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salem, l'art antique a tracé le plan, réglé la forme et les liinites de l'épopée; mais l'inspiration religieuse et chevaleresque est venue animer et vivifier tous les détails.

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En Italie, la fusion de l'esprit moderne et des souvenirs antiques avait été simple et rapide. La Renaissance n'avait eu à combiner que deux éléments, le catholicisme officiel et la tradition gréco-latine. Aucun obstacle n'avait entravé leur union les chefs du moyen âge, les papes, s'étaient mis à la tête du mouvement. Aussi le seizième siècle y vit-il éclore, du sein de la civilisation nouvelle, l'expression la plus pure de la maturité sociale, la fleur immortelle de l'art. Il n'en fut pas ainsi de la France. Cette nation centrale, destinée à servir de lien entre toutes les races, de médiatrice entre toutes les idées, devait recevoir et combiner des éléments plus nombreux, plus divers, et souffrir, avant d'enfanter la pensée moderne, les douleurs d'une longue gestation. Ici ce n'est pas seulement à l'inspiration du moyen âge qu'il s'agit de donner la beauté antique : un esprit nouveau a soufflé du Nord et a soulevé la conscience de l'homme jusque dans ses abîmes. Le droit de douter, le devoir de réfléchir, le besoin d'une action individuelle et libre, voilà ce qu'il faut combiner avec l'unité d'opinion, d'esprit et de gouvernement, condition nécessaire d'une forte unité nationale, préliminaire indispensable d'un art et d'une littérature.

Aussi par quelles agitations dans le domaine des faits se traduit cette diversité d'éléments dans la sphère des idées! Deux peuples dans la même nation, huit guerres civiles, deux rois assassinés, un roi assassin de son peuple, le passé et l'avenir venant comme deux fantômes tourmenter cette malheureuse époque, la féodalité cherchant à relever la tête et à partager la France, la démocratie passant des protestants aux catholiques, et formant avec la théocratie une bizarre alliance; enfin, comme pour marquer pius clairement le caractère de la lutte, deux races étrangères offrant aux deux partis leurs secours intéressés, et heurtant, au sein de notre malheureuse patrie, le sombre génie du Nord contre le Démon du Midi tel est le spectacle qu'offre aux yeux de l'histoire la France du seizième siècle. Puis arrive le dénoûment long

temps attendu de cette tragédie sanglante. Le tumulte s'apaise, les passions se calment, la politique s'endort dans une longue trêve monarchique, solution provisoire, comme toutes les solutions de ce monde. L'unité renaît par la conciliation des idées belligérantes d'un côté la liberté d'examen est consacrée par l'édit de Nantes, c'est-à-dire par le dogme de la tolérance civile ; de l'autre le principe d'autorité est affermi, mais déplacé. L'unité sera désormais non dans l'Église, mais dans l'État. Au moyen âge, il y avait une seule religion et une foule de gouvernements séculiers; dans les temps modernes, il y aura plusieurs religions et une seule société civile. Les cultes divers seront embrassés dans le sein d'une seule grande société, la France, dont les membres s'appelleront les sujets du roi, en attendant qu'ils méritent un plus beau nom. Cette transaction donnera le curieux spectacle d'un double changement de drapeau; Henri IV, de huguenot se fera catholique, le clergé ligueur deviendra royaliste. C'est-à-dire qu'un parti ne triomphera qu'en s'armant du principe de ses adversaires. Enfin, ce qui nous ramène au sujet spécial de nos études, la création de la société nouvelle, de la société politique et laïque ne pourra se faire que sous l'influence de l'idée antique d'une morale universelle, indépendante des formes particulières du culte, et héritière de la tradition générale du genre humain. L'éducation, même sous la main du clergé, sera désormais toute classique; l'art français, dans sa forme, sera en grande partie païen.

En France donc comme en Italie, comme dans les autres contrées de l'Europe, le fleuve des idées modernes entraîna dans son cours les débris immortels de la civilisation antique. Mais chez nous, on le conçoit, le mélange fécond de tant d'éléments divers acquit plus tard qu'en Italie sa limpidité. Ce n'est guère qu'au dix-septième siècle que fleurira en France, dans une littérature inimitable, la pensée longtemps agitée par les tourments de l'âge précédent. Le seizième siècle nous offre dans ses œuvres la même discordance que dans ses factions. L'idée et la forme, la vie et la beauté y cherchent vainement à s'unir. « En notre langage, disait Montaigne, je trouve assez d'étoffe, mais un peu faute de

façon. Alors, en effet, ceux qui pensent connaissent peu l'art d'écrire; ceux qui cultivent l'art d'écrire ne songent guère à penser. D'un côté nous avons les harangues, les mémoires, les pamphlets, les satires, les traités dogmatiques et polémiques, les essais philosophiques, tout ce qui contient l'esprit, l'âme même de l'époque; de l'autre, une jeune et audacieuse école de disciples de l'art antique, qui s'efforcent de créer de toutes pièces une langue noble, une poésie sérieuse, et n'oublient que de lui donner une âme. Cette séparation, ce divorce entre la pensée inspiratrice et la forme littéraire est, selon nous, le trait saillant de la littérature du seizième siècle. Sans doute, il exista alors des auteurs d'un rare talent; on n'écrira jamais avec plus de verve et d'originalité que Montaigne; avec un bon sens plus net, plus incisif que Rabelais. Mais la langue de ces grands écrivains n'appartient qu'à eux seuls. Chacun d'eux l'improvise pour le besoin actuel de sa pensée. Il n'y a pas alors de formes universelles et communes à tous, espèces de monnaies courantes frappées d'une empreinte connue.

Cette circonstance peut être en général favorable à l'indépendance du talent; mais elle était contraire à l'esprit éminemment social et communicatif des Français. Le peuple destiné à devenir l'intermédiaire entre les peuples, le propagateur des idées, l'apôtre infatigable de la civilisation, avait besoin d'une langue logique, régulière, universelle. La littérature française devait, pour agir sur le monde, se centraliser comme la monarchie.

Nous suivrons, dans cette rapide esquisse du seizième siècle, la division que la nature même de son développement vient de nous indiquer. Nous examinerons d'abord la pensée et en quelque sorte la vie de cette société, autant qu'elle se manifestera dans les monuments écrits, quelque imparfaite qu'en soit la forme. Nous observerons donc dans la société française le goût des arts et de la civilisation italienne, le culte de l'érudition antique, les hardiesses de la philosophie naissante. Nous verrons les passions religieuses et politiques passer de la bouche des orateurs sous la plume des pamphlétaires et de là dans les pages plus durables, plus impartiales

des mémoires et des traités; trois degrés divers par lesquels les actions deviennent des livres, sans constituer encore une littérature. Ce sera la première partie de notre étude sur le seizième siècle. La seconde nous fera assister à la grande tentative de réforme littéraire rendue nécessaire par l'insuffisante poésie de Marot, réforme proclamée par du Bellay, exagérée par Ronsard, restreinte et régularisée par Malherbe.

Influence de l'Italie.

L'Italie fut, au seizième siècle, l'initiatrice de la France. Déjà, dans l'âge précédent, cette contrée nous avait envoyé comme un souffle de renaissance. Nous voyons autour du trône de Charles VI trois femmes, trois Italiennes célèbres à divers titres, sa belle-sœur Valentine de Milan, sa femme Isabeau de Bavière, fille d'une Visconti, et la modeste, la savante Christine de Pisan. Mais une fois délivrée des guerres anglaises, c'est-à-dire enfin constituée et forte de son unité, la France sentit pendant plus d'un demi-siècle une puissante impulsion qui l'entraînait de l'autre côté des Alpes. Les ambitions et les intérêts des princes furent les causes occasionnelles de ces expéditions; un mobile caché y poussait la nation entière c'était, comme au temps des invasions barbares, l'irrésistible attrait d'une heureuse et riche contrée, la vague séduction d'une civilisation supérieure. La jeune noblesse qui environnait Charles VIII ne rêvait que la belle Italie, son opulence et ses voluptés. Le climat du Midi et sa splendide nature furent comme une première révélation des arts pour les rudes enfants de Lahire et de du Guesclin. Sous Louis XII, ce premier enseignement a déjà porté ses fruits; le cardinal-ministre, Georges d'Amboise, frappé d'admiration à la vue des merveilles qui remplissaient la Lombardie, des imposantes créations de Bramante et de Léonard de Vinci, se fait le centre du mouvement nouveau, et donne le signal d'une des plus belles périodes de l'architecture française.

Bientôt François 1er offre un protecteur aux arts de l'Italie et un ami à ses artistes. C'est à lui que Raphaël envoie plusieurs de ses chefs-d'œuvre. C'est pour lui que le Primatice

vient déployer à Fontainebleau sa poétique imagination et son élégance à la fois forte et voluptueuse. C'est à son appel que Jean Cousin, notre Michel-Ange, fonde l'école française et opère la transition de la peinture sur verre à la peinture à l'huile. Cependant s'élèvent de tous côtés ces châteaux de la Renaissance, qui viennent remplacer sur notre sol les forteresses féodales; c'est Madrid, l'élégant manoir du bois de Boulogne; c'est la Muette, Saint-Germain, Villers-Cotterets, Chantilly, Follembray, et ce palais de fées créé au fond des bois de la Sologne, le merveilleux et fantastique Chambord. Toute la noblesse, lasse du triste séjour des noirs et solitaires donjons, accourt près du roi-chevalier, dans ces élégantes et somptueuses demeures où la vie s'écoule dans une fête éternelle. On y voit arriver à l'envi les grands seigneurs et leurs jeunes femmes, les érudits et les artistes, étrange et brillante société où la science est admise à titre de luxe, où les hardiesses de la pensée sont accueillies comme une jouissance nouvelle de l'imagination.

Loin de s'éteindre avec François 1er, l'influence italienne vint au contraire prendre officiellement possession du trône des Valois. Catherine de Médicis, qui joignait toutes les qualités de l'esprit à tous les vices du cœur, avait apporté de Florence le noble goût des beaux-arts. Non contente de protéger les artistes, elle participait elle-même à leurs travaux. Philibert Delorme, qui construisit pour elle le palais des Tuileries, la loue du grandissime plaisir qu'elle prend en l'architecture, pourtroyant et esquichant les plans et les profils des édifices qu'elle fait élever1. C'est sous son triple règne que la Renaissance trouva enfin son expression artistique la plus élevée et la plus significative, la poésie. Ici encore, au milieu d'innovations plus importantes dont nous aurons bientôt à parler, se montrèrent les traces nombreuses de l'imitation italienne. Joachim du Bellay préconise le sonnet presque à l'égal de l'ode; Ronsard doit à l'inspiration des poëtes de l'Italie quelques-unes de ses meilleures pièces, les seules que tâchent de reproduire ses disciples Desportes et Bertaut. Il n'est pas jus

1. Traité de l'architecture, Paris, 1567.

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