-t-il encore parmi les membres du corps de l'Église catholique? Je ne crois pas qu'il en vienne à cet excès: il faut pourtant y venir, ou cesser de nous faire accroire qu'il ne reçoit les sociniens dans le christianisme, qu'au même titre qu'il y reconnoit les mahométans.

Le ministre triomphe neanmoins, comme s'il m'avoit fermé la bouche, après ce bel exemple des mahométans; et joignant le dédain avec la colère : « Le sieur Bossuet, dit-il 2, a lu cela; » et après, il dit qu'à pleine bouche je mets les >> sociniens entre les communions véritablement » chrétiennes, dans lesquelles on peut se sau» ver il ne faut que ce seul article et ce seul » exemple pour ruiner la réputation de la >> bonne foi de cet auteur. » Mais c'est vainement qu'il s'emporte; et on va voir clairement, pourvu qu'on veuille se donner la peine de considérer sa doctrine, qu'il reconnoit des élus dans la communion des sociniens.

Il pose donc pour certain, que la parole de Dieu, partout où elle est, et partout où elle est prêchée, a son efficace pour la sanctification de quelques ames. « Il est impossible, dit-il 3, que » la parole de Dieu demeure absolument ineffi»cace: »> d'où il conclut que « la prédication » de la parole de Dieu ne peut demeurer sans » produire quelque véritable sanctification, et » le salut de quelques uns. »

Mais peut-être qu'on croira que, pour avoir cet effet, il faudra, selon le ministre, que cette parole soit prêchée dans sa pureté? Point du tout; puisqu'il met au nombre des sociétés où la prédication a son effet, des Eglises séparées entre elles de communion et de doctrine : telles que sont l'éthiopienne, jacobite, nestorienne, grecque, et généralement toutes les communions de l'Orient, quoiqu'elles soient dans une grande décadence: d'où il conclut que Dieu peut se conserver des élus dans des communions et dans des sectes très corrompues; jusque-là qu'il s'en est conservé dans l'Eglise la plus corrompue et la plus perverse de toutes,

• Lett. x, p. 79. — Ibid. - Syst. de l'Ég'. liv. 1, c. 12, p. 98, 99, 100. — 1 Ibid. p. 101, 225. Prėj, légit. p. 16.

Le principe fondamental sur lequel il appuie cette doctrine, c'est, dit-il, que la parole de Dieu, écrite et prêchée, est pour les élus '; et ne seroit jamais adressée aux réprouvés, s'il n'y avoit parmi eux des élus mêlés : ce qu'il prouve finalement, et comme pour mener les choses au premier principe, en disant, que ce ne seroit pas concevoir un Dieu sage et miséricordieux, s'il faisoit annoncer sa parole à des peuples entre lesquels il n'a pas d'élus; parceque cela ne serviroit qu'à les rendre plus inexcusables: ce qui seroit cruauté, et non pas miséricorde.

De principes si généraux il suit clairement; que Dieu conservant parmi les sociniens sa parole écrite et prêchée, il a dessein de sauver quelqu'un parmi eux; autrement, cette parole ne leur serviroit, non plus qu'aux autres, qu'à les rendre plus inexcusables : ce qui est, selon le ministre, une cruauté, qu'on ne peut attribuer, sans égarement, à un Dieu sage et miséricordieux. Mais de peur qu'on ne nous reproche que nous imputons à M. Jurieu une conséquence qu'il rejette, il la prévoit et l'approuve par ces paroles: « On ne doit] t pas dire que, par » mon raisonnement, il s'ensuivroit que Dieu » pourroit avoir des élus dans les sociétés so»ciniennes, qui conservent l'Evangile, le prê» chent et le lisent; et que cependant j'ai mis » les sociétés qui ruinent le fondement, entre » celles où Dieu ne conserve point d'élus 2. » Voilà du moins la difficulté bien prévue et bien posée; voyez maintenant la réponse : « Je ré» ponds que si Dieu avoit permis que le soci»> nianisme se fût autant répandu que l'est, par » exemple, le papisme, ou la religion grecque, » il auroit aussi trouvé des moyens d'y nourrir » ses élus, et de les empêcher de participer aux >> hérésies mortelles de cette secte; comme au>>trefois il a trouvé bon moyen de conserver » dans l'arianisme un nombre d'élus et de bon»> nes ames, qui se garantiront de l'hérésie des >> ariens. Mais comme les sociniens ne font >> point de nombre dans le monde, qu'ils y sont >> dispersés sans y faire figure, qu'en la plupart >> des lieux ils n'ont point d'assemblées, ou

[blocks in formation]
« PrécédentContinuer »