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Charles VI) du chaperon populaire. Il fait mieux: sous les traits d'une jeune fille des champs, il s'arme pour l'indépendance du pays et reconquiert le royaume. Enfin l'esprit bourgeois et antichevaleresque s'assied sur le trône dans la personne du roi Louis XI, et achève d'accabler le génie féodal dans celle des vaillants et téméraires ducs de Bourgogne.

La littérature du quatorzième au seizième siècle exprime cette situation politique. Elle est en général chétive et souffrante comme la France. Ses productions les plus remarquables ont un caractère plébéien et vulgaire. Nous avons déjà vu, dans la chronique, Commines succéder à Froissart: sur le théâtre nous avons entendu les confréries et la basoche. La chaire chrétienne n'échappe pas à cette commune destinée. Le prêtre lui-même se fait peuple. C'est alors que retentit dans l'Église la parole vive, originale, mais vulgaire des Menot, des Maillart, des Raulin. Cette éloquence est également populaire par son inspiration et par ses formes. C'est contre les riches et les puissants du monde que s'exerce la verve de ces tribuns sacrés. Louis XIV aimait à prendre sa part dans un sermon: il ne voulait pas qu'on la lui fit; les prédicateurs du quinzième siècle épargnent volontiers à leurs nobles auditeurs la peine de deviner ce qui les concerne. Chez eux l'allusion n'est guère plus voilée que chez le missionnaire Bridaine. « Êtes-vous de la part de Dieu? s'écrie Maillart. Le prince et la princesse, en êtes-vous? baissez le front!... Les chevaliers de l'ordre, en êtes-vous? baissez le front! Et vous, gentilshommes, en êtes-vous? baissez le front! Menot trouvait, dans son indignation bourgeoise autant que religieuse, quelques inspirations d'une haute éloquence: « Aujourd'hui, disait-il, messieurs les gens de justice portent de longues robes, et leurs femmes sont vêtues comme des princesses; si leurs vêtements étaient mis sous le pressoir, le sang des pauvres en découlerait. » La critique littéraire a longtemps dédaigné outre mesure ces braves doc

en 1518.

4. Michel Menot, cordelier et professeur de théologie à Paris, mort Olivier Maillart, cordelier, mort en 1502.

Jean Raulin, directeur du collège de Navarre, mort en 4514.

teurs au simple et trivial langage: un habile professeur a réhabilité leur mémoire avec réserve. Il les a justifiés de l'accusation assez peu vraisemblable, mais généralement admise depuis Voltaire, d'avoir employé une langue bizarre mi-partie de mauvais latin et de mauvais français. Il a cité des passages remarquables tirés de leurs sermons, et montré que la trivialité qu'on leur reproche est due à l'état actuel du langage, qui ne connaissait point de degrés de noblesse entre les mots, et au caractère des auditoires auxquels s'adressaient ces orateurs.

Cela même est un fait littéraire d'une haute importance. Au quinzième siècle, il n'y a en France qu'un langage, et c'est celui du peuple, qu'une éloquence, et c'est une éloquence plébéienne. Nous allons voir que la poésie présente le même caractère.

Le poëte Villon3.

Les époques de transition, comme le quinzième siècle, comme le nôtre peut-être, sont en général peu littéraires. Le poëte le plus remarquable des temps qui nous occupent, le premier en date de tous les poëtes modernes (car Charles d'Orléans est le dernier des trouvères), fut maître François Villon, écolier de l'Université de Paris, vrai basochien, espiègle, tapageur, libertin et, qui pis est, larron; passant sa vie entre le cabaret, la prison, la faim et la potence, toujours pauvre, toujours gai, toujours railleur et spirituel; mêlant aux saillies de sa joyeuse humeur des traits nombreux d'une sensibilité rêveuse et quelquefois éloquente, il fut le premier qui saisit et dégagea la poésie que recèle la plus vulgaire et la plus misérable de toutes les conditions: il exprima la na

1. M. Géruzez, dans son Cours d'éloquence française, 1836-1837, leçons v et suivantes. Ces pages réunissent au plus haut degré l'instruction et l'in

térêt.

2. Nous devons au moins un souvenir à un autre poëte populaire du commencement du quinzième siècle, à Olivier Basselin, foulon de son métier, Normand de naissance, et poëte par l'inspiration du cidre. C'est du vallon dé la Vire, qu'il habitait, que ses joyeux couplets ont pris et légué à leurs successeurs le nom de Vaux-de-Vire, et par corruption Vaudevilles. Le texte de ses chansons n'a pas été moins altéré que leur titre ; elles n'ont été imprimées que deux siècles après sa mort, et dans un langage changé et rajeuni.

ture dans sa vérité la plus nue, et il se trouva que cette franche et grossière nature était souvent l'idéal même de l'art1.

«

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Né à Paris, près de Pontoise, l'an 1431, de pauvre et de petite extrace, » Villon suivit néanmoins les leçons de l'Université. Mais disciple peu assidu « d'Aristote et de ses comments,» il lui arrivait souvent « de fuir l'école, comme fait le mauvais enfant; » alors il suivait une troupe de gracieux galants,

Si bien chantants, si bien parlants

Si plaisants en faits et en dits.

et s'installait avec eux

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Dans la taverne où tenaient leurs états.

Aussi, au lieu d'avoir, comme plusieurs de ses condisciples, maison et couche molle,» le pauvre clerc ne put obtenir, malgré la présentation de l'Université, « ni cens, ni rente, ni avoir. » Il vécut dans une misère profonde et ne put léguer à la terre qu'un corps où « les vers ne trouveront grand'graisse, tant la faim lui fit rude guerre! Nécessité fait gens méprendre, et faim saillir le loup du bois »; la détresse poussa Villon au larcin et presque au gibet. Deux fois condamné à être pendu, deux fois il obtint sa grâce, d'abord du parlement, ensuite, « du bon roi, ce qui veut dire de Louis XI; le commentaire était indispensable. Il alla finir tranquillement sa vie en Poitou, à Saint-Maixent, auprès d'un homme de bien, abbé dudit lieu.»

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Les œuvres de Villon ne ressemblent en rien à celles des poëtes ses prédécesseurs: elles rentreraient difficilement dans une classification connue. Il ne chante rien d'étranger à luimême; c'est sa vie, ce sont ses idées, ses émotions personnelles qu'il raconte. Il nous décrit le petit monde vulgaire et pourtant très-caractérisé, très-poétique qui tourne autour de

1. M. Campeaux a publié un livre intéressant sur la Vie et les OEuvres de Villon (1859).

lui: c'est une vue de l'humanité, prise de la place Maubert. Il y a un charme tout nouveau à trouver, dans un poëte du quinzième siècle, ces révélations de la vie intime, ces confessions naïves et malignes, aussi éloignées de la jactance que de l'hypocrisie. C'est, à part l'infériorité du talent et la différence du caractère, le même genre de plaisir que nous procurent les poésies d'Alfred de Musset on aime à entendre causer sans prétentions un homme qui se trouve être en même temps un poëte, à recueillir de sa bouche l'expérience profonde de la vie. Villon vous redit ses amours, ses fautes, ses malheurs; il se plaint sans amertume et même sans tristesse; il chante sa misère, non pour nous apitoyer, mais parce qu'il est poëte et que sa misère a un côté poétique. Il est le premier en France qui ait trouvé la poésie des sujets simples, c'est-à-dire la pensée nette, l'image vive, la sensibilité au milieu du sourire, et même la mélancolie. Tout cela naît chez lui sans effort: sa poésie ne consiste qu'à mieux voir et mieux sentir. La grâce qui, dans son prédécesseur Charles d'Orléans, grimaçait quelquefois par bon ton et pour plaire à Bel-Esprit et à Faux-Savoir, n'est ici que le mouvement naturel de la pensée. On croirait voir un de ces joyeux enfants de Paris, si à l'aise dans leurs haillons, si alertes, si gais, si intelligents de figure et de repartie, à côté d'un adolescent beau et bien formé par la nature, mais gêné par une surveillance austère et emprisonné dans la soie et le velours. Le choix de ses sujets annonce déjà la manière dont il va les traiter. Villon ne se fatigue pas à créer une fiction, il ramasse sa poésie à ses pieds, dans les rues, souvent, hélas! dans les ruisseaux de Paris. Un beau jour il quitte sa ville natale pour rompre une passion, ni plus ni moins que Saint-Preux ou Werther; il s'en va, touriste en guenilles, jusqu'à Angers, et comme il part en pays lointain, il juge prudent de faire « certains legs. » Un ivrogne aura son muid; il laisse aux pauvres clercs sa nomination de l'Université, qui ne les enrichira guère, et à un ami trop gras deux procès pour corriger son embonpoint. C'est ainsi qu'il passe en revue tout son entourage, administrant partout un trait satirique ou plaisant. Ces legs, qu'on désigne d'ordinaire sous le nom de Petit

D

D

Testament, sont une esquisse légère de l'ouvrage principal de
Villon, le Grand Testament, composé dans toute la force de
son talent et de son âge, « en l'an trentième de sa vie. » On
sent en les lisant que ces deux ouvrages sont séparés par cinq
années d'intervalle et par une expérience douloureuse de la
vie. Dans le second, le style du poëte a gagné une mâle éner-
gie, au milieu « de toutes les hontes qu'il a bues, » et la souf-
france a aiguisé « ses sentiments, plus que tous les comments
d'Averroès sur Aristote. » Il débute par jeter un triste re-
gard sur sa vie passée, il en avoue les fautes avec résignation.
Il est pécheur, il le sait bien; mais la pauvreté est coupable
de tous ses méfaits. C'est elle qui a dissipé inutilement sa
vie : par
elle ses jours s'en sont allés errants, comme ces
filets d'une toile qu'un tisserand brûle avec une ardente
paille. » Villon excelle surtout dans l'expression de ces mé-
lancoliques regrets d'un temps qui s'enfuit et s'envole. C'est
à ce doux reflet du passé qu'il colore d'un éclat poétique les
figures même les plus vulgaires; témoin cette bonne vieille
heaumière (armurière), jadis fringante jeune fille, qui, avec
ses commères

Assises bas, à croppetons (accroupies)
Tout en un tas comme pelottes,

A petit feu de chenevottes

Tôt allumées, tôt éteintes,

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se prend à deviser du temps où elles furent « si mignottes. N'est-ce pas la véritable aïeule de cette joyeuse vieille de Béranger, qui regrette si effrontément « le temps perdu » et je ne sais quelles autres choses encore? Quelquefois c'est vers l'avenir que Villon tourne ses regards pensifs mais résignés: il le montre du doigt à ses amies, il les exhorte par pensée de la vieillesse future à se montrer moins dédaigneuses aujourd'hui. On s'attend à chaque instant à lire :

ou bien :

Vous vieillirez et je ne serai plus!

Cueillóns, cueillons la rose au matin de la vie!

la

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