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qu'aux jeunes seigneurs qui, d'abord par fanfaronnade guerrière, et ensuite par esprit courtisanesque, ne mêlent à la vieille langue de leurs pèrès les idiotismes toscans, qu'ils ont rapportés du théâtre de leurs exploits, ou recueillis dans la conversation de leur reine et de ses filles d'honneur.

Étude de l'antiquité; invention de l'imprimerie; Collége de France.

A considérer ainsi isolément la tranquille invasion de l'art italien dans la France, il semble qu'il va se borner à y fournir la même carrière que dans sa terre natale, jetant sur son passage des rayons semblables, mais affaiblis. On s'attend presque à retrouver de ce côté des Alpes l'élégante, mais timide contrefaçon de la Renaissance ultramontaine. Il n'en fut rien néanmoins; les événements de l'histoire, l'agitation. des esprits troublèrent violemment la civilisation du seizième siècle, mais enrichirent son cours d'un sédiment fécond. Les travaux mêmes auxquels l'Italie avait convié l'Europe portaient en eux le germe d'une rénovation intellectuelle et politique. L'Italie moderne ne se présentait pas seule à l'étude de la France, elle amenait avec elle toute l'antiquité grecque et romaine; et, bien que le culte de la science classique dût souvent ressembler à une superstition, cette innovation n'en fut pas moins un immense progrès en changeant de servitude, la pensée moderne apprenait à être libre.

L'empire de Constantinople s'était écroulé en 1453. De savants Grecs, échappés à l'asservissement de leur patrie, étaient venus chercher un asile en Italie, et ils payaient l'hospitalité des Latins par l'enseignement de la langue d'Homère et de Démosthène.

Le 19 janvier 1458, l'Université de Paris reçut une demande de Grégoire, né à Tiferno, dans le royaume de Naples, à l'effet d'être admis dans son sein comme professeur de grec et de rhétorique. Cette offre fut accueillie; mais le nouvel enseignement, isolé au milieu des chaires de logique et de théologie scolastiques, regardé avec défaveur par les partisans coalisés des vieux systèmes, se vit à peine toléré, et ne porta que

des fruits médiocres. Toutefois la tradition ne s'en perdit pas; ce fut d'un des élèves de Grégoire qu'un jeune Allemand destiné à une haute célébrité, Reuchlin, le patron et le maître de Mélanchton, apprit, vers l'an 1470, les premiers éléments de la langue grecque. Quelques années plus tard, Reuchlin retrouvait dans la même ville, pour professeur de grec, un véritable enfant de la Grèce, qui toutefois devait sa célébrité plutôt à sa patrie qu'à son savoir1; c'était George Hermonyme. Seul alors à Paris il parlait ou plutôt balbutiait le grec, et n'avait pas plus le désir que la capacité de l'enseigner aux autres. Mais ses rares élèves suppléaient à l'insuffisance de ses leçons par un dévouement à l'étude qui avait quelque chose de l'enthousiasme religieux des néophytes. «Je me suis donné de toute mon âme à l'étude du grec, écrit l'un d'eux, et aussitôt que j'aurai quelque argent, j'achèterai des livres grecs d'abord, et ensuite des vêtements3. Bientôt après les livres devinrent moins rares. L'Italie avec laquelle continuaient nos rapports, multipliait ses doctes envois. Déjà commençaient à circuler des livres qu'on croyait encore manuscrits, mais remarquables par la régularité extraordinaire de l'écriture, de plus à bon marché et en grand nombre. Plus on en achetait, plus il y en avait à vendre. Ils se trouvaient, chose merveilleuse ! tous semblables entre eux, comme s'ils fussent tous sortis au même instant de la même main. L'imprimerie qui ne fut d'abord que l'art de graver ou de stéréotyper sur bois, procédé connu en Chine de temps immémorial, devint, vers 1450, l'invention admirable des caractères mobiles. On l'attribue généralement à Gutenberg, né à Mayence, mais établi à Strasbourg. Faust, riche négociant de cette première ville, aida l'inventeur de ses capitaux; et Schoeffer, leur collaborateur, perfectionna l'invention en imaginant un procédé plus facile pour la fonte des caractères“.

1. Non tam doctrina quam patria clarus.» (Beati Rhenani epistola ad Rheuchlinum, folio 52.)

2. Unus Georgius Hermonymus græce balbutiebat, sed talis ut neque potuisset docere si voluisset, neque voluisset si potuisset. » (Erasmi epistola LVIII.)

3. Erasmi epistola xxix.

4. H. Hallam, Histoire de la littérature de l'Europe, t. I, p. 454, analyse et

Fichet, recteur de la Sorbonne, introduisit l'imprimerie à Paris en 1469. Les nouvelles presses produisirent sept cent cinquante et un ouvrages jusqu'à la fin du quinzième siècle, et dès le commencement du suivant elles ne donnèrent pas moins de huit cents publications dans l'espace de dix ans ; dans le nombre se trouvaient quelques ouvrages grecs. Le nonchalant Hermonyme était remplacé par le savant Italien Aleandro, recteur de l'Université de Paris en 1512, pensionné par Louis XII, et enseignant le grec et peut-être l'hébreu.

Ce fut surtout sous François Ier que la Renaissance prit l'essor. Jamais l'esprit humain n'avait développé une curiosité plus enthousiaste pour le passé, une activité plus studieuse, plus passionnée pour les lettres. Les imprimeurs pleins de la dignité de leur mission, marchaient de pair avec les premiers savants de leur siècle. Aux Badius Ascensius, aux Gourmont, aux Colines, aux Dolet, succéda la famille des Estienne, ces prodiges de science et de travail, qui, pendant quatre générations, élevèrent l'art de la typographie à la plus haute perfection qu'il ait jamais atteinte. François Ier luimême témoignait sa sollicitude à cette dixième muse. S'il ne créa pas précisément l'imprimerie royale, comme on l'a dit et répété souvent, il fit fondre par Garamond les admirables caractères qu'on prêtait de temps à autre aux imprimeurs particuliers pour leurs belles éditions. Cette mesure généreuse n'était que l'appendice d'une institution encore plus importante. Laissant à la Sorbonne sa stérile escrime théologique, le roi conçut et réalisa la pensée de séculariser l'enseignement. Le Collège des trois langues (Collége royal, Co!lége de France), créé en 1531, se remplit de chaires d'hébreu, de grec, de latin, de médecine, de mathématiques et de philosophie, admirable pêle-mêle de science, désordre fécond d'une généreuse époque, que des temps plus rassis eussent dû peut-être assujettir à une organisation plus méthodique. C'est

résume les longues discussions auxquelles a donné lieu cette matière. Les principaux auteurs qui y ont pris part sont indiqués dans l'Histoire littéraire de l'Italie, par Ginguené, t. III, p. 270.

4. Ce fut Louis XIII qui fonda réellement l'imprimerie royale en 1640.

là que brillèrent les Vatable (Wastebled), les Danès, les Toussain, et le savant Turnèbe et le disert Lambin, dont la sage lenteur enrichit la science antique de nombreux commentaires et la langue française d'un verbe expressif emprunté à son nom.

Budé; Érasme,

Aux souvenirs du Collège de France se rattachent les deux renommées les plus brillantes parmi les savants du seizième siècle, Budé et Érasme, dont l'un détermina le roi à créer cet établissement, l'autre refusa d'en être le chef et d'aliéner ainsi son indépendance d'homme de lettres. Grâce à Guillaume Budé1, le plus savant helléniste de l'Europe, la France n'eut plus rien à envier à l'Italie, sous le rapport de la science philologique. Ce fut lui qui le premier, détrônant l'insuffisante compilation de Guarino (l'Etymologicum magnum de Phavorinus), et devançant de quarante-trois ans le véritable Trésor de Henri Estienne, fixa, dans ses Commentaires, le sens d'une grande partie des mots de la langue grecque, et se fit le législateur d'une science qui n'avait eu jusqu'alors que d'aventureux champions. Chez lui se manifeste déjà la tendance sérieuse et positive de l'érudition cisalpine même dans un travail sur les mots, Budé se préoccupe des choses. Il exrique, avec une justesse et une précision qui n'ont pas été surpassées, les termes de la jurisprudence romaine. C'est ainsi que, dans son excellent traité de Asse, il exposa les dénominations et la valeur des monnaies romaines à toutes les époques de l'histoire, et que dans ses Observations sur les Pandectes, il appliqua le premier la philologie et l'histoire à l'intelligence du droit romain, innovation qui, perfectionnée dans la génération suivante par des hommes plus versés dans la jurisprudence, devait y produire une sorte de révolution. Toute la gloire littéraire de Budé peut se résumer en un mot: il excita la jalousie d'Érasme, qui resta pourtant son ami. Érasme de Rotterdam2 vint plusieurs fois et vécut long

:

4. 1467-1540. Ouvrages principaux : Annotationes in Pandectas; de Asse; de Studio litterarum; Commentaria in linguam græcam.

2. Né en 1467, mort en 4536.

temps à Paris. Il est nôtre par ses relations avec la France et surtout par le caractère tout français, tout voltairien de son esprit, plein d'audace pour aborder tous les problèmes, plein de raison pratique pour les résoudre. Jeté par sa naissance au milieu des luttes acharnées des sectes religieuses, il trouva la modération dans l'étendue de sa pensée, et vit trop bien et trop loin pour être un homme de parti. Sa haute intelligence saisit tous les extrêmes, et s'en éloigna par conviction plus encore que par timidité. Il usa sa vie à concilier deux opinions exclusives et intolérantes. Ami de Luther et de Léon X, écrivant ses Dialogues contre les moines, et son traité du Libre arbitre contre les novateurs, donnant tour à tour raison aux deux systèmes, où plutôt reconnaissant la raison partout où illa trouvait, tolérant par intelligence, comme Mélanchthon par caractère, Érasme fut successivement recherché et maudit par les deux exagérations extrêmes, et ne servit lui-même d'autre parti que celui du bon sens et de l'humanité.

La plupart des écrits d'Erasme roulent sur des matières de théologie. Néanmoins c'était à regret, c'était pour satisfaire aux nécessités de son époque et de sa position qu'il descendait dans l'arène de la polémique. Toutes ses prédilections étaient pour l'antiquité renaissante. Elle était pour lui un culte, une religion. «Peut-on appeler profane, s'écriait-il, ce qui est vertueux et moral? Sans doute nous devons aux livres saints la première place dans notre vénération; cependant quand je rencontre dans les anciens, fussent-ils païens et poëtes, tant de chastes, de saintes, de divines pensées, je ne puis m'empêcher de croire que leur âme, au moment où ils les écrivaient, était inspirée par un souffle de Dieu. Qui sait si l'esprit du Christ ne se répand pas plus loin que nous ne l'imaginons1? On comprend qu'au milieu des querelles religieuses du seizième siècle, de telles idées ne pouvaient faire d'Érasme un chef de parti. Elles l'animaient au moins d'une énergique haine contre les ennemis des lumières nouvelles. Dans ses Aduges, dans ses Dialogues, dans son amusant Eloge de la folie, il aiguise contre les moines dégénérés de son temps

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4. Erasmi Colloquia, Convivium religiosum.

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