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Mais le ministre produit encore les « sépara>>tions fréquentes des deux patriarches (d'Orient » et d'Occident), pour prouver que les Grecs ne » croyoient pas que la primauté de saint Pierre » et de sa chaire fùt si nécessaire qu'on y doive >> communier pour être l'Église ; » de sorte qu'il faudroit croire, si l'on ajoutoit foi à son discours, que les Grecs ne vouloient pas croire qu'il fallût, pour être l'Église, demeurer dans un état qu'eux-mèmes ils reconnoissoient établi par Jésus-Christ, et qu'on pouvoit renoncer à ses institutions: absurdité si visible, qu'elle tombe par elle-même en la récitant.

» Pierre et de Léon-le-Grand : les Gres ne con-
» testoient pas à saint Pierre sa primatie, ni à
» l'évêque de Rome le premier rang dans les
» conciles où il étoit présent '. » Ne nous arrê-
tons pas à ce qu'il voudroit insinuer sur la pré-
sence du pape. Il n'étoit présent, que par ses
légats, ni à Ephèse, ni à Chalcédoine, où le con-
cile disoit qu'il présidoit comme chef aux évêques
qui étoient ses membres, et qu'il étoit contraint
par ses lettres à prononcer la sentence. Mais en-
fin il est donc certain, de l'aveu de votre minis-
tre, que les Grecs reconnoissoient dans le pape
une primauté venue de saint Pierre, et par con-
séquent d'institution divine. Si donc ils ont
changé de ton, et n'ont plus voulu la reconnoi-
tre dans la suite, j'ai eu raison de leur reprocher
que c'est eux qui ont innové, et qui ont laissé tom-
ber une institution qu'ils reconnoissoient aupa-
ravant, non seulement comme ecclésiastique,
mais encore comme divine et venue de Jésus-nous, et changer, par un fait certain et positif,
Christ même.

Il ne faut donc pas tirer avantage des séparations des Grecs, puisque, s'ils se sont quelquefois séparés, ils sont aussi retournés à leur devoir, et ne se sont jamais rendus plus évidemment condamnables, que lorsqu'ils ont semblé vouloir oublier à jamais l'état où ils étoient avec

la doctrine perpétuelle dans laquelle leurs pères avoient été élevés jusqu'au jour de leur rupture.

Voilà où votre ministre a réduit les Grecs, et c'est sur ce fondement qu'il leur accorde sans peine « la succession apostolique et la présence

» aux pasteurs qui ont pris la place des apô» tres 2. » A la bonne heure; ils ont donc pris la place des apôtres, et n'en ont point interrompu la succession: votre ministre le veut luimême ainsi. Commencez donc par avouer que cette succession leur étoit nécessaire, et laissez là vos Églises à qui elle manque si visiblement.

Je

Mais allons encore plus avant, et voyons à quoi le ministre veut réduire la foi des Grecs. C'est qu'en leur faisant avouer la primauté divine de saint Pierre et de ses successeurs, ils nient seulement « qu'on doive leur être soumis,» miraculeuse de Jésus-Christ, si elle est promise >> ou communier avec les évêques romains, pour » être l'Église 2; » et un peu après : « Ils ont >> toujours soutenu (les Grecs) que cette pri» mauté de saint Pierre n'emporte ni soumis»sion de la part des apôtres à saint Pierre, ni » obéissance de la part des évêques au pape; » et les actes des conciles, les registres publics » de l'Église (ce sont ici mes paroles qu'il rap» porte) en font foi 3. » Il devoit donc réfuter ou nier du moins ce que j'ai tiré de ces registres et de la propre sentence que le concile d'Ephèse a prononcée contre Nestorius: contraint par les saints canons et par les lettres de saint Célestin. Il n'a pu ni osé nier que ces paroles ne se lisent effectivement dans ces registres authentiques de l'Eglise, que les Grecs ont dressés conjointement avec nous. Il y avoit donc, de l'aveu commun de l'Orient et de l'Occident unis alors, et assemblés dans un concile général, pour condamner l'hérésie de Nestorius; il y avoit, dis-je, dans les lettres du pape, quelque chose qui, joint aux canons, contraint les esprits, c'est-àdire, manifestement quelque chose qui a force et autorité dans les jugements de la foi que rendent les plus grands conciles, et il ne reste plus de ressource à votre ministre qu'en disant que cette contrainte catholique n'imposoit ni déféyence ni soumission à ceux qui la reconnoissoient,

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Quand donc, en expliquant la promesse, suis avec vous, j'ai dit que saint Pierre y étoit compris avec la prérogative de sa primauté 3, le ministre ne devoit pas dire que « cette lu» mière ne sort pas de l'oracle ni de la promesse » de Jésus-Christ, mais de l'esprit subtil de » M. de Meaux ; » puisqu'il fait lui-même convenir les Grecs de la primauté divine de saint Pierre passée à ses successeurs, et si certaine d'ailleurs, que ses plus grands adversaires ne peuvent la désavouer.

Je n'ai donc rien pris dans mon esprit, et je n'ai fait qu'expliquer l'Évangile par l'Evangile, et une vérité par une autre qui n'est pas moins assurée; et si vous le permettez, j'ajouterai, mes chers Frères, ce seul mot: que des deux causes principales que les Grecs alléguent pour sauver leur rupture avec Rome, la première étant la procession du Saint-Esprit; et la seconde, la pri mauté de saint Pierre passée à ses successeurs ;

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dans la première, vous êtes des nôtres par votre propre Confession de foi; puisqu'elle porte en termes formels que le Saint-Esprit procède éternellement du Père et du Fils: et pour la seconde, qui regarde la primauté de saint Pierre, votre ministre vous vient d'avouer, non seulement qu'on la trouve dans les registres publics des conciles œcuméniques, mais encore que les Grecs en étoient d'accord. Il sait bien, en sa conscience, que je pourrois soutenir cet aveu des Grecs par cent actes aussi positifs que ceux qu'on a rapportés; mais je me suis renfermé exprès dans ceux qui sont avoués par votre ministre. Pourquoi donc en appeler sans cesse aux Grecs, si ce n'est pour vous détourner du vrai état de la question, par des faits où il se trouve, après tout, sans consulter autre chose que l'Evangile et l'aveu de votre ministre, que la vérité est pour nous?

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J'ai réservé, à la fin de cette Instruction, le grand argument du ministre, qu'il a répandu dans tout son livre : c'est celui qu'il tire de l'oppression de l'Église, sous les règnes de Constance et de Valens : « On marquoit, dit-il 2, alors le >> point fixe où une parcelle combattoit contre » le tout: » à quoi il ajoute : « Ce point fixe » étoit l'année de la mort de Constance: l'E» glise étendue et visible changea la doctrine » dont elle faisoit profession le jour précédent. »> C'est-à-dire, selon le ministre, que d'arienne qu'elle étoit hier sous ce prince, dès le lendemain, sans plus tarder, elle redevint catholique; et il ne veut pas seulement songer qu'un changement si subit ne sert qu'à faire sentir qu'il ne se fit rien dans les formes ni par raison, sous ce prince, mais que l'injustice et la force ouverte y régnoient toujours.

cruelle manière sous l'empereur Valens, arien, qui régnoit en Orient, mais sans aucun péril pour la succession; puisque dans le même temps tout étoit paisible en Occident, sous Valentinien, son frère aîné. Et même du côté d'Orient, les grands évêques de cet empire, un Athanase, un Basile, les Grégoires de Nazianze et de Nysse, un Eusèbe de Samosate, et tant d'autres qui sont connus, illustroient la foi par leur doctrine et par leurs souffrances. Les évêques catholiques, chassés de leurs Églises, ne faisoient que porter la foi du lieu de leur résidence à celui de leur exil. Le ministre dit quelquefois que I'’Église perdoit alors de son étendue et de sa visibilité'. Ce n'est rien dire. On sait ce qu'opéroit la persécution : le sang des fidèles, que versoient les empereurs chrétiens, n'étoit pas moins fécond que celui des autres martyrs: et quoi qu'il en soit, il ne s'agit pas de savoir si l'Église peut devenir ou plus ou moins étendue, ni éclater davantage en un temps qu'en un autre; mais si elle peut cesser d'être étendue et visible, malgré la protection de celui qui a promis d'être tous les jours avec elle.

Laissant donc les temps de Valens, arrêtonsnous à Constance, sous qui la confusion parut plus grande; et puisqu'il faut ici établir des faits, faisons si bien que nous ne posions que ceux qui seront constants, et même avoués par le ministre.

La déduction en sera courte, puisque je les réduis à deux seulement, mais qui seront décisifs. Le premier est ainsi posé dans ma première Instruction pastorale 2: « que quelque progrès » qu'ait pu faire l'arianisme, on ne cessoit de le » ramener au temps du prêtre Arius, où l'on » comptoit par leur nom le petit nombre de ses » sectateurs; c'est-à-dire huit ou neuf diacres, » trois ou quatre évêques: en tout, treize ou » quatorze personnes qui s'élevèrent contre la » doctrine qu'ils avoient apprise et professée » dans l'Église, sous leur évêque Alexandre, » qui, joint avec cent évêques de Libye, leur » dénonçoit un anathème éternel adressé à tous

Il est fàcheux, je l'avoue, d'avoir à repasser» les évêques du monde, de qui il étoit reçu. » sur des faits si souvent éclaircis par nos docteurs; mais la charité nous y force, puisque l'aveu du ministre, et les tours qu'il donne à ces faits, vont mettre la vérité dans un si grand jour, qu'il n'y aura qu'à ouvrir les yeux pour l'apercevoir.

D'abord donc, lorsqu'il joint la persécution de Valens avec celle de Constance, il veut grossir les objets. L'Église fut tourmentée d'une

| Art, 6. T. 4, p. 599. • 11,

C'est donc à ce temps précis et marqué qu'on ramenoit les ariens; et il suffit pour les mettre au rang de ceux qui, contre le précepte de saint Jude et de saint Paul, se séparent et se condamnent eux-mêmes 3, en condamnant la doctrine qu'ils avoient reçue à leur baptême et à leur sacre.

3

Voilà le fait précis et constant de la rupture d'Arius, à quoi il faut attacher un fait de même

T., 380, 691, 692, 603, — 2 P. 468. — Ibid.

nature, et aussi certain qu'est celui du concile de Nicée, qui sept ans après opposa à cinq ou six évèques seulement de la faction d'Arius, la condamnation de trois cent dix-huit évêques, | avec qui tout l'univers communiquoit dans la foi, et qui aussi étoit reconnu par toute la terre pour universelle; en sorte qu'il n'y avoit rien de plus constant que le point de la séparation d'Arius et des ariens.

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tiques au rang de ceux qui se séparent eux-mêmes. Il n'y a donc qu'à comparer l'un avec l'autre ces deux faits toujours constants, l'un de la rupture précise et de l'innovation dans les hérésies, et l'autre de la consistance et succession perpétuelle de l'Église, pour voir sans discussion et sans embarras, d'un côté la vérité catholiqué et universelle, et de l'autre la partialité et le schisme.

Le fait de la rupture posé de la manière qu'on vient d'entendre dans la précédente Lettre pastorale, a été vu et avoué par mon adversaire; mais voici ce qu'il y répond: « Renvoyer les artisans, » les laboureurs, les soldats et les femmes cher» cher dans les archives de l'Église d'Alexandrie, » si Arius n'avoit que treize ou quatorze secta

C'est ce point qu'on ne perdit jamais de vue; et pour montrer que l'Église, malgré la persécution de Constance et le concile de Rimini, où le ministre prétend que la succession fut interrompue, étoit demeurée en état, je pose ce second fait également incontestable: que deux ou trois ans après ce concile et la mort de cet empereur, saint Athanase écrivoit encore à l'empereur Jo-» teurs; c'étoit jeter les simples dans les embarras vien: C'est cette foi (de Nicée que nous confes- » d'un examen plus difficile que celui de la vésons) qui a été de tout temps, et c'est pourquoi,» rité par l'Écriture'. » C'est toute la réponse du continue-t-il, « toutes les Églises la suivent (en ministre, où l'on voit qu'il avoue le fait, que per» commençant par les plus éloignées), celles sonne aussi ne peut nier, et se contente de dire d'Espagne, de la Grande-Bretagne, de la qu'il ne peut être connu des simples. » Gaule, de l'Italie, de la Dalmatie, Dacie, My- Je vous plains en vérité, mes chers Frères, si sie, Macédoine; celles de toute la Grèce, de ceux qui se chargent de votre instruction sont » toute l'Afrique, des îles de Sardaigne, de assez aveugles pour croire ce qu'ils vous disent; Chypre, de Crète; la Pamphilie, la Lycie, et je vous plains encore davantage, si, ne pouvant » l'Isaurie, l'Égypte, la Libye, le Pont, la Cappa- croire des faussetés si visibles, ils osent vous les » doce : les Églises voisines ont la même foi; et proposer sérieusement. Je vous demande, est-ce » toutes celles d'Orient » (c'est-à-dire de la Syrie, à présent un embarras de savoir qu'avant Luther, et les autres du patriarcat d'Antioche), « à la ré- avant Zuingle, avant Calvin, il n'y avoit point » serve d'un très petit nombre: les peuples les de Confession d'Ausbourg, ni d'Eglises protes» plus éloignés pensent de même ; » c'étoit à tantes; et les catholiques ont-ils jamais été obli» dire non seulement tout l'empire romain, mais gés à prouver ce fait? Point du tout il a passé encore tout l'univers jusqu'aux peuples les plus pour constant; et jusqu'ici, je ne dirai pas, perbarbares. Voilà l'état où étoit l'Église, sous l'em-sonne ne s'est avisé de le nier, mais je dirai que pereur Jovien, trois ans après la mort de Constance et le concile de Rimini. Ainsi, ni ce concile, ni les longues et cruelles persécutions de l'empereur, ni le support violent qu'il donna pendant vingt-cinq ans aux ariens, ne purent leur faire perdre le caractère de la parcelle séparée du tout. « Tout l'univers, poursuit saint » Athanase, embrasse la foi catholique, et il » n'y a qu'un très petit nombre qui la com» batte. »

Cela veut dire, qu'après la rupture, qui montre à l'hérésie son innovation contre les prédécesseurs immédiats, et les met visiblement au rang de ceux qui se séparent eux-mêmes, Dieu permet bien des tentations, des ébranlements et mème des chutes affreuses dans les colonnes de l'Eglise, qui causent durant un temps quelque sorte d'obscurité; mais, comme j'ai déja dit, on ne perd jamais le point de vue qui met toujours manifestement les héré

Epist. Athan, ad Jov. Imp.

personne ne s'est avisé de dire qu'il n'en savoit rien. Si ce fait demeure pour constant deux cents ans après, et le sera éternellement sans pouvoir être nié, à plus forte raison, du temps d'Arius et du concile de Nicée, le fait dont il s'agit fut connu et avoué par toute la terre. Il ne falloit pas aller feuilleter les registres de l'Église d' Alexandrie: les lettres d'Alexandre, évêque d'Alexandrie, et les décrets de Nicée étoient entre les mains de tout le monde; mais ces faits une fois posés, ne se peuvent jamais effacer. Il en est de même de toutes les autres hérésies, on les sait dans le temps; c'est l'affaire du jour, qu'on apprend à coup sûr du premier venu. Ainsi, comme je l'ai dit, le point de la rupture est toujours marqué et sanglant : chaque secte porte sur le front le caractère de son innovation : le nom même des hérésies ne le laisse pas ignorer, et c'est trop vouloir abuser le monde, que de proposer une discussion où il n'y

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a qu'à ouvrir les yeux, et où jamais on ne trou- et voici ce qu'on objectoit à Libérius: Je souhaite, vera la moindre dispute.

Le fait de la rupture d'Arius étant ainsi avéré, du consentement du ministre, et la conséquence étant assurée par la foiblesse visible de sa réponse, il faudroit peut-être voir encore ce qu'il dit sur l'état de l'Église après la mort de l'empereur Constance. Mais nous l'avons déja vu dans ces paroles 1 : « On marquoit alors (après la mort du » persécuteur) le point fixe où la parcelle com» battoit contre le tout; ce temps fixe étoit l'an» née de la mort de Constance : l'Église étendue » et visible» (qu'il suppose avoir été arienne sous ce prince) « changea la doctrine, dont elle-même >> faisoit profession le jour précédent : il ne fallut ni effort ni violence: toute l'Église par ellemême se trouva catholique, c'est-à-dire qu'elle se trouva dans son naturel; et cependant ce ministre veut imaginer qu'elle avoit perdu sa suc

cession.

ང་

Mais, dit-il 2, <«<les ariens avoient vanté la » constante et paisible possession de leurs dog» mes, criant à Libérius: Vous êtes le seul : pour» quoi ne communiez-vous pas avec toute la

>> terre? >>

Encore un coup, mes chers Frères, on vous doit plaindre, si vous êtes capables de croire qu'au temps que les ariens parloient ainsi à Libérius, ils pussent se vanter de la constante et paisible possession de leurs dogmes. C'étoit en l'an 355, que ce pape eut avec l'empereur l'entretien célèbre où votre ministre leur fait tenir ce discours il n'y avoit pas encore trente ans que le concile de Nicée avoit été célébré; car il le fut, comme on sait, en 325: la foi de Nicée vivoit par toute l'Église; il n'y avoit pas douze ans que le grand concile de Sardique, comme l'appeloit saint Athanase, en avoit renouvelé les décrets: ce concile étoit vénérable, pour avoir rassemblé trente-cinq provinces d'Orient et d'Oecident, le pape à la tête, par ses légats, avec les saints confesseurs qui avoient déjaété l'ornement du concile de Nicée. Le scandale de Rimini, où les ministres veulent croire que tout fut perdu, et que l'Église visible fut ensevelie, n'étoit pas encore arrivé, et ce concile ne fut tenu que douze ans après, l'an 339, et l'année qui précéda la mort de Constance. Cependant on voudroit vous faire accroire que les ariens se glorifioient dès-lors d'une constante et tranquille possession de leurs dogmes, pendant que la résistance des orthodoxes, sous la conduite de saint Athanase et des autres, étoit la plus vive.

Mais ils ne portoient pas si loin leur témérité

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c'est Constance qui lui parle ainsi, que vous rejetiez la communion de l'impie Athanase, puisque tout l'univers, après le concile (de Tyr), le croit condamnable 1; et un peu après tout l'unirers a prononcé cette sentence, et ainsi du reste. Il s'agit donc simplement du fait de saint Athanase; et encore que ce fût en un certain sens attaquer la foi, que d'en condamner le grand défenseur à ce seul titre, il y a une distance infinie entre cette affaire et la tranquille possession des dogmes de l'arianisme.

Mais étoit-il vrai, du moins, que tout l'univers eût condamné saint Athanase? Point du tout. Constance abusant des termes, et tirant tout à son avantage, veut appeler tout le monde tout ce qui cédoit à ses violences: il veut compter pour tout l'univers le seul concile de Tyr, où il avoit ramassé les ennemis déclarés de saint Athanase. Mais Libérius, au contraire, lui demande un jugement légitime où Athanase soit ouï avec ses accusateurs; et bien éloigné de croire que tout le monde l'ait condamné, il se promet la victoire dans ce jugement. Il n'y a donc rien de plus captieux, ni visiblement de plus faux, que cette tranquille possession du dogme arien.

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Mais que dirons-nous de la chute de Libérius et de la prévarication du concile de Rimini? l'Église conserva-t-elle sa succession, lorsqu'un pape rejeta la communion d'Athanase, communia avec les ariens, et souscrivit à une Confession de foi, quelle qu'elle soit, où la foi de Nicée étoit supprimée ?

Pouvez-vous croire, mes Frères, que la succession de l'Église soit interrompue par la chute d'un seul pape, quelque affreuse qu'elle soit, quand il est certain dans le fait, que lui-même il n'a cédé qu'à la force ouverte, et que de luimême aussi il est retourné à son devoir? Voilà deux faits importants qu'il ne faut pas dissimuler, puisqu'ils lèvent entièrement la difficulté. Le ministre répond sur le premier, que la violence qu'il souffrit fut légère; et tout ce qu'il en remarque, c'est qu'il ne put supporter la privation des honneurs et des délices de Rome 2. Il fait un semblable reproche aux évèques de Rimini 3. Mais falloit il taire les rigueurs d'un empereur cruel, et dont les menaces trainoient après elles non seulement des exils, mais encore des tourments et des morts? On sait, par le témoignage constant de saint Athanase et de tous les auteurs du temps, que Constance répandit beaucoup de sang, et que ceux qui résistoient à ses volontés, sur le sujet de l'arianisme, avoient

4

Theod. Hist. eccl. lib. 11. c. 16.-2 T. 11, p. 696.-P. 698 Apol. ad Const, etc.

tous les temps, on coula la trompeuse proposi

tout à craindre de sa colère, tant il étoit entêté de cette hérésie. Je ne le dis pas pour excusertion, qu'il n'étoit pas créature, comme les auLibérius; mais afin qu'on sache que tout acte qui est extorqué par la force ouverte, est nul de tout droit, et réclame contre lui-même.

Mais si le ministre déguise le fait de la cruauté de Constance, il se tait entièrement du retour de Libérius à son devoir. Il est certain que ce pape, après un égarement de quelques mois, rentra dans ses premiers sentiments, et acheva son pontificat, qui fut long, lié de communion avec les plus saints évêques de l'Église, avec un saint Athanase, avec un saint Basile, et les autres de pareil mérite et de même réputation. On sait qu'il est loué par saint Épiphane ', et par saint Ambroise, qui l'appelle par deux fois le pape Libérius de sainte mémoire 2, et insère dans un de ses livres avec cet éloge un sermon entier de ce pape, où il célèbre hautement l'éternité, la toute-puissance, en un mot la divinité du Fils de Dieu, et sa parfaite égalité avec son Père. L'empereur savoit si bien qu'il étoit rentré dans la profession publique de la foi de Nicée, qu'il ne voulut pas l'appeler au concile de Rimini, et craignit de pousser deux fois un personnage de cette autorité, et qu'il n'avoit pu abattre qu'avec tant d'efforts.

Le ministre n'altère pas moins le concile de Rimini. Il convient qu'il n'a été composé que des évêques d'Occident 3. C'est donc d'abord un fait avoué, qu'il n'étoit pas œcuménique; mais il ne falloit pas oublier qu'il ne fut pas même de l'Occident tout entier, puisque l'on convient que le pape qui en est le chef particulier, pour ne point parler des autres évêques, n'y fut pas même appelé. Le second fait avoué, c'est que le premier décret de ce concile fut un renouvellement du concile de Nicée et de la condamnation des ariens. Le ministre passe en un mot sur un fait si essentiel, mais enfin il en convient. Il ne falloit pas oublier la vive exhortation, que le concile fait à l'empereur, de ne plus troubler la foi de l'Église, ni affoiblir le concile de Nicée qui avoit été assemblé par le grand Constantin, son père. Le ministre semble avoir peine à faire voir la sainte disposition du concile, tant qu'il agit naturellement et en liberté. Après vinrent les menaces et les fraudes. A la faveur des proclamations, où l'on déclaroit la génération éternelle du Fils de Dieu, non pas du néant, mais de son Père à qui il étoit coéternel, et né avant tous les siècles et

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tres créatures '. Les évêques que l'on pressoit
avec violence, à la réserve d'un petit nombre,
ne furent pas attentifs au venin caché sous ces
paroles, dont la malignité sembloit effacée par
le dogme précédent. Le ministre déguise ce fait,
et semble ne vouloir pas le recevoir; mais il est
constant, et nous verrons ailleurs ce qu'il en dit.
Ce qu'il falloit le moins oublier, c'est que les
évêques retournèrent dans leurs siéges, où, ré-
veillés par le triomphe des hérétiques, qui se
vantoient par toute la terre d'avoir enfin rangé
le Fils de Dieu au nombre des créatures, en lui
laissant seulement une foible distinction, ils gé-
mirent d'avoir donné lieu par surprise et sans y
penser, à ce triomphe de l'arianisme; et c'est ce
que saint Jérôme vouloit exprimer par cette pa-
role célèbre, que le monde avoit gémi d'être
ariens: c'étoit-à-dire, que tout s'étoit fait par
surprise et non de dessein. Quoi qu'il en soit,
ils revinrent tous à la profession de la foi catho-
lique qu'ils avoient déclarée d'abord, et qu'ils
portoient dans le cœur. Ce changement, qui est
appelé par saint Ambroise leur seconde correc-
tion 2, fut aussi prompt qu'il étoit heureux; et ce
Père dit expressément qu'ils révoquèrent aussi-
tot ce qu'ils avoient fait contre l'ordre, statim 3:
ce fait n'est pas contesté. Votre ministre avoue
bien que les évêques revinrent manifestement
et bientôt ; mais il passe trop légèrement sur
les circonstances: il ne devoit pas taire que ce
fut alors une question dans l'Église, non pas si
ces évêques étoient ariens, car tout le monde.
savoit qu'ils ne l'étoient pas, mais si on les lais-
seroit dans l'épiscopat; ou si en les dégradant,
on les mettroit au rang des pénitents. Mais les
peuples ne voulurent point souffrir qu'on leur
ôtât leurs évêques, dont ils connoissoient la foi
opposée à l'arianisme, et firent pencher l'Église
au sentiment le plus doux. Le seul Lucifer,
évêque de Cagliari en Sardaigne, se sépara de
l'Église par un zèle outré, à cause qu'elle con-
servoit dans leurs siéges les évêques qui se re-
pentoient de s'être laissés surprendre, et on l'ac-
cusoit d'avoir renfermé toute l'Église dans son
île. C'est tout ce que lui reprochèrent les ortho-
doxes par la bouche de saint Jérôme 6. Mais
qu'eût nui ce reproche à Lucifer, s'il étoit vrai
que l'Église pût perdre sa visibilité et son éten-
due? On présupposa le contraire dans toute l'É-
glise, lorsque l'on y condamna le schisme des

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