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santerie du côté du bon sens. Les politiques trouvèrent l'idéal du genre, une raillerie fine et mordante, une raison acérée qui renverse le sophisme par la vérité et l'adversaire par le ridicule. Les protestants, austères et énergiques, avaient écrit souvent des traités éloquents; les ligueurs, violents et grossiers, avaient fait des déclamations tribunitiennes et, comme dit Montaigne, des exhortations enragées; le tiers parti, spirituel et sensé, atteignit dans ses pamphlets à la véritable satire.

On pourrait dire que Henri IV marcha à la tête des publicistes, comme des soldats, de son parti. Du Plessis-Mornay mit au service de ce prince sa plume avec son épée; c'est lui qui rédigea la plupart des manifestes du roi, mais on entrevoit quelquefois l'esprit de franchise et de tolérance personnelle du Béarnais, sous la roideur calviniste de du Plessis. Dans la déclaration que publia le roi de Navarre, le 10 juin 1585, est établi nettement le principe que devait faire triompher le parti politique, et qui allait devenir la nouvelle base du droit religieux : « Pourvu que le fond de bonne conscience y soit, dit le roi, la diversité de religion n'empêche point qu'un bon prince ne puisse tirer un très-bon service indifféremment de ses sujets. » Les lettres du même prince à Henri III et à la Sorbonne (1585), écrites par la même plume, sont des chefs-d'œuvre d'habileté. La correspondance personnelle de Henri IV est peut-être plus remarquable encore; rien n'égale la vivacité des tours ni l'originalité de l'expression. Ses lettres politiques et militaires sont écrites comme César devait écrire. Ses lettres à ses maîtresses sont des chefs-d'œuvre de grâce, de sentiment et de délicatesse.

Il abandonnait volontiers à ses partisans la polémique journalière. Pierre l'Étoile, auteur de précieux journaux sur l'époque qui nous occupe, rédigea pour lui l'énergique placard qui fut affiché à Rome le 6 novembre de la même année, sur les statues de Pasquin et de Marforio, sur les murs des principales églises et jusque sur la porte du Vatican. Pour répondre à la bulle de Sixte-Quint, le roi ou son secrétaire ne craignait pas de dire « En ce qui touche le crime d'hérésie, le roi dit et soutient que M. Sixte, soi-disant pape (sauve sa sainteté),

en a faussement et malicieusement menti, etc. » Henri parlait ici le langage des pamphlets. Mais en général la réserve et le bon sens caractérisent les écrits du parti politique.

Nous trouvons au premier rang parmi leurs auteurs un homme dont le nom seul était comme un symbole de modération, le petit-fils du chancelier de L'Hôpital, Michel Hurault, sieur du Fay. Il rédigea l'Anti-Espagnol, pamphlet dont le titre indique assez les tendances. Le duc de Nevers, longtemps dévoué aux ligueurs, fut une des premières conquêtes de Henri IV. Reconnaissant, comme il disait, dans la bataille d'Ivry l'arrêt du Dieu des armées, il apporta au roi un double secours, comme soldat et comme écrivain; il lui amena cinq cents chevaux, et publia son Traité de la prise d'armes, ouvrage excellent qui touchait avec force et habileté les côtés vulnérables de la Ligue, et qui est resté un des principaux monuments politiques de l'époque. Regnier de La Planche, que nous retrouverons bientôt parmi les historiens, surpassa tous les publicistes de son parti dans son excellent dialogue intitulé le livre des Marchands. « Je ne connais rien, dit M. Buchon, avant ou depuis les Lettres provinciales, qui soit plus vigoureusement écrit et pensé que ce petit livre. » Un ouvrage plus renommé et qui exerça sur l'opinion publique une influence plus décisive, fut la célèbre Satire Mėnippée, qui, comme une seconde bataille d'Ivry, acheva de gagner la cause de Henri IV. La Ménippée n'abattit pas la Ligue, elle la trouva par terre; mais elle l'ensevelit dans le ridicule. Ce fut bien véritablement une œuvre de parti, pleine de la partialité, de l'injustice d'appréciation qui accompagne de pareilles œuvres, mais ce fut l'œuvre d'un parti sensé, national, appelé au pouvoir par toutes les nécessités des temps modernes. La Menippée coupa en deux la pensée de la Ligue, n'en comprit pas l'inspiration fondamentale, et ne s'attacha qu'à ses accessoires ridicules ou odieux. Il y avait quelque chose de grand et de respectable dans l'insurrection d'un peuple qui s'unissait par serment pour maintenir l'unité religieuse, à la fin d'une époque où la foi religieuse avait été le seul lien de la civilisation. Mais à cette noble idée s'était joint un impur alliage d'intérêts et d'ambitions personnels. Les

Guise et Philippe II se servaient de l'enthousiasme populaire comme d'un instrument de domination. La Satire Menippée ne vit que ce qui frappe le plus les contemporains, les vices et les petitesses des hommes; elle déchira, sans l'apercevoir, l'idée qui leur servait de drapeau; elle fut le dernier coup porté par l'esprit moderne, par l'esprit politique, à l'esprit du moyen âge qu'elle méconnut et défigura.

Le caractère personnel des auteurs de ce pamphlet était merveilleusement propre à leur rôle. Ils appartenaient à cette classe moyenne, lettrée, pacifique, qui n'avait ni l'ignorance du peuple, ni les traditions héréditaires de la noblesse. C'étaient sept bons bourgeois, amis de la paix, parce que la paix était le bien-être, dévoués à la royauté et à leur repos, haïssant la Ligue parce qu'elle était séditieuse, et aussi parce qu'elle ne payait plus les rentes de l'hôtel de ville; gardant rancune à Mayenne pour les longs jeûnes du siége de Paris, « pour les gardes et sentinelles où ils avaient perdu la moitié de leur temps, et acquis des catarrhes et maladies qui ruinaient leur santé. Quand le plus fort du danger fut passé, et qu'il ne fut plus nécessaire de ne crier que tout bas1, les malins compères se réunirent, dit-on, chez l'un d'entre eux, Jacques Gillot, logé dans une petite rue qui allait du quai des Orfévres à l'hôtel de M. le Premier Président. Selon une tradition qu'on aime à croire véridique, la chambre où ils se rassemblaient serait précisément la même où naquit Boileau; c'était un lieu voué au génie de la satire. Le cercle était composé du Normand Louis Leroy, chapelain du connétable de Bourbon, du jurisconsulte Pierre Pithou, de Nicolas Rapio, de Florent Chrestien et enfin des poëtes Passerat et Gilles Durand. Pendant qu'ils mettaient en commun leurs pinions et leurs malices, Leroi eut l'idée de composer, en Thonneur de la bonne cause, un pamphlet où chacun payerait son écot: il se chargeait lui-même d'en tracer le plan et d'en former l'ensemble. Il pensa doctement qu'à l'imitation de Varron, il fallait appeler Menippée l'œuvre de la Némésis

1. L'impression de la Satire Menippée, commencée à Tours, ville royaliste, ne fut achevée qu'après la réduction de Paris en l'obéissance du roi, en 1504.

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française, en mémoire du cynique Ménippe, célèbre jadis pour ses amères railleries. Le dessein général de l'ouvrage n'exigea pas de grands efforts on débuta par mettre en scène dans la cour du Louvre deux charlatans, l'un Espagnol (le légat, cardinal de Plaisance) et l'autre Lorrain (le cardinal de Pellevé), débitant à qui en voulait du catholicon, espèce de drogue merveilleuse avec laquelle on peut être à loisir perfide et déloyal, vendre les intérêts de son pays, assassiner son ennemi par trahison, et autres gentillesses pareilles, le tout en sûreté de conscience et pour notre sainte mère Église. » Notez que nos prudents bourgeois ont bien soin d'ajouter que c'est du catholicon d'Espagne et non de Rome: celui-ci ne vaut rien pour les amateurs du premier : car il n'a « d'autre effet que d'édifier les âmes et causer salut et béatitude en l'autre monde. »

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Le second acte de cette comédie politique consiste dans la séance d'ouverture des états généraux de la Ligue, « convoqués à Paris au dixième février 1593; » et dans les discours bouffons et sérieux que prononcent successivement les plus illustres ligueurs. Viennent ensuite plusieurs pièces de vers sur les principaux événements de la Ligue, et enfin quelques chapitres additionnels sur l'explication du Higuiero de infierno (figuier d'enfer), drogue du même genre que le catholicon, et sur les Nouvelles des régions de la lune. On le voit, le plan n'est rien le seul mérite dont il fût susceptible c'était d'offrir un tissu élastique, pour recevoir les développements qu'y pourrait broder la fantaisie de chaque collaborateur.

L'œuvre collective de nos bourgeois ressemble assez à ces joyeux et doctes repas, où l'on aime à se les figurer assis ensemble, mêlant les bons mots à de graves discussions et donnant libre cours à la gaieté, quel qu'en fût le poids ou le titre. Les sept amis en belle humeur s'abandonnent à leur verve facile: les plaisanteries abondent. L'entrain du moment leur donne à toutes un charme d'à-propos. L'urbanité n'est pas connue encore; l'esprit court et bondit comme un jeune coursier sans frein. Qu'importent quelques plats calembours, quelque grasse parole à la façon de Rabelais? Ne sommesnous pas ici à table et en famille? nous avons jeûné si long

temps de bons morceaux et de bons mots, sous l'austère tyrannie de l'Union! vengeons-nous du moins par en rire. » Henri IV revient dans sa bonne ville. « Sonne le tambourin et vive le roi! »

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La scène s'ouvre par un des meilleurs passages du livre, le récit de la procession burlesque qui devait servir de revue à toutes les forces de l'Union. Or, a la procession fut telle : le recteur Rose, quittant sa capeluche rectorale, prit sa robe de maître ès arts avec le camail et le roquet, et un hausse-col dessus : la barbe et la tête rasées tout de frais, l'épée au côté, et une pertuisane sur l'épaule.» Après lui marchent les curés, les prédicateurs, précédés de moinetons et de novices, tous aussi bizarrement accoutrés. Entre autres y avoit six capucins, ayant chacun un morion en tête, et au-dessus une plume de coq, revêtus de cottes de mailles, l'épée ceinte au côté pardessus leurs habits, l'un portant une lance, l'autre une arbalète, le tout rouillé, par humilité catholique. » On distinguait surtout l'un des plus amusants personnages, « un feuilletan boiteux (le célèbre prédicateur frère Bernard, dit le petit Feuillant) qui, armé tout à cru, se faisoit faire place avec une épée à deux mains et une hache d'armes à sa ceinture, son bréviaire pendu par derrière; et le faisoit bon voir sur un pied, faisant le moulinet devant les dames. Ne croirait-on pas, dit avec raison Ch. Labitte, que de Thou a traduit la Menippée à la fin de son XCVIII livre! Qui altero pede claudus, nunquam certo loco consistens, sed huc illuc cursitans, modo in fronte, modo in agminis tergo latum ensem ambabus manibus rotabat et claudicationis vitium gladiatoria mobilitate emendabat. C'est là le génie même de la satire, d'exagérer à peine la réalité et de la rendre pourtant ridicule.

Les harangues prononcées pendant la session prêtaient à、 un genre de comique moins facile, mais non moins piquant. Chacun des collaborateurs de la Menippée se chargea de faire parler à sa guise l'un des orateurs des états. Gillot prit, diton, le légat; Chrestien, le cardinal de Pellevé; Leroy, le lieutenant Mayenne et le sabreur Dérieux; Rapin, l'archevêque de Lyon et le recteur de l'Université. La harangue du député du tiers état fut réservée au savant Pithou. Passerat et

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