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J'ai vu mille peines cruelles

Sous un vain masque de bonheur,
Mille petitesses réelles

Sous une écorce de grandeur,
Mille lâchetés infidèles

Sous un coloris de candeur,

Et j'ai dit au fond de mon cœur :
Heureux qui, dans la paix sécrète
D'une libre et sûre retraite,
Vit ignoré, content de peu,
Et qui ne se voit point sans cesse
Jouet de l'aveugle déesse,
Ou dupe de l'aveugle dieu!
A la sombre misanthropie
Je ne dois point ces sentiments;
D'une fausse philosophie

Je hais les vains raisonnements;
Une indifférence suprême,
Voilà mon principe et ma loi;
Tout lieu, tout destin, tout système,
Par là devient égal pour moi;
Où je vois naître la journée,
Là, content, j'en attends la fin,
Prêt à partir le lendemain,

Si l'ordre de la destinée

Vient m'ouvrir un nouveau chemin.

Sans opposer un goût rebelle

A ce domaine souverain,

Je me suis fait du sort humain
Une peinture trop fidèle ;

Souvent dans les champêtres lieux
Ce portrait frappera vos yeux.
En promenant vos rêveries
Dans le silence des prairies,
Vous voyez un faible rameau,
Qui, par les jeux du vague Éole,
Enlevé de quelque arbrisseau,
Quitte sa tige, tombe, vole
Sur la surface d'un ruisseau;
Là, par une invincible pente,
Forcé d'errer et de changer,
Il flotte au gré de l'onde errante,

Et d'un mouvement étranger;
Souvent il paraît, il surnage,
Souvent il est au fond des eaux;
Il rencontre sur son passage
Tous les jours des pays nouveaux :
Tantôt un fertile rivage

Bordé de coteaux fortunés;
Tantôt une rive sauvage,
En des déserts abandonnés :
Parmi ces erreurs continues,
Il fuit, il vogue jusqu'au jour
Qui l'ensevelit à son tour
Au sein de ces mers inconnues
Où tout s'abîme sans retour 1.

LE MÉNAGE des deux CORNEILLE.

Bonnes femmes, je vous salue.
Bien sot qui ne vous choisira.
Oui, quiconque vous connaîtra
A ses amis d'abord dira:

<< Par une faveur imprévue

« Qu'il en tombe une de la nue,

« Nous verrons de nous qui l'aura. »
L'immortel auteur d'Athalie,

Et de Phèdre et d'Iphigénie,

Ce peintre enchanteur de l'amour,

Qui, plein d'esprit, de goût, de grâce,

■ Voilà, j'en conviens, de beaux vers, mais une étrange philosophie. L'homme est appelé par la Providence à quelque chose de mieux que cette indolence égoïste. Se soumettre à la volonté divine et imposer la sienne à la nature extérieure, telle est sa double vocation, dont un poëte a nettement exprimé la seconde moitié lorsqu'il a dit :

<< Et mihi res, non me rebus, submittere conor. »

Il faut se garder de confondre la résignation, fruit de l'amour, application de l'énergie morale, action de l'âme, avec cet abandon où tout est passif, et qui n'a du désintéressement que l'apparence. - Par cela seul que la destination de l'homme est d'aimer, la résistance aux choses, l'action sur les choses, sont les lois de sa vie.

Du reste le besoin de repos est dans le fond de l'homme à côté du besoin d'action, et, comme vérité de fait, se prête fort bien à la poésie.

29.

Couvert des lauriers du Parnasse,
Charma la plus brillante cour,
En sa maturité sévère,

Dans sa femme que chercha-t-il ?
Une très-simple ménagère,
Qui fit avec lui sa prière,
Et répondit: Ainsi soit-il.
Et ces oncles de Fontenelle,
Du Cid et d'Ariane auteurs,
Ces frères, époux des deux sœurs,
Qui de l'amitié fraternelle,
Et conjugale et paternelle
Goûtaient ensemble les douceurs,
Dont les enfants, troupe agréable,
Gentils, pas plus hauts que leur table,
Y montraient, lorgnant tous les plats,
Et le doux ris de l'innocence,

Et leurs dents encor dans l'enfance,
Et leurs petits mentons tout gras:
Sont-ce des femmes adorables,
D'encens, de luxe insatiables

Que l'hymen mit entre leurs bras?
Ce n'étaient que de bonnes mères,
Des femmes à leurs maris chères,
Qui les aimaient jusqu'au trépas;
Deux tendres sœurs qui, sans débats,
Veillaient au bonheur des deux frères,
Filant beaucoup, n'écrivant pas.
Les deux maisons n'en faisaient qu'une;
Les clefs, la bourse était commune,
Les femmes n'étaient jamais deux.
Tous les vœux étaient unanimes;
Les enfants confondaient leurs jeux,
Les pères se prêtaient leurs rimes,
Le même vin coulait pour eux.
Oui, sur leurs urnes fraternelles
Toute la Grèce aurait encor,
Au sein des fêtes solennelles,
Par ses chants et ses lyres d'or,
Cru, pour Pollux et pour Castor,
Entonner des hymnes nouvelles.
Sans art, dans son style inspiré,

Comme Platon aurait montré
Le front méditant Léontine,
Chimène, Sévère et Pauline,
Parmi les jeux et les berceaux,
La veillée et ses doux travaux,
Les enfants et les ménagères
Maniant de leurs mains légères
Les dés, le fil et les ciseaux;
Et Corneille, au sein des caresses,
Couvert des pleurs de leurs tendresses
Et des présents de leurs fuseaux !
Et toi qui sus cacher ta vie
Loin des cours et loin de l'envie;
Qui, fuyant ses traits meurtriers,
Avec le travail qui console,
Et la liberté, ton idole,

Dans le calme et sous les lauriers
Mourus au pied du Capitole ;

Si ton art, Poussin, nous l'offrait

Quand l'hiver, sous nos planchers sombres,

Vient, sur le jour qui disparaît,

A la hâte entasser ses ombres,
D'une lampe il éclairerait

La modeste chambre de Pierre.
Son ton poétique et sévère
Au premier coup d'œil frapperait.
Le luxe antique on y verrait :
Le fauteuil à bras, dans sa gloire,
Les hauts chenets, la vaste armoire,
Sa table où s'enorgueillirait
De ses Romains l'immense histoire;
Sur la table et la serge noire
Sa large Bible s'ouvrirait;
Un jour magique y descendrait;
Un sablier s'écoulerait

Devant la tragique écritoire.
Dans l'auguste alcôve, assez près,
Sous des rideaux purs et discrets
S'enfoncerait un lit austere
Où le doux sommeil l'attendrait.
Volant au ciel, quittant la terre,
L'air pensif, Corneille écrirait.

Sa femme sans bruit sortirait;
Jean la Fontaine dormirait;
Le Père Larue entrerait

Pour voir Corneille son compère,
Qu'en silence il contemplerait.
O le pur sang du vieil Horace!
Toi qui si bien nous crayonnas
Sa vigueur et sa noble race,
Et leur mâle et romaine audace
Dans les traits que tu leur donnas;
Oui, dans ce vieillard magnanime,
Dans son qu'il mourût si sublime,
Oui, c'est toi que tu dessinas.
Au sein de Rome encor de brique,
Des mœurs, de la rudesse antique,
Sur les dieux fondant ton appui,
Avec ton fils, avec ta fille,
Je te vois là dans ta famille;
C'est le vieil Horace chez lui.
Qu'en rassurant Sabine en larmes,
Ton fils, prêt à prendre les armes,
Comme toi me paraît Romain!
Plus ferme, plus impénétrable
Que le bouclier redoutable
Dont je le vois armer sa main.
Avec ces Romains invincibles,
Et leurs femmes incorruptibles,
En qui trois cents ans éclata,
Sous leur demeure austère et pure,
La pudeur, leur riche parure,
Corneille, oui, ton âme habita.
Comment pouvoir, dans tous les âges,
Accabler d'assez de suffrages
Ces vers que le Ciel te dieta,
Ces vers que ton cœur enfanta,
Parés de leur rouille adorable
Et de la force inimitable
Dont Melpomène te dota?

La chambre où tu cachas ta vie

Gardait la flamme du génie
Près du feu sacré de Vesta.
Avec quel respect, ô Corneille!

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